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JCC 2019 : Une édition qui explore le cinéma de la diaspora féminine

« Tu mérite un amour » / « Un divan à Tunis« .

Un nouveau volet est venu s’ajouter cette année au programme des Journées cinématographiques de Carthage : «La diaspora», qui réunit des cinéastes arabes et africains installés à l’étranger; une initiative lancée par feu Néjib Ayed avec son équipe artistique, composée notamment de Lamia Guiga et Tarak Ben Chaabane.

Par Fawz Ben Ali

La diaspora comporte cette année 6 films de jeunes cinéastes originaires de Tunisie, d’Algérie ou encore du Lesotho, avec, notons-le, une participation féminine exceptionnelle, et pas seulement dans cette section mais également dans la compétition officielle et dans le reste du programme parallèle.

Parmi les six films de la diaspora, deux œuvres signées par deux réalisatrices d’origine tunisienne ont beaucoup fait parler d’elles cette année : ‘‘Un divan à Tunis’’ de Manele Labidi et ‘‘Tu mérites un amour’’ de Hafsia Herzi, deux jeunes cinéastes qui brillent de justesse et de créativité avec chacune son tout premier long-métrage.

Portrait de groupe avec… divan.

‘‘Un divan à Tunis’’ : renouer avec ses racines…

D’abord il y a la jeune Franco-tunisienne Manele Labidi qui a créé la surprise en ayant réussi à mettre en tête d’affiche la star internationale Golshifteh Farahani; c’est certes un coup de pub considérable pour la sortie du film, qui s’est avéré être une très belle première œuvre au-delà du casting 5 étoiles qui réunit également Majd Mastoura (Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale 2016 pour son rôle dans ‘‘Nhebek Hedi’’), ainsi qu’une belle distribution pour les nombreux seconds rôles, comme Jamel Sassi, Dalila Meftahi, Chedli Arfaoui, Hichem Yacoubi, Ramla Ayari…

‘‘Un divan à Tunis’’ suit le périple d’une jeune Franco-tunisienne qui décide de retourner à son pays natal la Tunisie, au lendemain de la révolution de 2011, pour ouvrir un cabinet de psychanalyse. Une démarche qui s’avère beaucoup plus compliquée que prévu face à l’incompétence des fonctionnaires de l’administration tunisienne.

Le film décrit de manière drôle et subtile les contradictions et les maux de la société à travers les témoignages intimes des différents patients qui s’installent tout à tour sur le divan de la psychanalyste, des histoires de mariage arrangé, de sexualité refoulée, de quête de soi… où pèsent entre autres le poids de la religion et du patriarcat.

Golshifteh Farahani.

Alors que les jeunes de son âge rêvent d’aller de l’autre côté de la Méditerranée, Manele Labidi a choisi de faire le voyage à l’inverse et de renouer avec ses racines pour mieux comprendre cette société qu’elle avait quittée alors qu’elle était encore enfant.

‘‘Un divan à Tunis’’, qui avait décroché le prix du public à la dernière Mostra de Venise, est un film léger et plein d’humour. Bien qu’il soit porté par une belle esthétique et une tête d’affiche remarquable, il se distingue surtout son un scénario fluide intelligemment écrit qui avait d’ailleurs bénéficié de l’aide du prix Sopadin pour les films au stade d’écriture.

Hafsia Herzi excelle devant et derrière la caméra

Un deuxième film complètement différent n’est pas non plus passé inaperçu cette année, c’est ‘‘Tu mérites un amour’’ de Hafsia Herzi, que l’on a connue comme actrice et qui a décidé de passer de l’autre côté de la caméra avec ce premier long-métrage qu’elle a écrit, réalisé, produit et interprété.

‘‘Tu mérites un amour’’ qui a fait partie de La Semaine de la Critique à Cannes, raconte la douleur d’une séparation amoureuse d’une jeune femme «Lyda», qui, après un an de relation, découvre que son petit ami la trompe. «Lyda» personnage principal du film est interprété par Hafsia Herzi qui exploite à travers cette histoire le deuil amoureux, la remise en question après une rupture, le désir féminin, la quête de l’amour, la liberté sexuelle…

Hafsia Herzi bien formée à l’école d’Abdellatif Kechiche.

Un film très féminin et à fleur de peau, fortement marqué par les codes esthétiques et narratifs du cinéaste franco-tunisien Abdellatif Kechiche, qui avait révélé la jeune actrice au grand public grâce au premier rôle qu’il lui avait offert dans ‘‘La graine et le mulet’’ en 2007 et qui lui avait valu le César du meilleur espoir féminin. Depuis, Hafsia Herzi est devenue une habituée et une élève de l’école Kéchichienne, ayant d’ailleurs joué cette année dans le dernier opus du maître ‘‘Mektoub my love’’, le film qui a fait scandale au Festival de Cannes pour les nombreuses scènes érotiques, voire pornographiques qu’il contient.

Mais Hafsia Herzi a aussi beaucoup fait parler d’elle cette année dans une autre affaire tout aussi scandaleuse. La jeune actrice et réalisatrice a été jugée devant le Tribunal de Paris pour injures à caractère racial contre un chauffeur de VTC.

‘‘Tu mérites un amour’’ illustre le courage d’une jeune génération de cinéastes qui se lancent dans une première expérience de réalisation avec très peu ou presque pas de moyens. Hafsia Herzi dit avoir financé le film avec seulement 1000 euros, grâce notamment à des acteurs bénévoles et surtout une volonté de fer.

Le résultat est là, un film émouvant, sincère et sans artifices, qui se conclut avec un très beau poème écrit par la peintre mexicaine Frida Kahlo, portant le même nom du film et qui a clairement inspiré Herzi dans l’écriture de son premier opus. «(…) Tu mérites un amour qui t’écoute quand tu chantes, qui te soutiens lorsque tu es ridicule, qui respecte ta liberté, qui t’accompagne dans ton vol, qui n’a pas peur de tomber (…)»

Après avoir été longtemps dominé par les hommes, le cinéma du sud s’est remarquablement féminisé ces dernières années. Et cette 30e édition des JCC illustre parfaitement cette dynamique féminine avec des réalisatrices qui donnent la parole aux femmes pour qu’elles puissent enfin parler d’elles-mêmes. ‘‘Adam’’ de Maryam Touzani, ‘‘Papicha’’ de Mounia Meddour, ‘‘Noura rêve’’ de Hinde Boujemaa, ‘‘Un divan à Tunis’’ de Manel Abidi, ‘‘Tu mérites un amour’’ de Hafsia Herzi… sont des beaux films parmi tant d’autres qui prouvent que le cinéma féminin n’est pas en reste, loin de là, il vient offrir une autre vision plurielle et juste du monde en général et des femmes en particulier.

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