La conférence donnée par le célèbre journaliste français Patrick Poivre d’Arvor, hier, jeudi 20 décembre 2018, à l’amphithéâtre de l’Ecole nationale d’administration (ENA), a porté sur le journalisme, un métier complexe, délicat et exigeant.
Par Zohra Abid
L’invité de Bassem Loukil et Mohamed Aïssaoui, présidents de l’Alliance française en Tunisie, a parlé du champ éthique de la pratique journalistique, des libertés et des relations entre médias et responsables politiques. Vaste programme…
La conférence s’est déroulée en présence de l’ambassadeur de France en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor (frère cadet du conférencier), de journalistes, d’universitaires, de politiques, d’avocats et de représentants de la société civile.
Comment gérer le trop-plein d’informations?
Il y a, aujourd’hui, trop d’informations, une sorte d’«infobésité» et il est de plus en plus difficile de gérer ce flux incessant, alors qu’on est tenu de ne pas se précipiter pour annoncer. «Quand vous annoncez, sachez que c’est une responsabilité alors qu’il n’est vraiment pas indispensable de le faire tout de suite», a conseillé celui qui a quitté les plateaux télévisés il y a 10 ans et en 10 ans le monde a beaucoup changé et l’univers médiatique aussi, avec l’avènement des réseaux sociaux, concurrençant désormais les médias classiques.
«Entre-temps, le journalisme a évolué. Aujourd’hui, je ne suis qu’un consommateur», a avoué le conférencier avec le recul qu’il a désormais sur un métier qu’il a exercé pendant une trentaine d’années et qui a trop changé, aujourd’hui, avec une information, fausse ou vraie, circulant à la vitesse du vent. Il n’y a plus une vérité mais plusieurs vérités et on est tenu de les faire entendre toutes, en trouvant le ton le plus juste et le plus neutre possible. Ce qui constitue un exercice périlleux et dont le résultat n’est toujours pas bien compris et encore moins apprécié.
Eviter surtout la connivence entre médias et pouvoirs
Sur un ton de reproche, Patrick Poivre d’Arvor a parlé de la fâcheuse tendance de certains journalistes à vouloir donner leur propre opinion. «Il existe des journalistes qui ne sont intéressés que par ce que leur renvoient leurs collègues ou leur nombril en donnant leur propre opinion. Ils ne pensent pas en fait aux citoyens. Ils ne font pas leur métier en toute objectivité, en titillant, par exemple, les hauts responsables que ce soit de gauche ou de droite et qui sont généralement très armés pour répondre. Ces derniers ont en tout cas bien les moyens pour répondre et il ne faut pas hésiter un instant de les pousser dans leurs derniers retranchements», dit celui qui a interviewé la plupart des plus grands dirigeants français des trente dernières années, de Mitterrand à Sarkozy en passant par Chirac.
Se méfier de la connivence, ne jamais donner son opinion et savoir comment dire les choses quand il faut sont, selon le conférencier, les règles d’or du métier. «Il y a aussi des manières pour dire les choses. Car, au final, les gens se forgent par eux-mêmes leur opinion et ça ne sert à rien de leur bourrer le crâne par notre propre opinion puisqu’elle finit par être rejetée. Le journaliste se doit d’observer une distance vis-à-vis des politiques. Ce n’est certes pas facile mais il faut être droit dans ses bottes, avoir les reins solides et c’est sacrément important car tout le monde vous observe», a tenu à préciser Poivre d’Arvor. Humble, il n’omet pas de reconnaître quelques erreurs qu’il a lui-même commises au cours de sa longue carrière et qu’il regrette aujourd’hui. Comme l’annonce précipitée, en fin du journal télévisé, de l’explosion en plein vol de l’avion DC10 d’UTA, le 19 septembre 1989, sur un vol reliant Brazzaville à Paris via N’Djaména, qui a fait beaucoup de victimes, attentat attribué au régime Kadhafi. Il aurait fallu penser aux familles des victimes…
Les fake news, attention danger !
Il faut aussi se méfier des erreurs intentionnelles qui pourront faire basculer l’opinion, poursuit Poivre d’Arvor. «Le journaliste est tenu de donner toute la palette des couleurs. Les fake news véhiculées par les réseaux sociaux, ça va encore serpenter et c’est là où réside le danger», dit-il, en s’inquiétant des dérives du journalisme. Ces fausses informations, qui foisonnent sur les réseaux sociaux et qui sont souvent reprises sans vérification par certains médias, peuvent être prises comme des vérités absolues et induire de graves erreurs de jugement dans l’opinion.
Le journalisme est un métier formidable, reconnait-il cependant, c’est un capital important qui peut «irriguer les opinions en donnant toutes les informations permettant aux citoyens de se faire une opinion la plus juste possible.»
Cela, bien sûr, ne s’applique pas aux médias militants proches de tel ou tel parti, admet-il, mais il s’empresse d’ajouter que «le rôle d’un vrai journaliste consiste à dire les choses comme elles sont et non pas à les orienter. Le journaliste doit être le plus impartial possible. Il y a certes toujours une part subjective, car chacun a une origine et une appartenance, mais essayons de rester objectifs et de faire notre métier en toute impartialité», a-t-il conclu.
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