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N’en déplaise aux dirigeants d’Ennahdha, il n’y aura pas de démocratie en Tunisie sans une «tunisianité» qui puise ses racines dans l’héritage moderniste  qui va du Grand Vizir Kheir-Eddine à Bourguiba.

Par Karim Ben Slimane*


La Tunisie vit des moments de grande confusion, peut-être s’agit-il des symptômes d’un traumatisme post révolution.

L’engagement politique des citoyens et la mobilisation que connaît le pays sont incontestablement les signes d’une vitalité démocratique.

L’espace médiatique, quoique rongé par les partis-pris et par un manque de professionnalisme de certaines officines, donne malgré tous des signes positifs de mue démocratique.

Ennahdha ou le pompier pyromane

L’expression des diversités d’opinions est un exercice nouveau en Tunisie. Il est aussi un exercice périlleux tant il a exhumé des malaises sociaux et réveillé des tropismes qui remettent en question un modèle de modernité imposé par l’Etat et entériné par la société.

Aujourd’hui c’est ce versant de l’histoire de la Tunisie qui pose problème: remettre en cause des acquis et des avancées de la société, notamment en matière de droit de la femme et des libertés individuelles, parce qu’ils ont été obtenus par le diktat et la violence symbolique d’un Etat aujourd’hui évanescent.

Ce que la Tunisie semble avoir accepté au nom d’un despotisme moderniste éclairée est aujourd’hui remis en cause par un despotisme rétrograde qui se dit aussi éclairé.

Le leader islamiste Rached Ghannouchi l’a très bien dit, il compte utiliser la violence symbolique de l’Etat (la violence légitime de punir, d’emprisonner, de se faire obéir et de restreindre les libertés dans les limites prévues par la constitution) afin de remettre sur le métier la construction d’un modèle d’une société régie par la parole de Dieu.

La Tunisie en état marche forcée

Le parti Ennahdha compte donc utiliser les mêmes armes et les mêmes moyens que le régime précédent afin de mettre la Tunisie en état marche forcée dans une nouvelle direction. Le retour du balancier risque de faire beaucoup de dégâts. Pour arriver à ses fins le parti islamiste a mis en place une stratégie que je qualifie de stratégie du pompier pyromane.

Depuis son accession au pouvoir le parti islamiste n’a pas cessé de créer les polémiques sur des sujets épineux et sensibles faisant diversion du quotidien des Tunisiens. Les saillies du grand cheikh sur la question du célibat des jeunes filles en Tunisie censé justifier le retour à la polygamie, le nivellement du statut de la femme ou encore l’incrimination de l’atteinte au sacré sont autant d’illustrations de la stratégie incendiaire d’Ennahdha.

Ces feux enflamment les esprits des Tunisiens surtout ceux des extrémistes religieux qui y voient des invitations à la surenchère. Ces derniers ne se font pas prier et excellent dans la surenchère et le zèle au point de pousser les Nahdaouis à sortir de leur réserve et de leur adresser des réprimandes à mots couverts.

Le laxisme et le laisser-faire à l’égard des salafistes ou encore l’incurie volontaire de la police face aux débordements sont l’huile que jette Ennahdha sur le feu qu’elle a elle-même allumé. Plus les salafistes et les sbires du parti islamistes vont loin dans les faits et dans les déclarations plus Ennahdha se constitue un capital tempérance et modération, le pyromane s’improvise pompier.

Un risque majeur de retour vers l’arbitraire

Il est clair qu’aujourd’hui le parti Ennahdha et les mouvements satellites qui gravitent autour constituent un risque majeur de retour vers l’arbitraire. La puissance de l’Etat et la légitimité démocratique ne doivent pas permettre à une majorité temporelle, qui émerge à un moment donné de l’histoire d’un peuple, de remettre en cause ce qui est intemporel dans une société à savoir son identité et ses valeurs fondatrices. Pas de démocratie sans une tunisianité qui puise ses racines dans l’héritage moderniste de la Tunisie qui va du Grand Vizir Kheir-Eddine à Bourguiba.

*Spectateur engagé dans la vie politique tunisienne.

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