Après 23 ans de carrière, Imed Jemaa continue de militer pour préserver ses rêves, ses illusions, et s’approprier cette reconnaissance convoitée par les professionnels de la danse.
Propos recueillis par Hamadi Abassi
Dans l’univers exigeant de la danse contemporaine en Tunisie, Imed Jemaa fait figure de pionnier; une passion assumée comme un sacerdoce, qui le pousse à explorer de multiples pistes, pour promouvoir une démarche chorégraphique conforme à ses aspirations.
Féru de Kung Fu, la danse il n’y vient que fortuitement, en suivant un parcours atypique avec des copains de son âge par le Bee Bop et la danse de rue. Obstiné, il ne se résout pas à accepter le manque de considération qui pénalise cette discipline, et les danseurs qualifiés d’une manière péjorative de «ragas». Cette célébration du corps et du plaisir, réservée aux almées, marginalise les hommes, qui osent enfreindre les interdits et les tabous en vigueur. Conscient que la seule technique n’est pas suffisante dans cette discipline, il y associe la pédagogie nécessaire, pour la revaloriser et lui permettre de sortir du ghetto de la «cafichanta» dans lequel elle est confinée.
Imed Jemaa associe l’énergie des arts martiaux aux techniques de la danse contemporaine.
L’originalité, la qualité et la constante dans son travail lui ont permis d’être remarqué par de grands professionnels de la danse Ushio Amagtsu le maitre de la danse Butou, Jean-Paul Montanare, directeur du festival Montpellier danse, et Lorina Niclas, la fondatrice du prestigieux Festival de Bagnolet où il décroche le grand prix.
De retour à Tunis, il poursuit sa quête artistique en fondant sa propre compagnie, Théâtre de la Danse, entouré de jeunes talents soucieux de développer leur propre langage chorégraphique urbain.
Sans moyens financiers, ni encadrement, confronté à une indifférence frustrante, Imed Jemaa persévère dans son exaltation et fonde dans l’urgence, en août 2010, le Centre chorégraphique méditerranéen, une association qui réunit toutes les bonnes volontés et les compétences que compte la profession. Un espace de rencontre et d’échange qui offre à ses adhérents une formation professionnelle adaptée, ainsi que l’opportunité de réaliser leurs propres créations chorégraphiques.
La danse free ! Sans contrainte!
Avec la résidence octroyée par l’espace Mad’Art, à Carthage, le Centre chorégraphique méditerranéen s’est avéré comme une expérience viable et forte en cohésion artistique, qui lui permet d’explorer les multiples possibilités que lui offre le Kung Fu dans sa démarche artistique.
Disciple de Merce Cunninghan et José Limone, Imed Jemaa associe, dans une fusion maitrisée de disciplines complexes, l’énergie des arts martiaux, aux techniques de la danse contemporaine, inspirées par un certain mode de vie tunisien.
Une attitude qui lui vaut la considération de différents mentors, qui l’invitent à prolonger, avec d’autres partenaires, son expérience artistique en France, Espagne, Belgique, Canada, Sénégal, Cameroun, Burkina Faso, Afrique du Sud, Mozambique, Swaziland, Egypte, Maroc, Irak, où il décroche en 2014, avec ‘‘Hâla’’, le prix du meilleur spectacle.
Observateur avisé, il puise dans son vécu et l’actualité brûlante tunisienne l’inspiration nécessaire pour ses ballets, telles ‘‘Houssa Hafali, Wentikal Dimocrati’’, un regard désabusé sur la confusion engendrée par la révolution et les antagonismes qui en découlent, ou ‘‘Avalanche’’.
Dans le local exigu qui lui sert d’atelier de danse, Imed Jemaa rectifie l’attitude de l’un de ses danseurs au cours de la répétition, avant de me confier le regard brillant : «Je crée, en compagnie de mon ami camerounais Serge Tuscap, un grand festival de danse contemporaine dans son pays! Une entreprise exaltante, avec de fabuleux danseurs africains!»
Lors de la pause, je l’amène à se confier davantage sur sa profession qui le gruge et focalise toute son attention.
En Tunisie la danse connait une adhésion formidable parmi les jeunes et les moins jeunes aussi! Comment expliquer cette affluence, lorsqu’on connait les interdits qui balisent son parcours ?
Ils ne la considèrent plus comme un simple défoulement ou un loisir; elle devient un mode de résistance face à leur marginalisation dans une société qui les délaisse, sans leur offrir de nouvelles alternatives. Ils se réapproprient leurs corps devenus des manifestes, pour exprimer leur désarroi; un langage sublimé, qu’ils façonnent en élaborant leurs propres codes !
Un regard désabusé sur la confusion engendrée par la révolution.
Est-ce que cet engouement pour la danse ne relèverait-il pas d’un souci de se réapproprier une légitimité bafouée, tout en accentuant leur visibilité publique?
Tout à fait ! Ils osent, et partent à la rencontre d’un large public visiblement acquis !
Comment doit-on procéder, pour lui accorder la considération à laquelle elle peut prétendre?
Cela nécessite une réelle volonté politique de l’Etat. Davantage de moyens financiers qui lui permettraient de mieux s’autogérer, ainsi qu’une structure adéquate pour l’abriter, comme celle allouée aux centres d’art dramatique.
Et pour vous-même, que peut-on vous souhaiter ?
Terminer dans des conditions plus appropriées, mon nouveau spectacle ‘‘Avalanche’’.
Une dernière question, que penses-tu de tout ce tapage médiatique soulevé par le spectacle ‘‘Zaglama’’ avec Rochdi Bel Gasmi ?
Nos démarches artistiques diffèrent, mais nos préoccupations sont similaires. La danse free ! Sans contrainte! Personnellement, je danse pour exister!
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