La situation est des plus urgentes pour les Ouighours, la minorité turcophone et musulmane du Xinjiang, en proie à des persécutions d’ordre génocidaire en Chine. Dans cet entretien, Erkin Ablimit, activiste et haut représentant de la cause du Turkestan Oriental, fait le bilan du combat des Ouighours sur les plans intérieur et international et de définir l’objectif du gouvernement formé par les exilés.
Entretien réalisé par Gianguglielmo Lozato *
Le Congrès international ouighour s’est déroulé il y a quelques mois à Washington et à Arlington, aux Etats-Unis. Cet événement organisé avec l’aide de diplomates, de politiciens et d’universitaires a débouché sur l’élection d’Erkin Ablimit en tant que président du gouvernement du Turkestan Oriental. Puis à la constitution de l’organigramme gouvernemental général. Avec une femme comme vice-présidente : Mahira Ghopur. Sans compter l’adoubement par une grande personnalité comme Rebiya Kadeer. Le tout dans une ambiance studieuse et un esprit de concertation affiché par une diaspora décidée à faire mieux connaître son peuple et les souffrances qu’il est en train d’endurer.
Erkin Ablimit, est responsable de l’Association Ouighours de France et de l’Union internationale des Ouighours.
Kapitalis : Quel est l’enjeu du Congrès international ouighour, hormis l’élection en elle-même?
Erkin Ablimit : Le but est de faire évoluer la direction de notre combat. Pour sauver notre peuple qui est en train de subir les pires atrocités. On doit aussi se préparer à une éventuelle indépendance, avec un gouvernement temporaire. Mais seuls, ce n’est pas facile. Les Etats-Unis et l’Europe devraient nous aider donc nous les sollicitons. Et c’est une marque de confiance de notre part.
Quel système prônez-vous ?
Avant tout, la démocratie. Ensuite sauvegarder l’égalité des individus au Turkestan Oriental et préserver la souveraineté du pays. Car nous avons eu notre propre patrie dans le passé, ne l’oubliez pas. Notre civilisation n’est pas sinisante. Pas facile avec le communisme depuis 1949 et l’annexion chinoise mais nous pourrons y parvenir si on agit tout de suite avec la communauté internationale dans son ensemble. Il faut impérativement susciter le gout pour la démocratie civique, responsable, respectueuse des droits de l’Homme.
Beaucoup de gens n’ont connu que la dictature. Il y a tout un travail de rééducation. Ce gouvernement temporaire que je représente avec mes collaborateurs a pour but de mener à un système correct et juste.
Le moteur de votre action est la discrimination violente dont vous et votre peuple constituez l’objet en Chine. Où en est exactement la situation ?
De pire en pire ! Depuis 2007, les choses vont en empirant. Il y a de tels dégâts que l’on établit des chiffres relatifs à l’emprisonnement de citoyens ouighours se situant entre 1 et 5 millions de personnes dans des camps. Il y a des déplacements considérables de population, l’éclatement des familles sur toute la Chine. Un changement total du paysage humain et démographique est en train de s’opérer conjointement avec le lavage de cerveau communiste extrémiste façon Xi Jinping. Et oui, le problème majeur est que l’ethnie et la religion forment les deux moteurs de la gouvernance nationale chinoise.
Au niveau international, qu’est-ce que vous préconisez ?
Une prise conscience générale. On doit informer au maximum le grand public, le mettre en garde même. Nos attentes sont nombreuses. Disons que dans l’immédiat la toute première des priorités est de fermer les camps de concentration. Ensuite il faudra penser au statut de notre région qui est à la base de notre nation.
Plus que l’autonomie proposée par la Chine, qui est formelle et seulement sur le papier, il faudra tout de suite, et après la fermeture des camps, chercher à lancer un rapide processus pour instaurer l’indépendance. Par exemple, les Nations Unies étaient venues en aide au Kosovo. Or, nous nous trouvons dans une situation encore pire! Il y a des pressions démographiques de tous ordres, des violences policières, des viols, des mariages forcés, ça va jusqu’au trafic d’organes.
Le premier interlocuteur sera donc le gouvernement du Turkestan en exil ? Et quel est le premier mot d’ordre?
Nous avons un devoir de représentativité qui défend à la fois l’individuel et le collectif. Nous demandons la supervision voire l’intervention du Conseil de Sécurité. Oui c’est une grande responsabilité pour tous les membres de notre gouvernement. Nous devons aussi entretenir une culture, une image, un état d’esprit. Puis ensuite développer le commerce en même temps que le tourisme pour mieux nous faire connaître et faire apprécier notre mode de vie ainsi que notre façon de nous comporter.
Justement, à propos des mentalités, que faire face aux dérives autoritaires ou islamistes?
Nous sommes libéraux dans l’âme. Un système politique libéral ou socio-libéral serait le bienvenu pour notre Turkestan. Ensuite, j’insiste lourdement sur un point : nous sommes un peuple attaché à ses traditions, mais il faut rester laïc! Ce n’est pas parce que l’on est attaché à une tradition culturelle ou religieuse qu’il faut manifester de l’intolérance comme le font actuellement les Chinois envers les musulmans ou les chrétiens. Je tiens à le préciser car cela a représenté un motif de scission avec un autre groupe ouighour basé à l’étranger mais d’inspiration trop radicalisée sur le plan religieux. On se doit de respecter les autres tout en se respectant soi-même. On pourrait éventuellement s’inspirer non pas de pays comme l’Afghanistan, loin de là, mais plutôt de nations comme la Turquie.
Vous touchez là un point sensible: votre rapport avec la Turquie. Pouvez-vous nous parler de cela ?
La Turquie c’est un pays frère. Il fait partie de l’espace linguistique turcophone que nous partageons en commun. Nos relations sont ancestrales. Enormément de Ouighours aiment visiter le territoire turc. La Turquie c’est le mythe de l’Empire Ottoman.
Par ailleurs, et d’un point de vue plus pragmatique, la Turquie siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Il est important de le souligner. Et puis il existe une diaspora turque à l’étranger tout comme il existe une communauté d’exilés ouighours établis un peu partout dans le monde. Et cela peut devenir un avantage, croyez-moi.
En quel sens ?
Les turcs ont émigré massivement en Allemagne. On en trouve aussi en Suisse, en Belgique ou en France. Ils peuvent servir de relais pour nous aider ou au moins sensibiliser l’opinion publique.
En Allemagne, les Turcs sont très nombreux et les Ouighours y sont un peu plus implantés qu’en France. Cela a conduit à des collaborations. Et la chaîne de télévision franco-allemande Arte a déjà parlé de ce qui se passe en Chine.
En France, les Turcs pourraient aider la cause ouighoure en mobilisant leur tissu associatif et des sponsors. Surtout dans un département comme le 77, grand par sa superficie et lié à Paris la Ville Lumière et en même temps la ville des Lumières. La France a des valeurs qui ne sont pas respectées par le gouvernement chinois actuel. Je suis très attaché à la France. Aux Etats-Unis aussi car ils ont évoqué à plusieurs reprises notre situation.
Et maintenant, quels sont vos projets ?
Représenter le Turkestan Oriental avec équité et dignité. Et contribuer à le sauver. Nous envisageons des tournées en France, au Japon, en Italie, en Belgique et peut-être à Taiwan ou en Turquie. On veut aussi renverser l’envahisseur chinois voulant anéantir la culture turque sur son territoire soi-disant national. Cela sensibiliserait encore mieux l’opinion internationale vis-à-vis de l’injustice en général, que ce soit de la part du gouvernement chinois envers ses minorités chrétiennes et musulmanes, que ce soit envers les terroristes de Daech exterminant ou réduisant en esclavage le peuple Yazidi dont la seule culpabilité à leurs yeux est d’avoir la foi chrétienne.
Donc vous avez un message à destination du monde entier ?
Oui, bien entendu. Pas qu’à la France et à la Turquie, pas qu’aux Etats-Unis. Justement nous sommes sur une pente ascensionnelle car les Etats-Unis ont reconnu notre mouvement en avalisant la création officielle de l’Union internationale des Ouighours. C’est le signe d’une plus grande internationalisation. Que ce soit en Occident ou ailleurs. Et ailleurs ça veut dire partout car le monde doit prendre conscience du non-sens d’un tel phénomène comme le génocide alors que deux décennies du vingt-et-unième siècle sont déjà écoulées.
Je vois bien dans l’immédiat d’autres nations susceptibles de nous épauler moralement. J’ai plusieurs exemples en tête. Par exemple l’Angleterre car elle sert de par sa langue, tout comme les Etats-Unis, à communiquer partout. Ensuite le monde musulman dans son ensemble mais je pense particulièrement à la Tunisie car elle a été la nation instigatrice du Printemps Arabe. Et puis c’est un pays idéalement situé en Afrique mais touchant presque l’Europe. Et tous les opprimés de Chine auraient besoin d’une révolution pour balayer l’establishment lié à Xi Jinping. Et puis la Tunisie a à l’origine une approche non extrémiste de la religion, ce qui convient parfaitement à la majorité des Ouighours chez qui même les plus religieux ne sont pas tentés par l’extrémisme. De plus en Tunisie l’usage de la langue française est assez répandu, ce qui peut faciliter des choses au niveau d’une communication de type plus diplomatique. Ah j’oubliais : en Tunisie, à une époque, il y avait le bey, petit clin d’œil au monde turcisant dont nous, Ouighours, faisons partie, mais placés tout à l’extrémité.
Vos dernières pensées ?
Ce seront plus des recommandations que des pensées. Je vous mets en garde contre l’intolérance. Même si vous n’éprouvez pas de points communs avec une personne ou un groupe de personnes, il faut garder à l’esprit que ce n’est pas une raison pour porter atteinte violemment à autrui. Méfiez-vous des totalitarismes comme celui qui est pratiqué et assumé jusqu’à la provocation par la Chine ou la Corée du Nord. L’apparition de la Covid-19 représente en cela un avertissement.
*Enseignant en langue et civilisation italiennes auprès de l’ENSG Université Gustave Eiffel Paris-Est et de l’Ecole de commerce international.
** L’entretien a été réalisé en deux temps, à Washington puis à Paris, avec l’aimable collaboration de Monia Ourabi, doctorante tunisienne à La Sorbonne.
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