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Tunisie : ni démocratie ni dictature mais… un état de terrorisme

Rached Ghannouchi, Seifeddine Makhlouf et Hichem Mechichi.

En Tunisie, nous avons bien un pluripartisme et une liberté d’expression mais de façade, dominés par un projet politico-religieux incarné par le parti islamiste Ennahdha et porté par un mouvement planétaire qui s’insère dans le néolibéralisme de la mondialisation et les conflits entre blocs où il nous entraîne. Qualifier cela de démocratie serait donc tout aussi hasardeux que le baptiser dictature. Et si on s’en réfère à ses résultats depuis 10 ans, ce régime n’a fait que mener le pays, de retraite en débâcle, vers la faillite. Ni démocratie ni dictature mais… un état de terrorisme.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le parlement depuis l’intronisation de Rached Ghanouchi, président du parti islamiste Ennahdha, à sa tête a pris l’aspect d’un théâtre de l’absurde sans aucune cohérence ni logique apparentes, où d’aucuns, souvent des apologues du terrorisme, n’ont de cesse d’affronter leurs adversaires en usant de la violence verbale, physique, et surtout, de celle symbolique dont l’enjeu en est une appropriation réelle ou virtuelle des leviers de l’Etat.

Il y a eu des discours misogynes moyenâgeux similaires à celui des terroristes et des agressions contre d’autres députés, au sein de l’enceinte parlementaire. Il y en a eu dans la rue pour protéger, contre des manifestants, des associations obscurantistes avec l’aide des forces de l’ordre, puis contre la police des frontières à l’aéroport pour protéger une personne suspectée de connivence avec le terrorisme, et interdite de voyager.

En fait, les troubles qui secouent le nouveau parlement depuis son élection possèdent un enjeu qui dépasse largement sa composition politique ainsi que les ententes entre les partis assurant la majorité, dont le gouvernement a besoin, sinon pour gouverner, du moins pour se maintenir au pouvoir.

Les ennemis de l’Etat distillent leur propagande à grande échelle

Ainsi, si ce qui règne au parlement peut être qualifié de chaos, celui-ci semble afférer à la méthode, celle d’assurer l’emprise du discours et des valeurs terroristes, contre la loi, au plus haut niveau de l’Etat. Tout ce qui s’est passé ces derniers jours en a apporté l’illustration. Une manifestation légale a été dispersée par la police parce que ces mêmes députés qui violaient le couvre-feu menaçaient d’agir en usant de violence. Seifeddine Makhlouf (bloc Al-Karama), leur figure emblématique, n’a pas été arrêté en flagrant délit, alors que, entré de force dans une zone interdite de l’aéroport, il avait reçu, selon plusieurs témoignages, un objet suspect remis de la part de la personne frappée d’une mesure administrative d’interdiction de voyage, qui l’avait appelé à l’aide. C’est le procès du S 17, une mesure administrative de sécurité nationale, qu’on a fini par faire, après cet incident, et cela témoigne de la complaisance, pour ne pas dire, l’attitude irresponsable, de certains médias, permettant aux ennemis de l’Etat de distiller leur propagande à grande échelle.

Le facteur commun à tous ces événements, c’est d’abord l’impunité judiciaire assurée de facto aux responsables, en dépit des lois et des textes juridiques en vigueur. Cette impunité n’aurait pu être assurée sans le soutien politique du parti Ennahdha, dont la survie de Hichem Mechichi, à la tête du gouvernement et du ministère de l’Intérieur, dépend.

Noureddine Bhiri mouille la chemise pour Seifeddine Makhlouf

L’énigmatique Noureddine Bhiri (député Ennahdha), l’une des figures de proue du parti islamiste que beaucoup considèrent comme étant sa boîte noire, a cette fois jeté le masque, et n’a pas laissé le moindre doute relativement à la connivence de son parti avec celui de Seifeddine Makhlouf, en soutenant que ce dernier n’avait rien fait de répréhensible à l’aéroport, et que tout ce qui s’est passé avait été dû à l’alliance entre la présidence de la république, le Courant démocrate (Attayar), et Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) pour destituer Rached Ghannouchi de son siège de président du parlement, reprenant ainsi les dénonciations dont l’auteur est un autre apologue du terrorisme, le député crypto-islamiste Rached Khiari, après la diffusion d’un enregistrement clandestin des propos du député Attayar Mohamed Ammar. Ce qui est étrange c’est que ce même Rached Khiari ait accusé publiquement les époux Mohamed et Samia Abbou (Attayar) de placer la justice sous tutelle tout comme l’avait fait Noureddine Bhiri. Ce dernier a évidemment nié, sans convaincre. Et pour faire bonne mesure, il s’est mué en démocrate, en qualifiant Mme Moussi et son parti de fascistes.

Mme Moussi traîne évidemment toujours la casserole de ses années Ben Ali, qu’elle n’a jamais reniées et beaucoup lui reprochent son autoritarisme et même son culte de la personnalité. Est-ce à dire que son arrivée au pouvoir coïnciderait avec l’instauration d’un régime fasciste? Si on s’en réfère à ses discours, c’est plutôt au dirigisme d’Etat qu’elle ferait appel pour remettre le pays sur les rails, et on ne pourrait pas l’en blâmer tellement les investisseurs sont réticents. Mais toutes ces accusations se sont révélées très opportunes, elle ont détourné l’attention l’opinion publique de l’intervention de la ministre de la Justice par intérim dans des enquêtes contre des juges, accusés de corruption et surtout de dissimulation de preuves dans des affaires liées au terrorisme et aux assassinats politiques. Elles dissuadent désormais tous les députés tentés de rejoindre le wagon des signataires de la motion de censure contre Rached Ghannouchi. Et elles ont offert le mobile adéquat à des mesures autoritaires de la présidence du parlement contre ses détracteurs.

Abir Moussi victime d’agressions et de harcèlements

Désormais depuis que ses meetings drainent des foules de plus en plus nombreuses, Mme Moussi est en butte à un harcèlement judiciaire, le dernier tendant à l’accuser d’offenses envers des journalistes ou des préposées à l’hygiène du parlement; le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a déclaré à cet effet ne pas vouloir être entraîné dans les conflits entre partis politiques, mais comment qualifier alors toute la latitude dont un défenseur notoire du terrorisme, le député Khiari, ait pu bénéficier pour diffuser sa version des faits relativement à l’enregistrement fuité des propos du député Ammar?

Les journalistes se font malmener en Tunisie, c’est l’évidence même. Pourtant ils se prêtent à toutes formes d’instrumentalisations, y compris les plus suspectes. Ceci mériterait aussi certains éclaircissements. Mais la présidente du PDL s’est vue en outre signifier l’interdiction d’assister au déroulement des travaux du bureau de l’assemblée, d’y intervenir, ou de les perturber. Des agents sont même chargés de l’en empêcher. Ceci est une mesure manifestement illégale car la présidence de l’assemblée crée ainsi un précédent fâcheux, elle semble s’arroger le droit d’empêcher tout député à ses yeux politiquement incorrect d’accomplir la mission pour laquelle il a été élu, alors même qu’elle s’abstient de sanctionner ceux qui se rendent coupables de violations caractérisées de la loi.

La reprise en main autoritaire du parlement par Ghannouchi

En fait, depuis les dernières élections, il semble qu’il y ait eu trois phases parlementaires. La première a été celle où M. Ghannouchi a tenté de faire adopter subrepticement des projets de lois hypothéquant l’indépendance nationale, et où ses allées et venues vers Istanbul suscitaient des levées de boucliers. La seconde a été celle où Mme Moussi a pratiqué l’obstruction systématique afin d’obtenir son départ de la tête du parlement, et cela a coïncidé avec le refus du remaniement ministériel par la présidence de la république. La troisième est celle actuelle de la reprise en main autoritaire du parlement par M. Ghannouchi, décidé à écarter ses opposants grâce aux députés idéologiquement proches du terrorisme, avec la complicité du gouvernement.

M. Mechichi a en effet besoin d’un parlement aux ordres pour entériner les mesures impopulaires qu’il s’apprête à prendre à l’instigation du Marché Global, et contre la population. Mais le prix à payer pour le faire sera plus lourd que la dette et hypothèquera encore plus l’avenir: l’impunité accordée au terrorisme, la diffusion de ses valeurs au sein des masses, et la subordination de la loi à la politique. Ce serait évidemment discutable que de qualifier cela de fascisme. Le fascisme requiert le culte d’un seul leader paré de toutes les vertus, la présence d’un parti unique dont les agissements outrepassent la loi qui infiltre les rouages de l’Etat à tous les niveaux et intervient dans toutes les activités de la société afin de mobiliser les masses, une idéologie de la grandeur de la nation au détriment des autres peuples, y compris par l’usage de la guerre, une police secrète chargée de traquer et de neutraliser les opposants en collaboration avec une justice aux ordres.

En Tunisie il y a bien un pluripartisme et la liberté d’expression existe, du moins jusqu’à un certain point, dans le champ de l’information de masse, là où le décor de la démocratie est planté. Ailleurs, les particuliers peuvent être traduits en justice pour un écrit sur Facebook. Il n’y a pas de police secrète, mais avec les moyens de surveillance et les renseignements recueillis sur les réseaux sociaux et les téléphones portables, une telle institution est devenue obsolète. Désormais, on est capable de connaître jusqu’à la marque des vêtements portés ou aux goûts culinaires.

Des partis font l’apologie de la violence au parlement et contrôlent le gouvernent

Pourtant nous avons des partis politiques dominants qui sont porteurs d’un projet politique, obscurantiste dans sa version locale, et confessionnel à l’échelle planétaire, conduisant inévitablement à des conflits armés avec d’autres peuples. Ces partis prônent l’ultra libéralisme, usent et font l’apologie de la violence, au mépris des lois, en contrôlant le parlement et en subordonnant la survie du gouvernement à leurs propres intérêts, ils n’hésitent pas au besoin à faire descendre leurs partisans par milliers dans la rue. Quant à les qualifier de représentatifs de la volonté populaire, ce serait encore s’aventurer un peu vite, du moment que les rapports de la Cour des Comptes sur leurs financements ainsi que ceux de leurs campagnes électorales sont allègrement ignorés par l’État.

Autrement dit, nous avons bien un pluripartisme et une liberté d’expression mais de façade, dominés par un projet politico-religieux planétaire qui s’insère dans le néolibéralisme de la mondialisation et les conflits entre blocs où il nous entraîne; dont le financement n’est pas connu. Qualifier cela de démocratie serait donc tout aussi hasardeux que le baptiser fascisme. Et si on s’en réfère à ses résultats depuis 10 ans, il n’a fait que mener le pays, de retraite en débâcle, vers la faillite. On pourrait le qualifier d’état de terrorisme. L’Histoire jugera un jour sévèrement l’apathie du peuple tunisien face à cette entreprise de l’aliénation nationale.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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