Habib Bourguiba, le leader nationaliste et le premier président de la république tunisienne, continue à alimenter les polémiques et à enflammer les passions.
Par Salah El-Gharbi
A la suite de la diffusion sur El-Hiwar Ettounsi d’une émission sur Bourguiba, présentée par Myriam Belkadhi, Abdeljelil Témimi, vient de réagir dans un long communiqué où l’historien fustige les «pitoyables bourguibistes» qui chercheraient, selon lui, à instrumentaliser et à exploiter politiquement l’héritage de Bourguiba, tout en les accusant de falsifier l’histoire et de passer sous silence les contributions de sa fondation, durant les vingt dernières années, au service de la «vérité historique».
«Bourguibistes» et anti-bourguibistes
Il est incontestable que le professeur Témimi est l’un de nos éminents historiens. Spécialiste de l’empire ottoman et de la présence arabe en Andalousie, il a à son actif la création de la fameuse fondation qui porte son nom et dont le rayonnement, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, n’est un secret pour personne.
Néanmoins, en lisant le communiqué, on est surpris par le ton polémique, agressif, voire acrimonieux du discours, qui cacherait mal des rancœurs mal éteintes, ce qui n’est pas sans nous rappeler les interventions et les déclarations de M. Témimi aux différents médias, au cours des six dernières années.
Tahar Ben Ammar et Habib Bourguiba: une vengeance très froide.
En sortant, ainsi, de sa réserve, que cherche notre historien? Que cache l’aigreur qui se ressent, en filigrane, dans le texte? Quand l’éminent universitaire parle des «vrais leaders nationalistes», cela ne suppose-t-il pas, implicitement, l’existence de faux «militants»? Qui seraient-ils? Autant de questions qui méritent des éclaircissements et que le texte laisse en suspens.
D’abord, si les recherches historiques sont souvent synonymes d’objectivité et d’exigence méthodologique, il n’en demeure pas moins que l’historien reste un homme avec son histoire, son vécu, mais aussi son ego, ses mythes personnels et ses partis-pris idéologiques. Et s’il y a certainement des «bourguibistes» sectaires qui cherchent à déifier l’homme, il y a aussi des anti-bourguibistes non moins sectaires, qu’ils soient islamistes, yousséfistes ou de gauche, qui ont du mal à supporter que le leader du Néo-Destour continue de faire vibrer le cœur d’une grande partie de la population.
La vérité, qui ne doit être ni le monopole, ni l’otage des historiens, aussi compétents soient-ils, elle, n’a pas de camp.
D’ailleurs, on peut se demander si, en s’attaquant à la chaîne et à son animatrice, accusées de diffuser une émission dithyrambique sur Bourguiba, et ce, au nom de la «vérité historique» et de la rigueur académique, le communiqué de la Fondation Témimi ne se trompe pas de cible. Car, ni El-Hiwar Ettounsi, ni Myriam Belkadhi n’avaient, vraisemblablement, la prétention de faire autre chose qu’une émission qui réponde à l’attente des téléspectateurs qui comptent dans leurs rangs de nombreux nostalgiques.
Habib Bourguiba et Salah Ben Youssef.
L’héritage bourguibien entre vérité et mythe
Ce soir-là, chacun était dans son rôle. On a fait de la télé, c’est-à-dire du spectacle, en présentant un produit destiné au grand public et non une conférence sur «l’héritage de Bourguiba».
S’il est légitime que M. Témimi cherche à «rétablir la vérité historique», à démythifier Bourguiba, l’homme et son héritage, à combattre les gardiens de son temple, il n’est pas moins légitime aussi que la mémoire du grand leader de l’indépendance reste vive pour une grande partie des Tunisiens.
Il est vrai, comme le dit justement M. Témimi, qu’il y a, aujourd’hui, une nécessité de réconcilier les Tunisiens et d’engager entre les différentes familles politiques un débat apaisé et serein, comme il y a urgence de revisiter notre histoire contemporaine, pour mieux l’éclairer. Mais, il est aussi impératif que cela soit fait sans tomber dans d’autres travers et servir aux Tunisiens de nouvelles légendes et de nouveaux mythes.
En attendant que ce débat ait lieu, on ne peut empêcher Bourguiba, aussi bien le leader que le premier président de la république tunisienne, de continuer à alimenter les polémiques, et à enflammer les passions. Et même si la mémoire de cet homme se trouve, de temps à autre, recyclée par certains politiciens opportunistes, il n’en demeure pas moins que cette grande figure historique interpelle encore l’imaginaire des Tunisiens, tout en continuant à déranger ses nombreux adversaires.
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