De nos jours, peut-on se limiter à des interprétations du Saint Coran qui datent d’antan et qui sont, peut-être, révolues?
Par Ezzeddine Kaboudi *
Aujourd’hui, plus que jamais, nous ne pouvons regarder le Saint Coran du même regard qu’on lui portait jadis. Nous avons à notre disposition les instruments qu’offrent les diverses sciences humaines et surtout les outils modernes pour le traitement des données qui nous permettent de mieux apprécier sa structuration, de mieux saisir toute sa nuance et de mieux le comprendre.
Texte coranique et science modernes
Le livre sacré, dans son ensemble, apporte d’utiles précisions et des enseignements sur diverses questions qui permettent de cibler les aspects importants de l’organisation et du mode de vie des individus. L’avancée scientifique et le développement technologique ont, aujourd’hui, révélé dans le Saint Coran des vérités qui étaient inaccessibles. Il renferme certains savoirs qui n’ont jamais été portés à la connaissance des illustres ulémas de l’époque du prophète Mohammed. Il déborde de connaissances que seule la science moderne est en mesure de découvrir.
L’exposé, à titre d’exemple, du cycle de l’eau et du développement de l’embryon humain dans le Saint Coran nous oblige à admettre que ce livre présente des connaissances transcendantes. Le verset ci-après, à titre d’exemple, ne fait plus de doute. Il parle bien du process de composition du pétrole : «C’est Lui qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela, vous allumez», (S36, V80).
Rien qu’en matière des sciences de gestion, le Saint Coran nous fait part d’indications en forme de paraboles sur bien de concepts issus du domaine du management moderne : la théorie de la gouvernance, la théorie de la contractualisation, la théorie des jeux, la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth, la théorie de la communication, la théorie d’agence, la théorie des coûts de transaction, la théorie du développement durable, la théorie de la croyance en un Monde Juste de Lerner, la théorie des besoins de Maslow, la théorie de la différenciation/intégration de Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch, la théorie de la négociation, le modèle SWOT, la théorie de l’identité sociale d’Henri Tajfel, la théorie de la représentation sociale de Moscovici, la théorie du changement de Paul Watzlawick, etc.
Le Saint Coran se distingue encore plus particulièrement, en enrichissant des théories qui datent de ce dernier demi-siècle.
Le Saint Coran se prête-t-il à autant d’interprétations ?
Certes, l’exégèse sainte coranique joue un rôle important au sein des sciences religieuses. Toujours vivant, le «tafsîr», littéralement «clarification», a pour objet d’expliciter le sens des versets, d’en préciser la portée, d’exposer les circonstances et les motifs de leurs révélations. Il comporte également de longues discussions linguistiques visant à élucider le vocabulaire, la grammaire et la stylistique sainte coranique.
Certains affirment que le «tafsîr» du Saint Coran requiert de son auteur une grande érudition en matière de tradition orale (hadith) mais aussi une maîtrise parfaite de la langue arabe et de ses subtilités.
Il n’empêche que diverses nuances dans l’interprétation coexistent selon que l’on vise une compréhension partielle du message ou une lecture globale d’ensemble du Saint Coran. Ces différences ont donné lieu à deux courants totalement divergents : ceux qu’on appelle les littéralistes et qui développent une lecture activiste et par voie de conséquence plus radicale de chaque verset du Saint Coran et ceux qu’on nomme les réformateurs et qui favorisent une lecture rationnelle globale et donc intelligente des textes sacrés.
Néanmoins, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi autant d’interprétations. Le Saint Coran se prête-t-il à autant des lectures? Ces interprétations sont-elles acceptées ou faudrait-il prendre le Saint Coran au pied de la lettre comme il est, sans réflexion et méditation sur les mots qui doivent avoir divers sens? Doit-on, enfin, s’accrocher désespérément aux interprétations faites par Ibn Kathir ou Attabari, ou Assamarqandi ou Al-Qurtubî ou Al-Jalalayn ou autres illustres auteurs ?
Pour une lecture globale et intégrative
Signalons que, si cette façon d’aborder ces versets est absolument nécessaire, elle n’en reste pas moins partielle, du moins relative à des points de vue singuliers et subjectifs. Elle ne permet pas de différencier suffisamment les versets et ne tient pas compte des sujets d’intérêt. Elle ne fait que saisir la signification des mots et des versets sans tenir compte de la cohésion d’ensemble. En feuilletant ces exégèses, on a l’impression que ces versets sont isolés et dispersés dans le Saint Coran, sans aucun rapport entre eux et sans servir un but commun.
Le monde tel que nous le connaissons est en évolution continue et ces exégètes coraniques ont, sûrement, du mal à imaginer, par exemple, ce que Dieu a créé d’autres comme moyen de transport mentionné dans le verset ci-après : «Et les chevaux, les mulets et les ânes, pour que vous les montiez, et pour l’apparat. Et Il crée ce que vous ne savez pas», (S16, V8).
En ce sens, disons qu’une meilleure compréhension du Saint Coran devrait favoriser une lecture intégrale d’ensemble susceptible d’expliquer l’objet du message dont la lecture doit donner un sens unique et non antagoniste. Nous devons rendre compte de toute la grandeur du message divin. ‘Dieu nous en voudra, certainement, si nous n’essayons pas de saisir toute la portée de son message.
C’est donc dire qu’il est temps d’en finir avec la vision traditionnelle, pour passer à une approche globale permettant de mieux comprendre et de mieux saisir toutes les nuances du Saint Coran. D’ailleurs, l’explication d’un verset indépendamment des autres versets, non seulement, ne suffit pas à rendre compte de l’enseignement dont il est question, mais peut même induire les plus érudits en erreur.
Par ailleurs, cette manière littéraliste et traditionnelle de faire ne permet pas de saisir les raisons pour lesquelles Dieu aborde la problématique qu’il soumet à réflexion. Elle ne permet pas, non plus, de connaître l’objectif de chaque sourate, la cause de sa révélation et le message qu’elle nous adresse. Nous devons, donc, adopter, malgré un persistant accent mis sur la vision classique, une approche globale permettant de mieux comprendre et de mieux saisir toutes les nuances du Saint Coran.
La nouvelle approche, comme mode de pensée, doit privilégier une vision globale, qui reconnaît et respecte les interactions entre tous les versets qui composent le Saint Coran et en constituent sa complexité. Elle permet la compréhension et l’explication de certains aspects de la structure intellectuelle de la réalité. Elle fait apparaître des principes qui ont toujours été présents, mais que nous n’avions pas relevés. Elle fournit l’explication du Saint Coran non pas de façons linéaire ou décousue, mais en suivant un développement composé sous forme de plan en plusieurs parties articulées logiquement.
Enfin, nous affirmons avec force et détermination, que tous les versets du Saint Coran «sont étroitement liés, que chaque sourate a un sujet unique et des objectifs précis. Même si les versets paraissent disparates à première vue, en observant avec attention et en reconnaissant l’objectif de la sourate et son thème, il apparaît nettement qu’il existe un rapport entre ces versets» et entre ces sourates.
Chacune des sourates du Saint Coran est, donc, une entité harmonieuse traitant d’un thème unique clair que tous les versets et tous les exemples aident, d’une façon ou d’une autre, à expliciter. Même le titre de la sourate a un rapport direct avec le thème abordé et l’objectif de la sourate.
Bien que nous soyons amenés à revoir de façon plus significative certaines interprétations, l’enjeu n’est point d’expliciter les sourates. L’objectif est de démontrer que toutes les sourates sont liées ensemble formant, ainsi, une chaîne continue. Nous pensons qu’en comprenant l’objectif et le thème de chaque sourate, ainsi que le lien qui l’unit avec les autres sourates, nous concevons mieux le dessein d’Allah et ce qu’il veut de nous.
* Docteur en management.
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