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A propos du terrorisme islamiste : le Vieux de la Montagne à l’Assemblée du peuple

Rached Ghannouchi – Hassan Sabbah : le terrorisme islamiste est un éternel recommencement.

Dans le contexte arabe, quand des terroristes passent à l’action, il est communément admis par l’individu commun qu’il le fasse à l’instigation d’une personne morale ou physique, et plus précisément au nom de l’autorité qu’elle exerce, et de l’obéissance qu’ils lui doivent, en vertu d’un savoir religieux supérieur. Un homme comme Ghannouchi correspond parfaitement à ce profil.

Par Dr Mounir Hanablia

Deux gardes nationaux ont été écrasés, dimanche dernier, 6 septembre 2020, à Akouda (Sousse), par un véhicule bélier, même si dans le contexte le terme peut paraître incongru, conduit par des personnes qui ne les connaissaient pas, mais qui n’ont pas hésité à leur infliger des dommages corporels atroces, pour la simple raison qu’ils représentent l’ordre politique, économique, social, sécuritaire d’un Etat qu’ils abhorrent. Et les agresseurs ont succombé dans l’affrontement qui a suivi avec les forces de l’ordre, en vertu d’un scénario à peu près immuable, qui en se répétant de nombreuses fois dans divers pays et sociétés, a fait acquérir le label du terrorisme à une part importante de l’humanité qui occupe ce vaste espace qui s’étend de Casablanca, au Maroc, à Makassar, en Indonésie.

Seifeddine Makhlouf, un député proche de certains milieux bien connus, avant de se résoudre à publier le classique martyrologue de circonstance, avait incriminé, selon un processus bien rodé, des services de renseignement étrangers, mais Ali Larayadh et Hamadi Jebali n’avaient pas dit autre chose lors des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi.

C’est désormais un rituel bien codifié

Cependant les photos des corps des terroristes abattus prouvaient bien qu’il ne s’agissait pas de James Bond ou d’Arnold Schwarzenegger. Et c’est désormais un rituel bien codifié : Rached Ghannouchi est toujours le premier à condamner les attentats contre les membres des forces de sécurité, à leur délivrer le qualificatif de martyrs, et à prier pour l’accueil de leurs âmes au paradis. C’est déjà un indice : au paradis ceux qui sont tombés victimes de l’attentat risquent ainsi de croiser ceux qui l’ont perpétré dans l’espoir d’y gagner leur place pour l’éternité.

Et tout comme Ghannouchi et Makhlouf ont prié pour le salut des âmes des gardes nationaux, d’autres ont aussi sûrement dû prier pour le camp d’en face. Mardi, au cimetière de Moknine, au moment de l’inhumation de l’un des gardes, la foule s’est d’ailleurs révélée divisée. Alors que des voix s’élevaient contre le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qualifié d’ennemi de Dieu, d’autres, sans doute des Nahdaouis, essayaient de les couvrir en scandant les noms d’Allah et du Prophète.

Sur les pas de Hassan Sabbah, le Vieux de la Montagne

À l’instar de la justice anglaise, il y a donc des gens qui pensent toujours que Ghannouchi, malgré sa trajectoire politique d’islamiste, ne partage aucun lien avec les assassins. Assassins? Il s’agit bien de cela ! Entre le XIe et le XIIIe siècle l’imam ismaélien Hassan Sabbah, le Vieux de la Montagne, et ses successeurs, de la forteresse d’Alamout, non loin de Rey, en Iran, avaient terrorisé, c’est bien le mot, le Moyen-Orient en envoyant leurs sicaires semer la mort parmi leurs ennemis.

Hassan Sabbah recrutait ses agents en les endormant grâce à une décoction au haschich puis il les faisait transporter en un lieu idyllique secret où ils passaient quelques heures avec de jeunes beautés, puis les faisait endormir de nouveau. À leur réveil, les recrues étaient ainsi convaincues des pouvoirs divins de l’imam et se révélaient prêtes à mourir pour lui afin de gagner le droit à la vie éternelle dans le paradis dont elles avaient eu un avant-goût. En général elles adoptaient une fausse identité qui leur permettait de s’approcher de la victime désignée, et lorsque l’occasion se présentait, elles l’exécutaient au poison ou au poignard, en général discrètement, mais parfois au vu et au su de l’assistance, comme le font si bien les terroristes d’aujourd’hui.

Il y a donc une réalité indéniable : en islam les gens sont capables de tuer et de mourir pour aller au paradis. Certes, cela s’est toujours su, et il n’y a qu’à lire par exemple la sourate ‘‘Al Anfal’’ du Coran, l’une des plus emblématiques, pour lever toute équivoque. Mais en réalité, ils le font pour accomplir la volonté politique de leur commanditaire; il suffit de se prévaloir pour cela de l’autorité de Dieu et du Prophète, et l’histoire des Hashashins (Assassins) le prouve amplement.

Ruines de la forteresse de Alamut, près de la ville de Qazvin, en Iran.

Ghannouchi : une version moderne de l’histoire du Vieux de la Montagne ismaélien

Ceci veut aussi dire autre chose : dans le contexte arabe, quand des terroristes passent à l’action, il est communément admis par l’individu commun qu’il le fasse à l’instigation d’une personne morale ou physique, et plus précisément au nom de l’autorité qu’elle exerce, et de l’obéissance qu’ils lui doivent, en vertu d’un savoir religieux supérieur. Un homme comme Ghannouchi correspond parfaitement à ce profil. Son verbe jadis charismatique dans les mosquées et ses écrits datant de 1970 faisaient l’apologie de cette jeunesse en rupture de ban avec la société qualifiée de l’ignorance (jahilyya) dans laquelle elle évoluait et qui devait fortifier sa foi par l’étude de l’islam confondu avec la vision très particulière qu’en partageaient Sayyed Qutb et Abul’ala El Mawdoudi et qui aboutissait au takfirisme, c’est-à-dire à la haine de l’autre, qu’il soit ou non musulman. Et selon le Ghannouchi, de l’époque qui s’exprimait dans la revue ‘‘El Maarifa’’, ce jeune musulman-là dans sa quête de la vérité devait acquérir la force physique et spirituelle, le savoir moderne et la connaissance, mais le but ultime devait en être sa capacité à servir la cause de l’islam, autrement dit à obéir à son message ou à ceux à qui serait reconnue dans le cadre d’une organisation, les Frères Musulmans ou la Daawa Pakistanaise par exemple, l’autorité de l’interpréter.

Ce n’est là en réalité qu’une seconde version de l’histoire du Vieux de la Montagne ismaélien. Mais avec l’utilisation d’internet cette autorité est devenue virtuelle. Et les images de mort remplacent efficacement le message. C’est le principe universellement compris du meurtre ritualisé sur les sites de l’Etat islamique, qui en fait désormais office et qui explique que régulièrement ici et ailleurs dans le monde il fasse des émules, et que grâce aux médias et aux réseaux sociaux qui en amplifient l’effet, cela soulève l’émotion dans le monde entier. Et il n’est plus besoin de lire ou de parler l’arabe pour le comprendre. Mais même si les victimes d’accidents de la circulation sont des millions de fois plus nombreuses que celles d’attaques terroristes, ce sont bien celles-ci que partout dans le monde on juge les plus menaçantes.

Le terrorisme islamiste est étroitement lié au meurtre sacré issu du texte

Phénomène moderne ou pas il y a indubitablement un fond invariable inhérent au terrorisme islamiste qui est étroitement lié au meurtre sacré issu du texte, en l’occurrence celui qui dès le VIIe siècle a engendré la Fitna (discorde), cette guerre de succession pour le califat au nom de la religion. Et le texte a été institutionnalisé le jour ou le futur Calife Muawiya, en passe d’être vaincu par son rival Ali, avait utilisé une ruse de guerre en faisant brandir à la pointe des lances de son armée des exemplaires du Coran, afin d’en obtenir l’arbitrage.

La sourate des Batailles, dite Al-Anfal, ou le Butin, est pourtant explicite sur bien des détails, et d’une manière souvent surprenante. Le devoir d’obéissance à Allah et à son Prophète, à force d’être rappelé, y est érigé en vertu suprême, certes, mais c’est dans un contexte militaire, de guerres, de batailles, et surtout de trahisons et de ruptures des traités appelant les contre-mesures les plus extrêmes, ainsi que la prudence, et la vigilance. Le respect des traités conclus impose même qu’il ne soit pas porté assistance à ses propres coreligionnaires résidant hors du territoire de la Communauté dans le cas où ils seraient agressés par une des parties signataires.

Deux versets sont à cet égard explicites des devoirs que les musulmans doivent aux pays qui les accueillent : les parties qui accueillent et qui soutiennent ceux qui ont cru, immigré, et lutté, sont considérées comme appartenant à la propre communauté des croyants. Ceci aurait dû normalement faire réfléchir les islamistes, en particulier ceux résidant au Danemark, en Suède, et en Grande-Bretagne, sur leurs manières de se comporter dans ces pays, et d’y affronter les parties hostiles. Mais dans ces pays, tout comme en Tunisie, il est clair que certains parmi ceux qui se sont arrogé l’interprétation du texte sacré dont ils tirent leur légitimité veulent la confrontation, parce que c’est là leur intérêt. Cette caste sacerdotale est étrangère à une religion censée l’avoir abolie mais pourtant elle est bien là, accrochée au pouvoir, elle s’est drapée dans la dignité de la démocratie et du suffrage universel, elle a constitué ses propres partis politiques, et maintient son électorat mobilisé grâce à des moyens d’information du financement desquels après plusieurs années on ignore toujours l’origine.

Des attentats ayant fait régulièrement des victimes parmi les serviteurs de l’Etat ont été perpétrés par des gens se réclamant des mêmes idées et usant des mêmes symboles qu’elle fait partager en les diffusant régulièrement sur les chaînes qu’elle contrôle, mais aucun de ses membres n’a jamais été ne serait ce qu’interrogé par la justice sur le sujet. Et après le dernier en date des attentats on s’est borné à parler d’un fond en faveur des familles des membres des forces de l’ordre victimes, de la loi sur la protection des forces de sécurité, dont on veut nous faire croire qu’il s’agit d’une arme imparable qui assurera leur invulnérabilité, et deux jours après, on en est passé à la phase ultime de l’enterrement, celui de l’oubli.

Abir Moussi avait invoqué une loi repoussée par le secrétariat du parlement sur la criminalisation des Frères Musulmans. En faisant abstraction du fait que Ghannouchi s’était réfugié à Londres pendant 20 ans et qu’il y a jusqu’à présent gagné tous les procès intentés contre ses détracteurs, c’était sans compter qu’une telle loi avait été repoussée par le Congrès des Etats Unis. Chacun en tirera toutes les conclusions qui lui semblent s’imposer. Mais la République de Dieu est en train de ressembler de plus en plus à celle de ses serviteurs.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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