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Le poème du dimanche ‘‘Ode à la liberté’’ d’Alexandre Pouchkine

Né à Moscou en 1799, descendant d’une famille de la grande noblesse par son père et d’un ancêtre africain d’Abyssinie, Abraham Hannibal, affranchi et anobli, par sa mère, Alexandre Pouchkine est le grand poète national de la Russie et en reste le plus populaire et le plus illustre.

Chantre de l’amour et de la liberté, il peut être considéré comme «le créateur de la littérature russe moderne» selon le mot de Nikita Struve (‘‘Anthologie de la poésie russe’’).

Esprit critique, provocateur, rebelle, acquis aux idées libérales, il dénonce la tyrannie des tzars. Il fut envoyé en exil (1824-1826) et mis en résidence surveillée puis rappelé, après l’évolution politique, par l’empereur qui deviendra son protecteur. En 1831, il épouse une belle moscovite, Nathalie Gontcharova et doit faire face à de nombreux adversaires et beaucoup d’intrigues. Poussé à un duel, ce dernier lui fut fatal. Il meurt à Saint-Pétersbourg, en 1837, à l’âge de 38 ans.

La poésie de Pouchkine va droit à l’essentiel, limpide, simple, transparente, elle ne souffre pas d’artifices rhétoriques, dit des vérités profondes, touche les êtres dans une musicalité rare.

Poète, romancier, nouvelliste, auteur de contes et dramaturge, il a écrit aussi quelques poèmes en français, langue qu’il maîtrisa, jeune. Sa poésie fut mise en opéra par Tchaïkovski, Rachmaninov, Stravinski, entre autres et en ballet par Assafiev…

Parmi ses œuvres, (qui comptent plus de 21 volumes), ‘‘Eugène Onéguine’’; ‘‘La fille du capitaine’’; ‘‘Rouslan et Lioudmila’’; ‘‘Mozart et Salieri’’ (qui inspira au cinéaste Milos Forman, ‘‘Amadeus’’).

Tahar Bekri

Fuis, dérobe ton regard,
Faible tsarine de Cythère !
Où es-tu, où es-tu, terreur des tzars,
Fière chanteuse de la liberté ?
Viens, dépouille-moi de mes lauriers,
Brise ma lyre sans accents…
Je veux chanter la Liberté,
Terrasser le vice régnant.

Révèle-moi la noble trace
De ce gaulois sublime
Auquel, durant de célèbres malheurs,
Tu inspirais des hymnes audacieux !
Pupilles du destin volage,
Tyrans du monde, frémissez !
Et vous, prenez courage et voix,
Révoltez-vous, esclaves déchus !

Hélas ! Partout où mon regard s’arrête,
Partout des fouets, partout des fers,
La honte néfaste des lois
Les larmes impuissantes de la servitude;
Partout un pouvoir injuste.
Dans les ténèbres du préjugé
Ont pris force le terrible génie de l’esclavage
Et la fatale passion de la gloire.

C’est seulement là où, par-dessus la tête du tzar,
La souffrance du peuple ne se prosterne pas,
Qu’une liberté sainte
Unit puissamment les lois;
Là, leur bouclier protège chacun,
Là, serré par des mains sûres,
Indifféremment, sur les têtes des citoyens,
Le glaive de la justice glisse sans faire de choix,

Et punit le crime, le foudroyant
Avec autorité;
Là, les bras de la loi ne peuvent être corrompus
Ni par la cupidité ni par la erreur.
Seigneurs, la couronne et le trône sont vôtres.
C’est la loi qui vous le donne-non la nature.
Vous êtes plus puissants que le peuple,
Mais la loi est plus forte que vous.

Et c’est la désolation – ô désolation ! – pour les peuples
Si la loi imprudemment somnole,
S’il est possible au peuple ou au tsar
De prendre empire sur elle !
Je t’en prends à témoin,
O martyr de glorieuses erreurs !
Qui a perdu dans de récentes tempêtes
Pour tes ancêtres, la tête du roi.

Louis entre dans la mort.
Devant la postérité muette,
Appuie sa tête découronnée
Sur le billot de la perfidie.
La loi se tait – le peuple se tait,
Le couperet criminel tombe…
Et – le manteau de sacre du scélérat
Est étendu sur les gaulois enchantés.

Scélérat despotique !
Je te déteste, toi et ton trône,
Ta perte, la mort de tes enfants,
Je les vois avec une joie cruelle.
Les peuples lisent sur ta face
L’empreinte de la malédiction.
Tu es l’effroi de l’univers, la honte de la nature.
Sur terre, un reproche à Dieu !

Lorsque sur les flots d’ombre de la Neva
Brille l’étoile de minuit,
Lorsqu’un sommeil paisible
Alourdit la tête légère,
Le poète, pensif contemple,
À travers les couches du brouillard,
Le monument désert du tyran,
Le palais délaissé par l’oubli
.

Derrière ces murs terribles
Le poète entend la voix de Clio-
C’est la dernière heure de Caligula –
Il voit devant ses yeux que passent,
Il voit – dévorés de rubans et d’étoiles,
Enivrés de vin et de haine,
Que passent les meurtriers…
Leurs visages sont insolents, et l’angoisse est dans leur cœur.

La sentinelle infidèle se tait,
En silence le pont-levis est abaissé,
Dans la nuit la porte est ouverte
Par la main de la traîtrise, mercenaire…
O honte ! Horreur de nos jours !
Comme des fauves ont bondi les janissaires.
Les coups infâmes sont portés…
Le scélérat couronné a péri.

Apprenez ô tsars !
Ni punitions, ni récompenses,
Ni le sang des prisons, ni les autels,
Ne sont des barrières suffisantes.
Inclinez les premiers votre tête
Sous la justice des lois,
Et alors la liberté des peuples et la paix
Deviendront les gardiens éternels du trône.

1817, traduit par Hubert Juin

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