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Retour sur le rôle de Noah Feldman dans la rédaction de la Constitution tunisienne de 2014

Noah Feldman chuchote, Rached Ghannouchi dicte et les constituants écrivent…

Cet article sous forme de chronologie est un post-scriptum à article publié par Kapitalis sur le rôle du chercheur américain Noah Feldman dans la rédaction de la Constitution de 2014, principale responsable de l’instabilité politique en Tunisie et que le président Kaïs Saïed voudrait à juste titre faire amender. Cette chronologie révèle des détails inconnus ou très peu connus ou oubliés qui ont déterminé les vicissitudes par lesquelles est passée la rédaction de cette Constitution, et le rôle qu’ont joué les islamistes d’Ennahdha et leurs alliés de la «Troïka» dans la trahison des Tunisiens en permettant l’ingérence étrangère dans une question aussi essentielle qu’est l’établissement d’un pacte fondamental entre les Tunisiens.

Par Abdellatif Ben Salem

Le 11 septembre 2012: un groupe formé par une trentaine de terroristes d’Al-Qaïda comptant deux Tunisiens prennent d’assaut le bâtiment du consulat américain de Benghazi, 4 diplomates sont tués dont l’ambassadeur des États-Unis J. Christopher Steven, lynché puis violé avant d’être achevé. D’après les révélations de la CIA, un des terroristes tunisiens aurait participé au meurtre des fonctionnaires américains.

Le 14 septembre 2012: après la prière du vendredi, des groupes compacts de salafistes partisans du jihad convergent à pied ou en convoi de véhicules de la mosquée Al-Fath au centre-ville de Tunis en direction du siège de l’ambassade des États-Unis située aux quartier des Berges du Lac. Cette démonstration de force est organisée suite à un appel à manifester au prétexte de la diffusion d’un film «L’innocence de l’islam» présenté comme islamophobe. Les forces de l’ordre laissent passer librement les foules des barbus excités. Arrivés sur place, un millier de salafistes prend d’assaut le bâtiment de la représentation diplomatique. L’école américaine attenante est mise à sac et incendiée. Un groupe parvient à s’introduire dans l’enceinte même de l’ambassade en escaladant les murailles. La bannière étoilée est démâtée, un drapeaux noir d’Al-Qaïda est hissé à la place. Un début d’incendie se déclare dans les bâtiments extérieurs. Postés sur le toit, les Marines ont reçu l’ordre de ne pas tirer sur les assaillants. Totalement désorientés par des ordres et des contre-ordres et submergés par une foule déterminée et rompue aux mouvements de combat de rue, impuissantes à contenir les foules, les forces de l’ordre sont contraintes de se retirer. Il a fallu faire appel à l’intervention d’un détachement de la sécurité présidentielle dépêché par le président provisoire Moncef Marzouki à la demande insistante de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton pour dégager le périmètre de l’ambassade et reprendre la situation en main.

Le cerveau de l’attaque, Seifallah Ben Hassine alias Abou Iyadh, chef du groupe jihadiste Ansar Charia, a été exfiltré de la mosquée Al-Fath dissimulée sous un niqab. Il s’est glissé hors la mosquée devant laquelle se trouvaient les responsables du ministère de l’Intérieur presque au grand complet : Mohamed Nabil Abid, directeur général de la sûreté publique, Taoufik Dimassi, directeur des services spéciaux, Rachid Mahjoub, directeur du district de Tunis – qui ont dans un premier temps reçu l’ordre de l’appréhender à la sortie de la mosquée Al-Fath, mais arrivés sur place, ils reçoivent un contre-ordre émanant du ministre de l’Intérieur en personne, le Nahdhaoui Ali Larayedh. Plus de deux ans plus tard, Dimassi devait reconnaître dans une émission TV en direct sur Ettounsia en date du 2 mai 2014 qu’il s’est abstenu de procéder à l’arrestation de Abou Iyadh en exécution de l’ordre venu de ses supérieurs hiérarchiques, en l’occurrence de Larayedh. Le 1er juin 2014, dirigeant islamiste passe à son tour aux aveux et reconnaît avoir émis l’ordre de laisser filer Seifallah Ben Hassine pour éviter l’affrontement avec les salafistes d’Ansar Charia.

La Tunisie a frôlé l’intervention directe et le débarquement des Marines de la 6e flotte qui a mis le cap sur les côtes tunisiennes. Cherchez l’erreur et les complicités…

Le 18 septembre 2012 : quatre jours seulement après ces faits (disons que c’est une simple coïncidence pour ne pas sacrifier au complotisme ambiant), Noah Feldman, auteur de «The Fall and Rise of the Islamic State» (Déclin et essor de l’État islamique), se rend pour la première fois à Tunis, accompagné de l’agent d’influence américano-tunisien, l’islamiste Radwan Masmoudi, président d’une obscure officine de lobbying politique au profit d’Ennahdha dont il est membre actif. Ce centre, au nom antinomique, de Center for the Studies of Islam ant Democracy (Centre d’études sur l’islam et la démocratie) est une vitrine pseudo-intellectuelle de l’Organisation internationale de Frères musulmans basée à Washington. Elle est subventionnée par le Département d’État et est proche de l’ancien congressman John Mc Cain et de l’Aipacc, le lobby sioniste aux Etats-Unis.

Feldman s’entretiendra avec Rached Ghannouchi, auquel il voue une admiration sans bornes, ainsi qu’avec Iyadh Ben Achour et l’historien de l’islam et intellectuel de renom Hichem Djaït. On aura l’occasion de revenir un jour sur la dérive islamiste de ce dernier.

Dès qu’il a su que Feldman était en visite à Tunis, un écrivain américain, dont la spécialité est la traque de l’activisme pro-islamiste de celui-ci, a écrit sur sa page facebook ce post ironique: «Ainsi donc, Noah Feldman de l’Université Harvard est à Tunis, pour dispenser ses conseils à Rached Ghannouchi…».

Feldman remet au président d’Ennahdha «à titre d’ébauche d’inspiration» un projet de la future «Constitution» tunisienne rédigé en anglais et traduit en arabe. Il faudra encore deux longues années d’interminables palabres sous la coupole du Bardo pour que ces chers «Constituants» (qui se révéleront, au final, des idiots bien inutiles et nuisibles) pour pondre un texte indigeste, redondant, ennuyeux et, surtout, totalement impraticable.

Le 30 septembre 2012 : une équipe de Wilberforce Society un think tank américano-britannique dirigé par un expert en droit constitutionnel d’origine indo-britannique Riddhi Dasgupta (29 ans) est arrivée à Tunis à l’invitation – tenue secrète – du président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Mustapha Ben Jaafar, pour présenter un projet de constitution. Le groupe d’experts (composé de 35 constitutionnalistes !) a effectué un séjour de plusieurs mois dans notre pays entouré du plus grand secret et passa au crible un à un les articles du projet de Constitution sans que personne ne soit mis au courant.

Le 28 août 2013 : Noah Feldmann est de retour à Tunis. Il s’entretient d’urgence avec Rached Ghannouchi, président du bureau politique d’Ennahdha. Au cours de l’entrevue, il lui remet une copie retravaillée de la «Constitution tunisienne» en le pressant d’en tenir compte.

Le 11 janvier 2014 : entre affirmation et démenti, la présence à Tunis de Noah Feldman se précise. L’auteur de «The Fall and Rise of the Islamic State», expose dans son ouvrage sa fumeuse théorie sur la nécessité de ressusciter l’Etat de droit musulman qui a existé pendant treize siècle jusqu’à ce que le Sultan Abdûlhamîd II l’abolisse et promulgue à la place la Loi Fondamentale (Qânûn-u-‘Asâsi) de l’Empire en 1876 qu’il a aussitôt suspendue en raison de la guerre russo-turque de 1877.

D’après Feldman et d’après également les think-tanks néo-conservateurs et sionistes, les islamistes et leur expression politique organisée dans l’Organisation internationale des Frères musulmans seront tout désignés pour ressusciter cet État basé sur le dogme musulman. Les révolutions arabes donneront l’occasion tant attendue à travers un détournement constitutionnel sinueux et complexe d’en asseoir la fondation. Il s’agit en d’autres termes d’un retour déguisé à un régime politique basé sur la chariâ incluant artificiellement des contenus empruntés aux démocraties libérales occidentales tels que la séparation des pouvoirs, les élections libres, le multipartisme, des droits de l’homme, les libertés publiques et individuelles, etc.

Constitutionnaliste proche des néoconservateurs et des cercles sionistes, Feldman a été recruté par Paul Bremer, «proconsul» des États Unis en Irak occupé, pour donner «main forte» à l’équipe chargée d’élaborer la nouvelle Constitution irakienne. D’après sa biographie, certains intellectuels américains comme le Palestino-américain Edward Saïd, estimaient qu’il manquait de compétence pour collaborer à une telle tâche. Il manquait également d’expérience, et sa connaissance de la réalité de l’Irak en particulier et du monde arabe et musulman est limitée. Quoiqu’il en soit sa participation dans l’équipe de Bremer demeure controversée et on ignore jusqu’à quel point sa collaboration fut ou pas du tout déterminante dans l’élaboration tant de la Constitution irakienne que celle afghane.

Dans une vidéo mise en ligne par le magazine électronique Business news on voit clairement Feldman insérer sa carte d’accès à l’hémicycle de Palais de Bardo ! On a appris au cours de la journée que deux élues, l’une du CpR, Mabrouka M’barek (élue pour les États-Unis et Europe) et l’autre d’Ennahdha, Imen Ben Mohamed, avaient reconnu avoir facilité deux jours de suite l’accès de Feldman à la coupole du Bardo, d’autant que ces deux visites quotidiennes au siège de l’Assemblée ont coïncidé avec l’organisation du vote sur la criminalisation de la normalisation («tatbî‘») avec l’Etat sioniste. Identifié le deuxième jour par un élu, Feldman a pris littéralement la poudre d’escampette vers la porte de sortie du siège de l’Assemblée.

Pour rappel, les élus d’Ennahdha, qui défendaient bec et ongles ce projet de loi, se sont finalement abstenus de le voter. Suivez mon regard !

D’après une information divulguée ce jour-là par un site électronique, un élu nahdhaoui de l’ANC avait précisé que lors de l’entrevue qui eut lieu le 18 septembre 2012 au domicile de Rached Ghannouchi entre Feldman et les dirigeants d’Ennahdha, étaient présents entre autres Radwan Masmoudi, Saïd Ferjani, exécuteur de basses œuvres du parti islamiste, Rafik Bouchlaka, ministre des Affaires étrangères et gendre de Ghannouchi, ainsi que Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, et un membre actif de Freedom House dont l’identité n’a pas été divulguée.

Qui a parlé de complot américano-islamiste ?

* Ces données sont extraites d’un essai (non encore édité) intitulé : «Contre-révolution islamiste et résistance populaire, chroniques politiques».

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