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Tunisie : Réconciliation nationale ou amnistie générale ?

Reconciliation-nationale

La réconciliation nationale aurait peut-être un sens si elle n’excluait pas les corrompus de l’après révolution du 14 janvier 2011.

Par Rachid Barnat

Certains invoquent la réconciliation en Afrique du Sud, en Allemagne… pour admettre celle que leur proposent, aujourd’hui, Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes, à travers un projet de loi qui va être examiné par l’Assemblée. Or il ne faut pas confondre :

– la réconciliation entre deux «races» que l’apartheid a séparées, comme celle voulue par Nelson Mandela pour l’Afrique du Sud;

– la réconciliation politique allemande d’un peuple que le communisme avait divisé ;

– en Tunisie, il s’agirait plutôt d’une «réconciliation» entre mafieux : ceux d’avant 2011 avec ceux de la troïka arrivée au pouvoir depuis… et qui seront absouts de tous leurs abus et vols des biens publics.

Les corrompus et les revanchards

On ne peut parler de réconciliation que dans un pays où de graves divisions idéologiques menacent de conduire à une guerre civile et de mettre le pays à feu et à sang. Cela n’a pas été le cas de la Tunisie. Dans ce pays, il y a eu seulement des personnes qui se sont enrichies par la corruption, par les malversations, par l’instrumentalisation des services de l’Etat. Ce fut le cas du clan de Ben Ali, sa belle famille Trabelsi et leurs proches qui, à des degrés divers, ont profité de la pourriture à la tête de l’Etat. Mais aussi celui du clan des revanchards sortis de leur tanière après le 14 janvier 2011 pour faire payer aux Tunisiens un militantisme qu’ils ne leur ont pas demandé, et qui considèrent la Tunisie comme leur butin de guerre… une guerre qu’ils tentent de déclencher artificiellement en essayant de diviser un peuple uni !

Par ailleurs qui peut croire à une réconciliation entre deux conceptions de la société diamétralement opposée? Une telle «réconciliation» consisterait en un ensemble de demi-mesures et sûrement en une régression pour le pays.

Y a-t-il eu «réconciliation» entre le communisme et le capitalisme? Non, car le communisme a disparu.

Pouvait-il y avoir «réconciliation» entre le nazisme, le fascisme et la liberté? Non plus, car le nazisme et le fascisme ont disparu.

Alors que cache ce  mot de réconciliation dont se gargarisent certains de nos hommes politiques au pouvoir et que reprennent en chœur les Frères musulmans et leurs amis pan islamistes et pan arabistes?

Si cette loi de réconciliation nationale rencontre, pour une fois, l’adhésion des Frères musulmans nahdhaouis, ce n’est pas un hasard. Ils jouent la grandiloquence de ce concept qui signifie pour eux une amnistie pour leur malversation quand ils étaient au pouvoir.

Et les malversations de la «troïka» ?

La logique aurait été de limiter cette amnistie à la période Ben Ali et aux personnes les moins corrompues (reste à placer le curseur de la gravité de la corruption). Or il faut bien préciser aux Tunisiens que cette amnistie concerne aussi la période de la troïka (l’ex-coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, Ndlr). Ce qui est choquant et révoltant alors que le 14 janvier 2011 se voulait une date de rupture avec l’ancien régime et ses pratiques mafieuses.

Ce fait est lourd de signification car il met en évidence que pendant le pouvoir de la troïka les malversations, la corruption et le népotisme ont continué de plus belle, ce que savent d’ailleurs bien les Tunisiens.

Que de vouloir de cette loi dite de «réconciliation nationale» est en soi un aveu extraordinaire de la part des Frères musulmans nahdhaouis; et c’est la raison pour laquelle ils la soutiennent fermement.

Quand on sait qu’ils ont vidé les caisses de l’Etat, dilapidé (?) les crédits consentis à la troïka au pouvoir…

Quand on sait les fortunes subites des responsables politiques des partis de la troïka, celles de leurs proches et amis…

Quand on sait les biens immobiliers et fonciers acquis avec un argent sorti on ne sait d’où… alors que tous ces pseudo militants assurent être pauvres, puisqu’ils ne pouvaient pas travailler à cause de Ben Ali, clament-ils à longueur de discours populistes !

Cette loi porte très mal son nom ! Il ne s’agit pas de réconciliation au sens où l’envisage les instruments internationaux mais tout simplement d’une mesure pratique d’amnistie pour ne pas écarter du pouvoir ceux qui avaient volé dans les caisses de l’Etat.

L’argument selon lequel ces personnes qui ont profité d’un «système mafieux» instauré par l’Etat lui-même peuvent être utiles au pays et à son développement économique est recevable.

Mais cette amnistie n’est acceptable que si, dans le même temps, le pouvoir se donne les moyens de lutter énergiquement et délibérément contre la corruption d’avant le 14 janvier 2011 mais aussi contre celle d’après et, surtout, de la troïka quand elle était au pouvoir. Sinon elle sera perçue comme une autorisation de continuer les pratiques mafieuses ! Et ce serait calamiteux !!

Où placer le curseur ?

Enfin, quelles seront les limites à cette amnistie? Va-t-elle aussi s’appliquer aux candidats aux élections dont il est maintenant avéré qu’ils ont été financés par des pays étrangers? Au passage on ne peut que s’étonner de l’attitude de la Cour des Comptes qui établit les faits de financement extérieur mais ne dit pas quels candidats s’en sont rendus coupables. Pourquoi ? Les citoyens ont le droit de savoir. Cela se saura de toute manière.

Ce secret n’est guère un bon signal. Cette violation des règles de l’égalité en matière électorale est extrêmement grave. Elle constitue, une véritable trahison du pays car le candidat se soumet de facto au pays étranger qui l’a financé. Il s’agit d’une haute trahison passible de la cour martiale. Va-t-on aussi, dans le même mouvement passer sur cela aussi … et embrassons-nous Folleville !? Ce serait tout simplement très choquant.

Blog de l’auteur.

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