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Vers l’instauration d’un fonds social financé par les oligarques tunisiens

Cette Tunisie des profondeurs que ces chers oligarques ne voudraient pas voir.

La Tunisie reste son homme malade. La croissance est anémique, le gouvernement fragile, soumis aux assauts de Rached Ghannouchi, le leader islamiste qui soigne sa popularité par les siens grâce aux dédommagements qui leurs sont octroyés pour de vagues injustices qu’ils auraient subi jadis. La nouvelle décennie semble ressembler à celle qui s’est achevée. Le gourou du mouvement Ennahdha, malgré son âge avancé (80 ans), semblant encore indéboulonnable.

Par Mohamed Rebai *

En face, l’autre Tunisie, la plus nombreuse, meurt de pauvreté, de misère, d’angoisse, de dépression et de… la pandémie de Covid-19. Presque aucun des faux jetons de la république n’est venu à son secours. Seules les associations font de leur mieux pour endiguer le mal qui nous ronge et nous dévore depuis bientôt deux ans. Les Tunisiens qui savent compter sur eux mêmes se débrouillent avec les moyens du bord. L’Etat providence est supplanté par un Etat gendarme.

Je citerais en particulier les efforts très louables du tissu associatif, les donateurs anonymes et les nombreux bénévoles, sans oublier le corps médical qui paie un lourd tribut à la pandémie.

Les rentiers de la république vivent aux basques d’un Etat failli

Curieusement, les quelques familles immensément riches qui vivent d’une «économie de rente» depuis l’époque beylicale, et ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’ex-ambassadeur de l’Union Européenne qui l’a signalé publiquement dans un entretien au journal Le Monde, qui lui valut, par ailleurs, d’être fustigé par les Frères musulmans pour ses propos jugés intempestifs.

Ces familles au nombre d’une cinquantaine, qui opèrent «en niche protégée» dans les créneaux juteux souvent «sous autorisation administrative», n’ont pas été inquiétées après chaque changement de régime. C’est qu’ils savent soudoyer à temps les guichetiers rapaces.

Le constat est que nous sommes aujourd’hui face à une puissante «oligarchie». L’autorité souveraine est entre les mains d’un petit nombre de personnes qui se sont emparés du pouvoir économique et financier. L’avidité prenant souvent le pas sur l’éthique républicaine ou le sens civique, ils tournent le dos à leurs compatriotes lorsque ces derniers sont en difficulté, comme ils le sont depuis 2011. Est-ce pour les punir d’avoir chassé un régime dictatorial qui les protégeait et partageait avec eux les richesses du pays ?

A ma connaissance aucun des capitaines d’industrie, des gros pontes de la grande distribution, des fabricants de médicaments génériques, des concessionnaires automobiles, des lobbies du vin ou de la bière, dont la consommation monte par palets entiers en rapport avec la détresse des jeunes, des exportateurs de dattes, d’huile d’olive et d’agrumes, des hôteliers qui ne paient pas leurs crédits, des banquiers qui vivent de l’épargne des petits fonctionnaires à travers un nombre incalculable de commissions, sans parler des barons de la contrebande et de l’économie parallèle, qui soudoient et financent les partis politiques et les syndicats, n’a mis la main à la poche pour aider. Et si certains l’ont fait, avec un renfort de publicité, c’est avec parcimonie et sous la pression d’un Etat clientéliste des largesses duquel ils ont encore besoin.

Il y a un grand nabab opérant dans le secteur des boissons à base d’alcool et de spiritueux qui affiche quotidiennement un bénéfice net après impôt de 100.000 DT. Oui 100.000 DT/jour. Lorsqu’il se lève au petit matin, il a un beau pactole sous l’oreiller. On ne l’a pas vu dépenser ne fut-ce qu’une petite partie de ces gains dans des œuvres sociales ou caritatives.

L’argent des oligarques va de préférence dans les poches des corrompus

Je suis peut-être un vieux grincheux, mais les vieux grincheux comme moi aiment savoir où va tout cet argent qu’on leur ponctionne grâce aux autorisations administratives ? Depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, il n’y a eu aucun investissement digne de ce nom et permettant de créer des emplois dans les zones intérieures, celles-là même qui s’étaient soulevées pour dénoncer la pauvreté et l’injustice dont elles étaient (et sont toujours) frappées.

En guise de solution à ce grave problème, je propose au gouvernement et à la «désassemblée» de légiférer sur la création d’un fonds social qui serait alimenté à hauteur de 20% des bénéfices nets d’impôt des oligarques. Même si, au fond de moi-même, je doute fort que ces opportunistes le feront puisqu’un bon nombre d’entre eux… ne refuseraient pas les cadeaux et les gratifications dont les inonderaient ces chers oligarques.

Présentement, nous avons besoin de vaccins, de lits de réanimation, de stations d’oxygène, de médicaments et de personnel soignant en grand nombre. Aussi ces gens qui croulent sous l’argent devront-ils être sommés de tendre la main d’une manière ou d’une autre pour aider leurs compatriotes. Et les récalcitrants verraient leurs autorisations retirées.

Là, on rêve, car c’est tout ce qui nous reste pour ne pas crever de colère et d’impuissance : en Tunisie, si nous avons accédé à une démocratie de façade, l’Etat de droit et l’Etat juste au service de l’intérêt général est toujours aux abonnés absents.

* Economiste, universitaire à la retraite.

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