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Saïed veut dynamiter la partitocratie tunisienne, mais pour quoi faire après?

En décembre 2019, juste après son élection, Kaïs Saïed à Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011.

L’auteur essaye d’expliquer la démarche et la méthode de Kaïs Saïed pour tuer la partitocratie tunisienne qui a mis le pays à genoux durant cette décennie. Cependant, il oublie que la crise socio-économique aide beaucoup le président de la république dans son projet et de ce fait se trouve être objectivement sa meilleure alliée. Mais après avoir dynamité la partitocratie tunisienne, que faire ? Le projet du président est-il crédible et réalisable ou bien théorique et utopiste ?

Par Hassen Zargouni *

Kaïs Saïed a fait sa thèse, l’œuvre d’une vie, sur une nouvelle constitution qui élimine de la vie politique la notion de partis, véritables officines qui ne cherchent que l’intérêt de qui les financent et non du peuple, de leurs fondateurs et non de l’intérêt général, et un mode de scrutin se rapprochant de la démocratie athénienne, avec tirage au sort des citoyens car partant du principe qu’un brave citoyen ne désire jamais commander et donc tous ceux qui veulent faire de la politique pour commander sont des voyous, en gros…

Cette thèse ne passait évidemment pas du temps de Zine El Abidine Ben Ali et n’est pas passée chez Yadh Ben Achour lors de l’élaboration du mode du scrutin de 2011 qui est resté à ce jour le même et la constitution de 2014 a fini par sacraliser le rôle des partis dans la vie politique en Tunisie, au grand dam de Kaïs Saïed, l’érudit du droit constitutionnel (voir à ce sujet la vidéo de sa conférence sur l’histoire et les dessous des constituons iranienne, turque, française, tunisienne… faite devant un parterre de juristes).

Le projet utopique d’une démocratie directe sans partis

Aujourd’hui, il le constitutionnaliste est président élu par une très forte majorité. Il n’a pas cherché le conflit frontal après son élection; il a mis de côté son projet sans l’oublier. Il lui fallait un ennemi pour démonter le système en place, c’est le parlement. Car pour faire passer son projet il lui faut faire un référendum. Pour cela, il est sûr que le peuple suivra car le parlement et les élus actuels sont honnis par une forte majorité. Il se doit donc de continuer son discours conspirationniste (des partis qui aident les jeunes au voyage clandestin à Sfax, des organisations qui favorisent le départ de feu à Amdoun…) pour enfoncer les partis et les élus actuels.

Il a donc choisi la stratégie lente et non frontale du changement de la gouvernance du pays. Il est d’autant sûr de son fait qu’il représente à lui seul, lui qui n’est issu d’aucun parti, la réussite d’un tel concept de gouvernance, assez rare dans le monde à vrai dire.

Tout ceci en négligeant, consciemment ou pas, l’effet de la crise économique sur l’état émotionnel des gens et le risque de troubles sociaux qui peuvent déjouer ses desseins. C’est une course contre la montre. Il a engagé le bras de fer avec les partis, les pro-islam politique, les anti-corruption et les pro-ancien régime (les sociaux démocrates et les socio-libéraux étant des entités politiques populairement faibles), l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et ce qu’elle représente comme l’antipode de son projet… Il a pris le pouvoir total en nommant le chef de gouvernement lui-même et non proposé par les partis. Il finira aussi par choisir un gouvernement dont les membres sont non partisans. Son projet est donc sur les rails.

Faut-il soutenir Kaïs Saïed dans son projet ?

Serait-ce souhaitable ? Serait-ce possible? Serait-ce aventureux ou bien réfléchi ? Serait-ce profitable pour le pays et les citoyens? Faut-il soutenir Kaïs Saïed ?

Oui certainement mais la raison doit l’emporter, sans esprit de vengeance, ni rancune, ni ressentiment car personne n’y gagnera ni Kaïs Saïed ni ses détracteurs. On doit l’aider à être rationnel et prendre conscience davantage de la complexité du monde qui nous entoure. L’intérêt de la Tunisie et des Tunisiens étant le seul mobile pour n’importe quel dessein, innovant ou classique de la gestion publique.

En voilà des questions auxquelles on ne pourra répondre que dans quelques mois. D’ici là, la crise socio-économique pourrait tout remettre en cause, tellement elle sera profonde.

* Directeur général de Sigma Conseil.

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