Contrairement aux autres formations politiques d’opposition, le mouvement fondé par Béji Caïd Essebsi dispose de plusieurs avantages, de forme et de fond, qui font de lui un adversaire redoutable pour le mouvement islamiste.

Par Hatem Mliki*


Depuis son annonce officielle, le mouvement Appel de la Tunisie de Béji Caïd Essebsi (Bce) ne cesse d’alimenter les débats des Tunisiens, surtout en cette période critique que traverse le pays suite à une montée phénoménale des violences salafistes.

Comparée à d’autres événements similaires (coalisation ou création de formations politique), cette manifestation a suscité une réaction relativement violente de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, particulièrement d’Ennahdha. La principale critique du mouvement islamiste à l’égard de cette nouvelle composante de la vie politique tunisienne repose essentiellement sur le supposé retour déguisé des Rcdistes à travers ce mouvement.

Le garant de l’identité nationale

En dehors de la surenchère politique concernant le traitement à réserver aux Rcdistes, il faut reconnaitre que cette masse de la population tunisienne a été absorbée, de différentes manières, par l’ensemble des formations politiques, y compris Ennahdha. La rivalité entre les deux mouvements (Ennahdha et l’Appel de la Tunisie) doit donc être recherchée ailleurs.

Contrairement aux autres formations politiques d’opposition, le mouvement de Bce dispose de plusieurs avantages, de forme et de fond, qui font de lui un adversaire redoutable pour le mouvement islamiste.

Premièrement le fondateur du mouvement n’a pas, vu son âge, des ambitions politiques personnelles à part son possible désir, légitime d’ailleurs, d’associer son nom, tout comme Habib Bourguiba, à une œuvre majeure de l’histoire de la Tunisie. Cela est doublement important. Primo ses adversaires ne peuvent pas l’attaquer sous cet angle. Secundo ses collaborateurs ne verront pas en lui une menace.

Deuxièmement, le récent passage de Bce au premier ministère donne au mouvement une crédibilité incontestable que le rappel perpétré par Ennahdha de son passé politique, sous Bourguiba et Ben Ali, aura beaucoup de mal à effacer. Bce a déjà fait ses preuves d’homme d’Etat dans des conditions quasi-démocratiques. De même que parmi les fondateurs de ce mouvement on retrouve des anciens ministres avec des caractéristiques semblables.

Kamel Morjane, Ahmed Brahim, Taïeb Baccouche et les autres.

Troisièmement, le mouvement de Bce est une fabrication locale contrairement à toutes les autres formations politiques qui sont nées idéologiquement sous d’autres cieux (communisme, socialisme, nationalisme, libéralisme, islamisme…). Cette identité protège le mouvement contre les attaques idéologiques se référant à d’autres expériences dans d’autres pays, le dispense de la difficulté de respecter de manière stricte un cadre conceptuel contraignant et lui offre la possibilité de se présenter comme étant le garant de l’identité nationale dans sa diversité et sa complexité.

Quatrièmement, l’Appel de la Tunisie s’est fait entourer (côté façade) de personnalités connues, d’univers différents, compétents et très représentatifs du paysage socio-politico-culturel tunisien hors «troïka». Cela donne l’impression d’un geste très réfléchi dont l’architecte est Bourguiba.

Une société anonyme gérée par Bce

Le mouvement est composé de représentants de régions, couches sociales, courants politiques et milieux socioculturels bien étudiés de manière à pouvoir accéder à un territoire assez large. Cela met à la disposition du mouvement une puissante machine de propagande électorale multi facettes qu’il pourra activer le moment voulu.

Cinquièmement, le mouvement semble soutenu par des bailleurs de fonds internes puissants (hommes d’affaires). La possibilité de mobilier des ressources financières importantes à des fins électorales ne semble pas inquiéter l’équipe Bce.

Sixièmement, l’Appel de la Tunisie dispose de grandes possibilités de négociation avec les partenaires commerciaux de la Tunisie; de même qu’il pourra facilement réunir un soutien indéfectible des puissances occidentales non seulement au vu des idées qu’il défend mais surtout grâce aux personnalités qui le compose.

Enfin, le mouvement de Bce est fondé sur une lecture méticuleuse et très bien réfléchie des résultats des  élections du 23 octobre 2011, qui constitue aujourd’hui la seule source d’information chiffrée, fiable et objective du paysage sociopolitique tunisien.

De manière très simple ces résultats montrent que dans le cas où les prochaines législatives (ceci est aussi valable pour les élections municipales) seront basées sur un scrutin de listes (scénario très possible), un raz-de-marée des islamistes est très probable si la configuration actuelle des partis politiques reste intacte.

Par contre le poids politique des islamistes risque d’être considérablement réduit, voire décimé, si ses adversaires parviennent à s’allier pour lui faire face.

 

De d. à g. Mondher Belhaj Ali, Faouzi Elloumi, Lazhar Karoui Chebbi, Noureddine Ben Ticha, Saïd El Aydi et les autres.

En conclusion, le mouvement Appel de la Tunisie de Bce n’est pas, pour le moment au moins, un parti politique proprement dite. Il ressemble plutôt à une société anonyme gérée par Bce et dont l’objet social est de fournir à la liste, toujours ouverte, des associés la possibilité de se prémunir, de manière électorale, contre le totalitarisme d’Ennahdha et ses alliés ainsi que toutes autres activités directement ou indirectement liées à son objet social. Le business plan de la société, présenté par Bce le 16 juin au palais des congrès, est a priori solide et tient la route. La seule information qui manque est bien évidemment la durée prévue pour cette société.

 

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