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Nidaa après les municipales : Y être ou ne plus y être ?

Nidaa Tounes en 2014, avant l’accession au pouvoir.

Décidément les dernières élections nous le confirment : «Il y a quelque chose de pourri au royaume de Nidaa Tounes»… Un mal inexorable travaille à y transformer l’or en boue et à faire de ce qui a été une «élection» une malédiction.

Par Hedia Yakhlef *

Voilà un parti né vite, né grand, produit d’une mystérieuse alchimie dont seules les situations «révolutionnaires» connaissent les mystères.

Un mouvement impérieux, fécond de mille espoirs, s’est posé; fort d’une promesse faite à un peuple de s’inscrire dans le sens de l’histoire positive et de maintenir le cap d’une marche vers une société libre, ouverte, démocratique, instruite et moderne; un modèle auquel beaucoup de tunisiens étaient attachés et qu’ils craignaient voir s’éloigner avec l’arrivée d’acteurs arrogants qui voulaient verrouiller la boussole politique sur des objectifs chimériques d’un autre temps.

Le rêve d’un homme nouveau et d’un peuple idéalisé

On était parmi ces Tunisiens inquiets qui ont rejoint Nidaa à ses débuts et qui ont contribué largement à son implantation locale et régionale.

Citoyens décidés à assumer leur responsabilité, on s’était engagés en politique, convaincus que le temps des confinements était révolu et que la destinée d’un pays était un combat et qu’il y avait bataille à mener pour faire vivre un projet de société qu’on se refusait à voir dans le repli frileux sur un passé mythifié et d’une identité fantasmée ou dans la fuite en avant d’une rêverie romantique d’«un homme nouveau» et d’un peuple idéalisé.

Par méfiance envers les idéologies préconstruites, aux schémas figés, on avait opté pour la réalité d’une «société du centre» incarnée dans une majorité de citoyens qui aspirent tout simplement à vivre mieux en réduisant les différences sans prétendre les éliminer, en amenuisant les inégalités pour les rendre plus justes, en généralisant le bien-être sans promettre des fictions impossibles, en somme, en ouvrant des perspectives réelles à notre société en mutation, confrontée aux défis des bouleversements du nouveau siècle.

Liberté, justice, bien-être, pluralité, tolérance, développement… autant de mots frappés du sceau du pragmatisme qu’on avait cru entendre quand il était question pour nous d’impulser une dynamique politique et de conforter la naissance d’un mouvement porteur qui avait pour réussir les forces vives et unies de ses composantes. Les quatre piliers d’une base qui alliait indépendants, syndicalistes, hommes de gauche et Destouriens du temps jadis.

Bel édifice dont la géométrie a séduit les Tunisiens, qui lui ont rapidement attribué un maître d’œuvre et l’ont consacré.

Murs qui se fissurent, façades qui s’écroulent, piliers qui cèdent

Ainsi est né Nidaa Tounes : une fière allure, une solide assise, un horizon clair et un chemin droit jalonné de nobles principes et valeurs et pavé de bonnes intentions.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette demeure et de ce qui fut un toit prometteur ?

Ah ! Le crève-cœur d’assister aujourd’hui, impuissant, à la désolation des lieux, de voir ces murs qui se fissurent, ces façades qui s’écroulent, ces piliers qui cèdent…

Force est de constater «la chute de la maison Nidaa».

Très vite, en effet, se sont déclarés les défauts de construction. On a beau crier, annoncer qu’il y avait péril en la demeure, personne ne voulait écouter celles et ceux qui furent les chevilles ouvrières de l’entreprise, les militants et militantes de base animés par le seul intérêt d’un projet commun au service de tous. On était les corbeaux qui croassaient dans le ciel serein.

C’était crier dans le désert de dire que les fondements ne tiendraient pas sous la charge lourde d’un pouvoir oligarchique et d’une ploutocratie. Nécessité fait loi, nous affirmait-on !

C’était aboyer dans le vide de rappeler qu’un parti politique, par définition, se doit de gouverner et de mettre en œuvre son programme. On nous sommait d’avaler la couleuvre ou de passer notre chemin. Exit alors syndicalistes et indépendants !

C’était radoter de rappeler notre socle de principes et de valeurs et de tenir ferme à cette pierre angulaire de la lutte contre l’obscurantisme et l’islamisation dogmatique et forcée et de refuser que l’adversaire d’hier devienne le compagnon d’aujourd’hui. Realpolitik nous rétorquait-on !

C’était «céder aux sirènes du populisme» de rappeler la nécessité d’une société plus juste et d’une politique déterminée à résorber la pauvreté et pas seulement obsédée par les seuls équilibres macro-économiques. On nous rembarrait et on laissait filer les prix…

C’était être disqualifié et traité d’agité du bocal de dire que le recyclage de l’ancien n’est pas fatalité et que récupérer les corrompus d’hier et blanchir les porte-voix du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir sous la dictature de Ben Ali, Ndlr) est une insulte pour nos militants et sympathisants. On nous priait de nous écarter et de laisser passer la caravane des ignominies…

Que dire d’autre ? Bien et bien des choses…

Il faut se dessiller les yeux pour affronter la réalité et constater que le beau château du conte est désormais peuplé de fantômes, un château hanté ou s’agitent des ombres noires, où souffle un vent nauséabond, où siffle la vacuité infinie. Un château qui menace ruine et débâcle.

Faudrait-il alors céder à la tentation d’abandonner la demeure et se dire «courage… fuyons» ! Laissons les tuiles s’écrouler sur la tête de ceux qui sont responsables de ce lamentable échec : symbolique, éthique, politique, idéologique, social et économique.

Le bilan est lourd et on pourrait en détailler tous les éléments, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut se laisser aller à la tentation de la table rase.

La reconstruction de l’ingénieuse architecture

La bâtisse est certes lézardée, mais nombreux parmi celles et ceux qui ont participé à la construction du parti, pensent que sur la carte du paysage politique, Nidaa occupe «un site» sociologique, culturel et idéologique réel et essentiel pour la sauvegarde du pays. Une classe moyenne-supérieure ouverte, tolérante, instruite, moderne, qu’il serait déraisonnable de larguer ou de déserter.

La solution n’est pas dans la pulvérisation du corps politique en groupuscules insignifiants sans envergure porteuse ni dans l’atomisation sur une infinie liste de «formations» qui n’ont d’indépendants que les volontés de positionnement individuel de leurs chefs de file.

Pour beaucoup d’entre nous, la pérennité de Nidaa est dans la reconstruction sur les «êtres» premiers de ce qui fut, au départ, une ingénieuse architecture, nous désignons par la cette topographie qui a su établir un «lieu» à une dynamique de convergence dont l’objectif majeur était et reste encore de sauver le pays de la ruine : la ruine de l’écroulement économique et la ruine des décombres des idéologies obscures et mortifères .

Certes, Nidaa apparaît aujourd’hui, pour reprendre les mots de Sartre, comme «ce grand cadavre à la renverse où les vers se sont mis.» Mais il ne nous paraît pas judicieux de se précipiter à l’enterrer fut-il en décomposition avancée.
Dans un autre contexte, le grand leader Farhat Hached insistait sur la nécessité de «préserver le navire surtout quand ça tangue par forte houle».

Pas question donc d’abandonner son poste. Ni débandade peureuse et désordonnée, ni folle colère, ni non plus lâche obéissance ou servile discipline. Plutôt de l’endurance et de la détermination. C’est là le courage : tenir bon contre l’arrogance, la bêtise et l’imbécillité. Redoubler de vigilance. Requérir plus de rigueur pour empêcher la dérive vers les récifs de la mort et retrouver le cap.

Alors y être ou ne plus y être?

La réponse nous paraît évidente. Elle est dans la persévérance.

Ce n’est pas parce que le navire est squatté par un mauvais capitaine ou de cyniques pirates qu’il faut abandonner.
Que faire donc et d’urgence pour restaurer ce «site» premier de Nidaa ?

Le rebâtir d’abord comme espace de réflexion et de débat, comme forum critique qui clarifierait les projets , les choix, les orientations, les stratégies et les modalités d’action afin de pouvoir aller devant les citoyens et les électeurs dans une transparence de nature à refonder le lien de confiance et l’espoir sans lesquels nul parti n’est viable.

Mettre fin à la prépotence des petits chefs

Si Ennahdha tient par la foi de son socle, Nidaa ne peut tenir que par la confiance restaurée. La démarche n’est certainement pas facile et sera longue. C’est ici le rôle des structures des bases locales et régionales de se mobiliser en assises pour évaluer le cheminement et les errements et dresser un bilan critique absolument nécessaire et exiger la tenue d’un vrai congrès où tout sera mis sur la table et examiné à la loupe des adhérents, des militants et des sympathisants.

Car enfin si être Nahdhaoui, c’est être dans l’adhésion «aveugle», l’adhésion à un dogme consacré et ritualisé ramenant sur l’échiquier électoral une masse animée par la foi inébranlable, être Nidaiste ne saurait être que dans «l’adhésion contractuelle» qui se tient par un programme régulièrement validé par des preuves tangibles que confirment l’effectivité de la parole donnée et l’ accomplissement des objectifs posés.

Ce n’est que dans le cadre de ce contrat que se réalisent la légitimité et l’autorité d’une direction quelle qu’elle soit.

Il est alors vital :

– de faire cesser, dans les plus brefs délais, les petits calculs, les combines et les micmacs des ambitions égoïstes qui ne peuvent mener que fatalement à l’échec;

– de juguler les camarillas du fric et de la prébende;

– de mettre fin à la prépotence des petits chefs et à la confiscation des décisions et des choix.

Ceci pour revenir à la vraie politique démocratique, citoyenne, transparente, faite dans le sens de l’utilité commune et conçue dans la participation de tous.

Puissent ces paroles trouver une oreille sage et résolue !

* Membre de Nidaa Tounes Sousse, professeur.

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