Les partis et le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, ont signé une sorte d’un contrat de dupes intitulé «Plan d’action contractuel» (PAC), précisant les orientations et les objectifs de l’action gouvernementale pour la législature 2020-2024. Et sur la forme et sur le fond, ce document est redondant et démagogique : on y trouve les mêmes slogans recyclés et reformulés par les partis politiques, depuis 2011.
Par Dr Afifa Khazri *
Tout indique que les milieux politiques remâchent les mêmes slogans, dont certains sont inscrites et confirmées dans la Constitution de 2014, comme les libertés, les droits de la femme, la lutte contre les disparités régionales…
Face à cette redondance, le silence est plutôt total sur les enjeux et priorités économiques, monétaires et budgétaires. Un véritable black-out sur les réformes économiques, les politiques monétaires ou encore les enjeux de la fiscalité. Et cela fait peur aux acteurs économiques, aux milieux de la finance (formelle et informelle) et met encore plus d’incertitude et d’appréhension.
Les ententes entre les partis impliqués dans la constitution du gouvernement doivent parler des vrais enjeux, tant sur le plan politique que sur le plan économique et monétaire.
Le gouvernement Fakhfakh ne rassure pas
Sur le plan politique, les partis politiques représentés au sein du gouvernement Fakhfakh doivent revoir le système électoral pour favoriser la stabilité gouvernementale par le principe de la majorité absolue. La Constitution tunisienne a copié des constitutions parlementaires, mais sans se rendre compte que dans les démocraties modernes, le bipartisme reste le dénominateur commun des démocraties qui fonctionnent. Trop de partis génère l’émiettement, la parcellisation et ultimement l’impossibilité démocratique, démontrée par le Théorème d’Arrow, un économiste américain ayant obtenu le prix Nobel pour avoir démontré qu’avec plus que trois partis politiques dominants, l’instabilité des décisions politiques (et gouvernementales) peut être expliquée par l’incohérence (intransitivité) des préférences des partis… allant jusqu’à inviter la mise en place d’une gouvernance «dictatoriale» pour optimiser l’économie.
La stabilité politique est nécessaire pour une stabilité économique. En effet, le gouvernement Fakhfakh ne rassure pas, tant et aussi longtemps qu’il amalgame indifféremment des politiques publiques, budgétaires et fiscales, sans anticiper rationnellement les impasses de l’impossible faisabilité. C’est encore une fois, le théorème d’Arrow !
L’enjeu est de taille, puisque sur le front politique, la Tunisie a besoin d’importantes réformes pour remettre de l’espoir chez les acteurs économique. Exemple, la croissance ne peut revenir dans un contexte où la productivité, l’investissement, l’innovation sont incapables de retrouver leurs santé et dynamisme.
Amélioration de la productivité pour impulser la croissance économique
La productivité globale des facteurs doit se reprendre. La chute du PIB est largement expliquée par une productivité qui a été mise à plat… par un désinvestissement en capital, une démotivation de la valeur du travail… Récemment, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a traité du sujet : «60% des travailleurs tunisiens occupent des emplois informels à faible productivité, recourant peu à la technologie et sans aucune protection sociale». Les améliorations de la productivité sont nécessaires pour une croissance économique, les mécanismes et la rapidité dépendra des ententes entre les partis.
Malgré un glissement à la baisse, le taux d’inflation en 2019 reste monumental (6,6% en 2019), voire dangereux pour le pouvoir d’achat. On dirait que des mains invisibles veulent maintenir l’inflation à un niveau élevé pour pomper le pouvoir et éviter une inflation secondaire créée par la rareté, l’importation… et donc par la faible productivité fondamentalement dangereuse.
La diminution de crédit octroyé et une fiscalité trop lourde (selon l’OCDE, le ratio impôts/PIB en Tunisie est de 33% en 2019. À titre de comparaison, la moyenne des 26 pays d’Afrique figurant dans la publication est restée stable à 17,2 % au cours de la même période 2017) explique en partie le ralentissement de l’investissement et la mauvaise allocation des ressources en Tunisie.
D’après une analyse publiée dans la ‘‘Revue de la conjoncture économique’’ (mars 2019) de l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq), l’effort d’investissement en Tunisie connaît une baisse historique. Le taux d’investissement est passé d’environ 24% en 2010 à seulement 18,4% en 2018. Il est de l’ordre de 11% du PIB pour le secteur privé (y compris le logement qui représente environ 6%) et autour de 7% pour celui public.
Compromis sur la levée des contraintes pour relancer l’investissement
Bien que les raisons de la baisse de l’investissement soient relativement connues, celles du recul inquiétant du taux d’épargne ne le sont pas. Le taux d’épargne est passé de 21,4% en 2010 à moins de 8% en 2018.
Le déficit courant est dû au déficit de la balance commerciale. Le plus alarmant est que les exportations ont une croissance négative (-2% en 2019), malgré la dépréciation du dinar. En Tunisie, la sophistication des exportations est nécessaire, c’est-à-dire le fait que les entreprises tunisiennes soient capables d’aller au-delà de l’assemblage et des processus à faible valeur ajoutée.
Toutes ces réalités économiques et autres, nécessitent une entente sur des politiques et des mesures économiques destinées à assurer des conditions macroéconomiques (et microéconomiques) stables est importante pour la croissance.
En effet, à avoir un compromis sur la levée des contraintes pour relancer l’investissement des entreprises et, avec lui, la productivité, la création d’emplois, la compétitivité et le pouvoir d’achat de tous les Tunisiens. De même des ententes sur les structures institutionnelles et les politiques qui favorisent la concurrence et la flexibilité sur les marchés de capitaux et sur le marché du travail, sur la mise au point de nouvelles technologies et la diffusion de l’innovation et du progrès technologique.
La tâche du chef du gouvernement s’avère difficile pour avoir un compromis sur les politiques économiques adéquates étant donné les divergences idéologiques des partis constituants le prochain gouvernement.
* Universitaire au Canada.
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