Manifestation à Tunis contre le retour des jihadistes, dimanche 8 janvier 2017.
Les jihadistes radicaux sont un fardeau pour n’importe quel Etat. Et, à cet égard, même une jeune démocratie comme la Tunisie doit assumer ses responsabilités.
Par Kersten Knipp *
Les Tunisiens sont fondamentalement d’accord avec le reste du monde sur le fait que personne ne souhaite avoir chez lui un jihadiste. Il n’y a pas un pays au monde qui voudrait accueillir ces pseudo-religieux assassins et violeurs. Les gens feront tout pour ne rien avoir à faire avec eux. Plus encore que de les éviter à tout prix, ce que tout monde souhaite vraiment, c’est de les jeter derrière les barreaux.
Les citoyens des autres pays ont du mal à comprendre les raisons pour lesquelles la Tunisie ne veuille pas accueillir des criminels de ce genre qui sont de nationalité tunisienne – ainsi que le suggèrent certains Tunisiens. Pourquoi, devraient-ils, ces autres Etats, assumer la responsabilité de ce problème tunisien? Est-ce que les citoyens des autres pays sont condamnés à souffrir parce que la Tunisie a décidé de ne plus reconnaître ces dangereux criminels comme étant les siens?
Certes, ces interrogations, ainsi posées, peuvent choquer et susciter la polémique, mais elles n’en demeurent pas moins pertinentes, au lendemain de l’attentat terroriste perpétré par Anis Amri.
Il est déjà scandaleux qu’une douzaine de personnes – des Allemands et des visiteurs étrangers – aient trouvé la mort, au marché de Noël de Berlin, non pas seulement à cause des échecs des autorités allemandes, mais également parce qu’il a fallu beaucoup temps pour que la Tunisie fasse parvenir les papiers d’Amri. Exiger désormais que les enfants d’un autre pays, qui ont mal tourné, doivent rester ailleurs – et aussi loin que possible de leur pays natal – n’est d’aucune manière ce que la véritable coopération internationale devrait être.
Une jeune démocratie fragile
Nul ne peut nier que la Tunisie est une jeune démocratie. Nul ne peut nier, non plus, que ce pays a été économiquement affaibli et que l’état de son économie peut facilement impacter la stabilité de l’Etat tunisien et ses structures. Ce qui rend la détermination des Tunisiens à ne pas transiger sur leur système judiciaire (…) d’autant plus admirable. En effet, ce pays a placé la barre très haut en choisissant de traiter même les criminels dangereux comme il se doit et selon des normes constitutionnelles, se démarquant ainsi de la plupart des autres pays de la région.
Par conséquent, le fait que, très souvent, ils se trouvent dans l’incapacité d’établir la preuve des crimes commis par les jihadistes à l’étranger pose un sérieux problème aux tribunaux tunisiens: c’est ainsi que ces rapatriés radicaux restent en liberté. Dans le même temps, les autres pays, comme l’Allemagne par exemple, font face eux aussi au même problème.
En outre, la notion de faiblesse ne saurait être, en aucun cas, une justification. Tenez, par exemple, des pays comme l’Irak et la Syrie, ne sont pas forts actuellement. Est-ce que les manifestants [tunisiens, ndlr] qui s’opposent au retour des terroristes prennent en considération cela? Préfèrent-ils, ces gens-là, que leurs concitoyens jihadistes affaiblissent ces pays plutôt que le leur? Près de 5.000 Tunisiens ont quitté leur pays pour faire le «jihad», principalement dans les pays du Moyen Orient. Si un petit nombre de ces jihadistes rentraient chez eux, cela représenterait un grand danger pour la jeune démocratie tunisienne.
Mais il ne faut pas oublier que les Syriens et les Irakiens, eux aussi, rêvent de paix et de stabilité. Leurs jihadistes nationaux leur causent déjà assez de soucis. Du coup, cela doit certainement être difficile pour ces deux peuples de comprendre qu’ils soient, en plus, obligés de supporter des terroristes provenant de Tunisie. De la même manière, il est tout à normal que la Tunisie puisse se sentir défiée par le fait que deux de ses citoyens aient mené, l’an dernier, deux des pires attaques terroristes menés en Europe de l’ouest, à Nice et à Berlin. Serait-ce dans l’intérêt d’un pays d’être perçu à travers le monde comme étant peu coopératif dans la lutte contre le terrorisme?
La Tunisie a une obligation
Il est vrai qu’Anis Amri semble s’être radicalisé en Europe – mais c’est en Tunisie qu’il a fait les premiers pas sur cette voie. C’était là qu’il a entamé sa carrière criminelle qui a culminé, après quelques séjours dans des prisons italiennes et dans des camps de réfugiés en Allemagne, avec l’attaque au camion de Berlin. Et les autorités allemandes avaient décidé, un an et demi plus tôt, que cet homme devait être déporté.
Tout pays est responsable de ses citoyens et doit les recevoir lorsqu’ils sont déclarés personae non grata – pour une raison valable – ailleurs. Ce n’est que là qu’un pays civilisé assume entièrement ses responsabilités.
Traduit de l’anglais par Marwan Chahla
* Kersten Knipp est écrivain et journaliste spécialiste de l’extrémisme jihadiste et des affaires moyen-orientales.
**Les titre et intertitres sont de l’auteur.
Source: ‘‘DW’’.
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