Dans son communiqué publié hier, lundi 28 février 2022, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a tenté de minimiser la gravité et l’impact négatif attendu de la décision annoncée par la Commission de résolution des banques et des établissements financiers en situation compromise, et qui a consisté à dissoudre et à liquider la Banque franco-tunisienne (BFT), faisant l’objet d’un litige avec le fonds d’investissement ABCI remontant au milieu des années 1980 et actuellement examiné par une juridiction internationale.
Par Imed Bahri
Ladite Commission a annoncé qu’elle a procédé à «la transmission d’un rapport au tribunal de première instance de Tunis pour rendre un jugement de dissolution et de liquidation» de la BFT et «désigner un liquidateur conformément aux dispositions de la loi n°2016-48 relative aux banques et établissements financiers», cherchant à réduire l’affaire à une simple formalité qui recevra bientôt un habillage légal, comme si la justice tunisienne, soumise aux décisions du pouvoir exécutif, pouvait avoir la crédibilité nécessaire au regard du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), relevant de la Banque mondiale (BM), chargé d’arbitrer le litige opposant le fonds d’investissement ABCI à l’Etat tunisien qui l’avait dépouillé de son bien, une décision prise de façon arbitraire par l’ancien régime et confirmée par le régime en place depuis 2011.
Le Cirdi, faut-il le rappeler, avait déjà rendu un premier verdict en juillet 2017 condamnant l’Etat tunisien.
Pourquoi le redressement de la BFT a-t-il échoué ?
Selon son communiqué publié lundi soir, la BCT affirme que ladite Commission a fait savoir qu’elle a «constaté la cessation de paiement de la BFT et l’impossibilité de son redressement», sans dire un mot sur les causes de cette «impossibiulité de redressement» qui, comme on le sait, est due au fait que plusieurs opérateurs économiques, soudoyant l’Etat et les partis politiques, ont reçu des prêts – dépassant 100 millions de dinars pour certains qui se reconnaîtront – de la part de la BFT qu’ils n’ont pas remboursés ou les ont partiellement remboursés, en comptant sur la complicité d’une administration corrompue et dont plusieurs hauts responsables sont impliqués jusqu’au coup dans cette affaire et qui, dans un Etat normal, auraient dû rendre compte de leurs méfaits devant la justice et non être exonérés et protégés par les services de l’Etat.
Un Etat qui est en train de perdre totalement la face, notamment aux yeux des investisseurs étrangers, qui – on l’a bien remarqué – ne se bousculent plus au portillon. Et pour cause : ils redoutent d’être dépouillés de leurs biens et subir le même sort que le fonds ABCI. Car, le verdict du Cirdi condamnant l’Etat tunisien n’a pas manqué de mettre la puce à l’oreille de ces opérateurs étrangers qui ont aujourd’hui une image très brouillée de la Tunisie comme destination d’investissement.
La BCT cherche à rouiller les pistes
La BCT peut botter en touche et ne pas s’attaquer au fond de l’affaire, en prétendant dans son communiqué que le «processus de liquidation n’interrompra pas les procédures de recouvrement des créances qui vont être poursuivies par le liquidateur par toute voie de droit ou à l’amiable sous le contrôle du tribunal pour maximiser le produit net de la liquidation et garantir le droit des créanciers de la BFT». Bla-bla-bla… Comme si les créances qui n’ont pas été recouvrées pendant une trentaine d’années – certains créanciers étant même décédés entre-temps – pouvaient encore être recouvrées à l’avenir, qui plus est, par une administration dont la corruption n’est pas le moindre défaut.
La BCT peut aussi chercher à provoquer un écran de fumée à propos de cette affaire en rassurant les déposants de la BFT que «le Fonds de garantie des dépôts bancaires (mécanisme institué par la loi bancaire comme filet de sécurité et entré en activité depuis 2018) procédera à leur indemnisation dans les délais légaux et dans la limite du plafond de 60 000 dinars pour chaque déposant», en indiquant, aussi, que «toutes les dispositions nécessaires ont été prises pour assurer la continuité du fonctionnement normal de l’activité bancaire et du système des paiements suite à la cessation de paiement de la BFT et sa fermeture» et en rassurant, en outre, le public et tous les agents économiques sur «la solidité financière du secteur bancaire et l’absence de tout impact de la dissolution de la BFT sur la stabilité financière vu le faible volume d’activité de la banque et de ses dépôts». Ce secteur bancaire qui va supporter une partie du poids puisqu’il va devoir «réemployer tous les agents en exercice à la date de la cessation de paiement de la BFT au sein des banques et établissements financiers tunisiens. Ces derniers seront d’autant plus disposés à faire un effort qu’ils vont hériter des clients dont les pensions et les salaires sont domiciliés auprès de la BFT, qui vont être obligés d’ouvrir de nouveaux comptes auprès d’autres banques de la place et en informer leurs employeurs pour qu’ils puissent recevoir leurs pensions et salaires dans ces nouveaux comptes.
Tout cela est un pis-aller. Le mal est fait. Et l’image de la Tunisie, déjà très terne, va continuer à être ternie au regard des investisseurs étrangers, dont la confiance en notre pays est déjà très entachée, la baisse des investissements directs étrangers au cours des dix dernières années en est, d’ailleurs, la meilleure (et la plus triste) illustration.
Qu’en termes charmants ces choses-là sont dites!
On fera remarquer, au passage, que l’agence officielle Tap, qui a toujours évité de parler de l’affaire de la BFT, s’est enfin résignée à rappeler de manière laconique les déboires de cette banque qui, selon ses termes, «gérée par l’Etat, a été menée à sa faillite en raison initialement des pratiques de l’ancien régime de Ben Ali et de ses proches.» Et l’agence d’ajouter : «Son dossier n’a pas non plus été bien géré et pris au sérieux par les gouvernements successifs depuis la révolution de 2011, en raison de conflits d’intérêts et d’implication de plusieurs responsables et hauts fonctionnaires de l’Etat, dans cette affaire.»
La Tap ne pouvait tout de même pas omettre de préciser que «l’Etat tunisien est poursuivi, dans le cadre de l’affaire de cette banque, pour spoliation par le Fonds d’investissement ABCI Investment, basé aux Pays-Bas.»
Et l’agence officielle tunisienne de conclure : «La responsabilité de l’Etat tunisien dans l’affaire de la BFT avait été reconnue en 2017, et les demandes de révision ont toutes été rejetées», sans préciser que le Cirdi est désormais libéré de tout engagement vis-à-vis de l’Etat tunisien, qu’il est déjà en train d’évaluer les dommages et intérêts que les pauvres contribuables tunisiens vont devoir payer à ABCI et qu’il va rendre bientôt son dernier verdict, qui, on l’imagine, sera d’autant plus grave que les estimations des experts financiers parlent d’une compensation financière de 1,5 milliard de dinars au bas mot. Une somme que l’Etat tunisien, lui-même en quasi cessation de paiement, aura du mal à honorer, ce qui n’améliorera pas l’image de notre pays auprès des investisseurs étrangers.
Voilà ce que la BCT omet de préciser dans son communiqué et dont les médias tunisiens évitent de parler. Comme dit l’adage, il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
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