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Ecologie: le virus qui cachait la forêt

Steven Donzinger, l’avocat tenace au secours des victimes d’un désastre écologique.

Apparemment, l’épidémie de Covid-19 aux Etats Unis, malgré ses nombreux morts (près de 40.000 à ce jour, 3 mois après) ainsi que les problèmes sanitaires, économiques, et politiques immenses qu’elle engendre, ne freine pas le cours de la justice, même à l’encontre d’un membre du barreau, «coupable» d’avoir fourré son nez dans les affaires d’une multinationale américaine ayant commis des dégâts écologiques dans un pays du tiers-monde.

Par Dr Mounir Hanablia *

Steven Donzinger, un avocat américain, défenseur durant 27 ans de 30.000 indiens de la région amazonienne de l’Etat de l’Equateur victimes d’un désastre écologique, en Amérique du Sud, a été inculpé par un juge New Yorkais d’obstruction à la justice, pour avoir refusé de lui communiquer le contenu de son ordinateur, et placé sous contrôle judiciaire, par bracelet électronique. Il a été par ailleurs provisoirement suspendu du barreau américain pour suspicion de corruption.

L’affaire remonte à 2011, lorsque plusieurs villageois équatoriens regroupés en association avaient décidé de porter plainte contre la multinationale américaine du pétrole, Chevron, suite au désastre écologique que l’exploitation pétrolière, durant plusieurs années, avait occasionné dans cette région, en particulier par la pollution permanente des cours d’eau et de la nappe phréatique.

La justice équatorienne avait condamné la multinationale en 2013 à des dommages et intérêts estimés à 19 milliards de dollars, réduits en appel à plus de 9,5 milliards de dollars, mais celle-ci, estimant que le verdict n’avait pas été équitable, avait refusé de s’exécuter, et faute de biens propres en Equateur de la multinationale, les plaignants n’avaient pu être dédommagés.

L’avocat Donzinger avait donc tenté d’obtenir l’exécution du jugement dans d’autres pays tels que le Brésil, l’Argentine, le Canada, mais sans succès.

L’action entreprise aux Etats Unis d’Amérique, en 2014, avait été déboutée par le juge Kaplan, qui avait donné raison à Chevron, en estimant que la justice équatorienne s’était rendue coupable de plusieurs entorses graves aux règles du droit, et à l’équité, en particulier du fait de l’immixtion du pouvoir politique, et de la complaisance injustifiable dont ont bénéficié les plaignants, dont les avocats auraient eu la liberté de formuler les termes du jugement.

Le juge Kaplan devait finalement décider d’interdire à l’avenir tout recours en justice pour cette affaire sur le sol américain. Mais l’action de la justice américaine avait elle-même semblé entachée de plusieurs irrégularités, relativement à un juge équatorien, qui avait reçu la somme de 1 million de dollars de la part de Chevron, pour aller témoigner à New York, et avait plus tard avoué avoir menti sous serment, en cette occasion. Et face au refus de l’avocat Donzinger de communiquer les documents électroniques demandés, le juge Kaplan avait décidé de lancer à ses trousses le bureau d’un procureur privé, qui s’est révélé être celui dont l’un des principaux clients n’était autre que la multinationale du pétrole.

En cela, l’affaire a donc pris l’apparence d’un harcèlement judiciaire, à l’instigation de Chevron, dans le but de détruire judiciairement, professionnellement, et personnellement, la crédibilité d’un avocat chargé de s’opposer aux déprédations environnementales d’une multinationale dans le tiers-monde.

Ceci a fini par susciter l’émoi de plusieurs personnalités américaines et 29 prix Nobel ont ainsi dénoncé les poursuites engagées contre l’avocat, qu’ils ont qualifiées de diffamation et de harcèlement judiciaire, dans une lettre ouverte, auxquels se sont associés plusieurs personnalités du monde des arts de la littérature, des droits humains, et du spectacle.

Selon Jodi Williams, prix Nobel de la paix en 1997, le but de Chevron est de faire un exemple afin de dissuader, à l’avenir, quiconque dans le tiers-monde serait tenté de s’opposer aux grandes corporations, au nom de la protection de l’environnement, de la justice, ou de quelque autre cause.

C’est ainsi qu’en dépit du contexte actuel, ou peut-être à cause de lui, la machine judiciaire américaine, représentant les intérêts de l’Etat dont elle fait partie, n’est pas neutre, et continue de tenter d’établir dans la discrétion des tribunaux, des faits accomplis, qui n’en rendront que plus ardue, toute remise en cause ultérieure des pratiques économiques et industrielles, ayant conduit aux grands désastres écologiques, dont l’actuelle pandémie au Covid-19, qui a fait tant de victimes, en Amérique et ailleurs, n’est que la dernière manifestation.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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