À l’occasion des législatives de dimanche prochain, 6 octobre 2019, 27 représentants de partis et organisations politiques seront représentés lors de trois débats télévisés qui se dérouleront le 30 septembre, le 1er et le 2 octobre (9 candidats par débat). Quels sont les enjeux et les défis sur lesquels devront porter les questions des journalistes ?
Par Moktar Lamari, Najah Attig et Samir Trabelsi *
Quels sont leurs programmes ? Leurs priorités? Leurs visions et idéologies ? Et comment vont-ils gouverner, s’ils étaient élus ? C’est pour répondre, entre autres, à ce genre de questionnements que trois débats télévisés sont organisés pour aider les 7 millions d’électeurs à mieux connaître les candidats aux élections législatives (15.500 candidats) et faire leur choix pour élire les 217 députés qui vont siéger dans un parlement plus efficace et plus responsable pour une législature époussetée (2019-2024).
Vingt-sept représentants de partis et organisations politiques seront représentés lors de trois débats télévisés qui se déroulent le 30 septembre, le 1er et le 2 octobre (9 candidats par débat).
La tâche est ardue, et les candidats présents à ces débats doivent convaincre et traiter des vrais enjeux qui intéressent les électeurs, aujourd’hui et de manière concrète. La présente chronique est la première d’une série de cinq traitant des trois débats télévisés organisés pour les élections législatives. Dans ce qui suit, il sera question des enjeux et des défis qui doivent être traités par les candidats (et leur parti ou organisation), s’ils veulent espérer être élus et mériter la confiance des citoyens.
Une image écornée !
Il faut dire que la pente est dure à remonter pour les candidats aux élections législatives prévues pour le 6 octobre 2019. Les Tunisiens et Tunisiennes sont déçus, voire dépités de la classe politique ayant enfanté les parlementaires élus en 2014. Plusieurs de ceux-ci sont critiqués pour leurs comportements délinquants, pour leurs manigances collectives dans le cadre de leurs alliances politiques, leurs compromissions avec la corruption, leurs accointances avec les lobbys de tout bord, et surtout leur responsabilité directe dans l’adoption de lois et des politiques budgétaires qui ont miné l’économie, ruiné le pouvoir d’achat et endetté le pays, comme jamais dans les 60 dernières années.
Les candidats aux élections législatives en cours doivent rassurer leur électorat, dévoiler leur plan, cibler les vrais enjeux socio-économiques et démontrer leurs capacités intellectuelles à proposer les voies et moyens pour faire sortir la Tunisie de son marasme économique et sa «désillusion démocratique». Eux, dont les collègues de la précédente législature se sont distingués par un absentéisme effarant (7 jours sur 10 payés et non travaillés par les députés), ont versé dans l’affairisme malsain en se réfugiant dans l’immunité pour ne pas affronter les tribunaux et trahi la confiance de leurs électeurs en changeant de partis et de clans, de valeurs… comme s’ils changeaient leurs chemises.
C’est eux aussi dont les collègues ont profité des deniers publics, des largesses salariales et abusé de leur pouvoir parlementaire pour intimider leur opposant, faire placer les leurs dans les meilleurs postes de la fonction publique, dans les meilleures universités et se sont offerts des privilèges aux meilleurs services publics : hôpital militaire, priorité chez Tunisair, gratuité, passeport diplomatique, escorte, primes diverses, logements multiples, etc.).
Plus déprimant encore, deux députés sur trois représentés dans le parlement sortant n’ont pas les minima éducatifs requis : ayant abandonné leurs études avant 17 ans, devenant de facto des illettrés en économie, en finances publiques, en numératie et en numérique. Et, malgré tout, ils ont gouverné comme si de rien n’était, sans vergogne et sans décence, pour les résultats qu’on connait tous!
Pour les élections législatives en cours, ils sont plus de 15.500 candidats, venant de plus de 220 partis et listes indépendantes, pour seulement 217 postes à pourvoir. La probabilité d’être élu est de seulement 1,4%. Et pour déjouer la loi de la probabilité, ils doivent connaître les enjeux et les défis du contexte socio-économique de la Tunisie d’aujourd’hui. Ils doivent exprimer un message clair sur les principaux enjeux et les solutions qu’ils envisagent de mettre en place, le cas échéant.
Les dix enjeux économiques des élections législatives
La Tunisie d’aujourd’hui est aux prises avec de nombreux enjeux et défis qui freinent son développement et handicapent le bien-être de sa population. Députés et partis politiques se doivent de présenter leur plan et dévoiler leurs programmes d’actions pour faire sortir le pays de sa paralysie.
Pour chacun de ces enjeux, les candidats aux élections législatives doivent avoir une réponse et développer une vision réaliste et étayée, chiffres à l’appui.
1- Le chômage constitue le principal souci et menace à la paix sociale. Avec plus de 630.000 chômeurs officiellement recensés, et plus d’un autre million de chômeurs déguisés, payés pour ne rien faire, la Tunisie ne peut pas contrer durablement le terrorisme, la délinquance, l’émigration clandestine, le marché informel et les tensions opposant régions déshéritées et régions nanties.
2- Le pouvoir d’achat préoccupe forcément les communautés et les familles tunisiennes. L’érosion récente du pouvoir met en péril le bien-être individuel et collectif. Depuis 2011, le Tunisien moyen a perdu presque 40% de son pouvoir d’achat, et ce par le jeu combiné de l’inflation et de la dévalorisation des taux de change du dinar. Les candidats aux législatives se doivent de démontrer leur compassion et expliciter leur capacité d’agir concrètement pour restaurer le pouvoir d’achat et le bien-être de manière durable et évitant les mesures trompe-l’œil
3- L’endettement du pays constitue un crucial enjeu stratégique qui fait craindre le pire : la faillite de l’économie et sa mise sous tutelle par les instances internationales. Le service de la dette (remboursement du principal et intérêt) gruge presque le quart du budget annuel de l’Etat et donc les taxes payées par les contribuables. L’État doit s’endetter pour payer sa dette (9 milliards de dinars annuellement). L’endettement étrangle la capacité du pays à investir dans les services publics et les infrastructures collectives.
4- L’administration publique est de plus en plus paralysée par ses lenteurs, son inefficacité, ses sureffectifs (800 000 fonctionnaires, dont les 2/3, sont improductifs). Et cela ne fait que reculer l’attractivité de la Tunisie pour les investisseurs internationaux et dégrader la qualité des services publics. La modernisation de la fonction publique passe par le licenciement de plus 200.000 fonctionnaires. Elle impose aussi une remise en cause des paradigmes régissant l’administration tunisienne depuis 50 ans en introduisant plus d’évaluation de reddition de compte et de transparence dans la gouvernance. Les réformes promises se font attendre, et la procrastination dure depuis au moins 5 ans.
5- La dévalorisation du travail et le développement de la culture d’assisté dans la société ne peuvent continuer à sévir de la sorte, pour saper les fondements de l’effort, péricliter la productivité et démolir la créativité. La situation est davantage préoccupante, voire démoralisante, quand la Tunisie se compare à des économies et sociétés comparables, y compris celles qui sont moins éduquées et moins libres dans le choix de leurs leaders politiques.
6- Des services publics en décrépitude : l’éducation, la santé, le transport et les services sociaux sont en perte de vitesse et les citoyens sont de plus en plus insatisfaits de ces services essentiels à la création du capital humain requis par la croissance, l’investissement et le bien-être collectif. Le système éducatif tunisien produit aujourd’hui de plus en plus de chômeurs et le système de santé de plus en plus de personnes fragiles, ou souffrantes et incapables de travailler et de créer de la richesse.
7- La corruption atteint le sommet de l’État. La Tunisie subit la loi de la corruption, dans quasiment tous les services publics et toutes les régions du pays. Presque 40% de la richesse nationale est détournée par les réseaux de corruption et par les marchés informels liés qui opèrent au grand jour : par le commerce des produits de contrebande, le change de devises, l’appropriation illicite des actifs publics, la privatisation de services publics, la surfacturation, etc. Le blanchiment de l’argent sale et l’évasion fiscale sont désormais monnaie courante.
8- Une diplomatie surannée et à la solde de groupes d’intérêts, nationaux et internationaux. Contrairement à des pays comparables, la Tunisie a développé une diplomatie a-économique et tournée vers la quête et la «mendicité», plutôt que vers la valorisation des avantages comparatifs, et la conquête des marchés et des zones d’influence.
9- L’hégémonie du FMI est de plus en plus palpable dans les choix publics et la prise de décision. La situation est telle que les diktats du FMI dessinent le domaine du faisable versus ce qui ne l’est pas. Les partis politiques doivent se prononcer à ce sujet et dire s’ils sont prêts à limiter l’influence du FMI et comment accéder aux prêts internationaux, tout en gardant leur autonomie et liberté d’agir dans la gouvernance des services publics. Les défis de l’efficacité de la politique monétaire sont au cœur de cet enjeu et la Tunisie doit moderniser son système bancaire, lui procurant plus de flexibilité et de performance jugée sur preuves et résultats sur l’investissement et l’appui à l’économie. La Banque centrale est de plus en plus aux ordres des diktats du FMI.
10- Le développement inégal entre les régions et les communautés continue d’handicaper le pays et de développer des frustrations divisives et génératrices de tensions et blocages à la valorisation des ressources naturelles dans les régions éloignées (phosphates, pétroles, eaux, etc.)
Tous ces enjeux sont cruciaux pour les débats électoraux. Espérons que les journalistes et électeurs en tiennent compte dans leurs approches et questionnements avec ces candidats prétendants au statut de parlementaire.
Ces enjeux feront l’objet d’une grille de notation devant pouvoir classer ces 27 candidats et partis ayant participé aux trois débats télévisés. Le tout dans le cadre d’un rating multicritère et axé sur la gouvernance des enjeux qui handicapent actuellement la croissance économique, la création de l’emploi et la promotion du pouvoir d’achat pour les années à venir.
* Universitaires au Canada.
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