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L’affaire de l’enregistrement clandestin des députés : le scandale n’est pas celui que l’on croit

Mohamed Ammar / Rached Khiari: «Mentez, mentez! Il en restera toujours quelque chose.»

Un député qui avait il n’y a pas si longtemps, impunément et publiquement, justifié un acte terroriste dans un pays étranger, a enregistré et diffusé à son insu les propos d’un autre député, mythomane qui jouait les matamores. Le but de cette mascarade : salir le président de la république. Les médias ont fait chorus sans s’attarder sur le caractère malveillant de toute la manœuvre. Joseph Goebbels, le ministre de la propagande nazi, disait: «Mentez, mentez! Il en restera toujours quelque chose.»

Par Dr Mounir Hanablia *

Il y a 23 ans, la Clinique El Amen avait réuni un groupe d’éminents cardiologues dans un hôtel de la banlieue nord pour constituer une filiale, la société d’actionnaires chargée de réaliser le projet dit Amen Cœur. Ce projet était né de la frustration de nombreux membres de la profession face aux pratiques autoritaires et exclusives de la Clinique cardiovasculaire de la Cité El-Khadra qui, à l’époque, détenait le monopole de l’activité du cathétérisme dans le champ de la cardiologie libérale.

Après les préambules habituels sur la rentabilité certaine du projet, Kamel Kasbi, le président directeur général de la société mère, Clinique El Amen, détentrice de 51% des parts, avait estimé que la nouvelle structure serait opérationnelle dans deux années. Les cardiologues intéressés avaient été invités à contracter des emprunts, évidemment auprès d’Amen Bank. Aussitôt la nouvelle société constituée, les membres de sa direction bénéficièrent de salaires conséquents, en particulier le directeur médical, qui était en même temps député, conseiller municipal, et chef de service hospitalo-universitaire.

Le rapport pathologique à la vérité

En fait Amen Cœur n’ouvrit ses portes que plus de 7 années plus tard et les dividendes des actionnaires en furent finalement modestes. On attribua ce retard au refus de la municipalité de Tunis d’accorder l’autorisation pour un parking souterrain, au sol argileux, à l’eau souterraine. Dieu sait tout ce qu’on a invoqué pour le justifier.

Entretemps les cardiologues avaient commencé à rembourser leurs crédits et deux nouvelles structures de cardiologie concurrentes avaient vu le jour. Cela n’avait pas empêché le PDG de la société mère, la Clinique El Amen, de lancer deux années après la constitution d’Amen Cœur et cinq ans avant son ouverture, un nouveau projet situé en Libye, Amen Tripoli, dans lequel il entendait comme d’habitude impliquer les médecins, à concurrence de 49% du capital. Afin de convaincre de participer ceux-là mêmes qui s’étaient estimés floués par le retard pris par la réalisation du premier projet, qui n’avait pas encore vu le jour, pour lequel ils s’étaient endettés, le PDG d’El Amen, un homme très distingué, figure bien connue des terrains de golf, avait sorti une nouvelle carte de sa manche. Il affirma que Seif El Islam Kadhafi, le fils de feu le Colonel, était intéressé, et que le projet allait rapporter de l’or.

La ficelle était cette fois un peu grosse. On ne voyait pas la famille Kadhafi, avec toutes les richesses issues du pétrole Libyen, s’intéresser à une malheureuse petite clinique établie grâce au génie administratif et médical tunisiens. À ma connaissance, le projet ne vit finalement pas le jour.

Rached Khiari, Mohamed Ammar, Seifeddine Makhlouf et les autres

J’ai évoqué ces faits pour démontrer le rapport pathologique à la vérité entretenu par une partie non négligeable de la population, et qui frise souvent la mythomanie. L’affaire des révélations du député (Rached Khiari, Ndlr), enregistrant et diffusant les propos de son collègue (Mohamed Ammar, Ndlr), en est une nouvelle illustration. M. Khiari est ce député qui avait approuvé l’exécution rituelle de l’instituteur français Samuel Paty. Malgré les lois en vigueur, il n’avait été ni sanctionné au niveau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ni jugé. Cela le situe donc déjà dans la mouvance de tous ceux qui agissent par substitution pour réaliser des actions ou exprimer des opinions légalement et politiquement incorrectes, et qui en échange bénéficient de l’impunité pour le faire, et au plus haut sommet de l’Etat.

M. Khiari n’est certes pas le seul dans ce cas. Son collègue Seifeddine Makhlouf, après l’affaire de la filiale de l’Union internationale des oulémas musulmans (UIOM), où il s’était illustré, de la manière que l’on sait, vient une nouvelle fois de se signaler, cette fois au détriment des agents de la police des frontières, à l’aéroport de Tunis-Carthage, en essayant de faire franchir de force les contrôles de police à une personne sous le coup d’une interdiction de voyager, et suspectée de terrorisme.

Mais dans tout ce qui a été dit sur le député Rached Khiari, personne n’a rappelé ses prises de position relativement à l’assassinat de l’instituteur français, qui suffit déjà à situer le personnage, et à éclairer les motivations de ceux pour le compte de qui il agit. Il s’est même exprimé sur les ondes de la Radio nationale. Après cela, il est difficile de dire que les lois antiterroristes soient en vigueur, ou que ceux qui soutiennent le terrorisme n’aient pas de facto droit à la liberté d’expression, ou même, au soutien des autorités. À partir de cela, ce n’est pas ce que fait ou ce qu’exprime ce député qui constitue le scandale, mais qu’il puisse le faire, et en toute liberté.

On cherche à salir le président Saïed pour le compte de qui ?

Pour donner le change, on a pourtant fait mine de condamner ce nouveau Juda (Rached Khiari, Ndlr) qui profite de l’hospitalité qui lui est offerte pour dénoncer son hôte (Mohamed Ammar, enregistré à son insu, chez lui, Ndlr) et qui a prétendu ne l’avoir fait qu’au nom de la sécurité nationale du pays, menacée selon lui par un président machiavélique (Kaïs Saïed, Ndlr), et l’intrusion, jugée malfaisante dans un pays toujours imprégné de machisme et de misogynie, de deux femmes dans les rouages de l’Etat, Ichraf Saied, l’épouse du chef de l’Etat, et Nadia Akacha, la directrice du cabinet présidentiel.

En fait, l’«implication» de ces deux femmes dans cette affaire établit un profil assez exact des mentalités de tous ceux qui essaient d’en tirer un bénéfice politique. Et tout ce qui a été dit, personne n’a supposé un seul instant que le député Ammar ait pu avoir proféré des mensonges impliquant le président de la république et son entourage, tout comme M. Kasbi, le PDG d’El Amen, avait menti sur l’implication de la famille Kadhafi dans le projet qu’il entendait vendre aux médecins. M. Ammar était vraisemblablement à la recherche des 4 députés manquants pour faire passer la motion visant à déboulonner Rached Ghannouchi de son poste de président de l’ARP. Il a reçu M. Khiari parce que ce dernier avait annoncé son ralliement à l’initiative, et souhaité bénéficier des éclaircissements nécessaires. Afin de souligner sa propre importance, montrer qu’il était dans le coup, et convaincre son interlocuteur de la pertinence de son choix en se ralliant au camp des vainqueurs, le député Ammar peut avoir eu des propos dont rien ne prouve en fait la véracité, et il a fait des promesses qui n’engagent que lui. L’important pour lui était d’obtenir la signature du transfuge dans le vote de destitution contre M. Ghannouchi.

Les traitres ne sont pas ceux que l’on désigne ainsi

Que le président Saied ne porte pas messieurs Rached Ghannouchi et son allié Nabil Kaoui (président du parti Qalb Tounes, poursuivi en justice pour évasion fiscale et blanchiment d’argent, Ndlr) dans son cœur est une chose. Beaucoup de Tunisiens partagent après tout son antipathie à leur égard, et jugent même la présence du président d’Ennahdha à la tête de l’ARP néfaste pour le pays. Et pour ceux qui ont parlé de trahison, on ne peut pas affirmer que M. Karoui ait été très respectueux de ses engagements envers ses électeurs. Mais que l’épouse du président ait assez de pouvoirs pour convaincre la chambre de mise en accusation de ne pas relâcher le patron de Nessma TV, serait étonnant. Elle n’en a pas eu assez pour faire changer la décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) de la faire muter de Tunis à Sfax. Et jusqu’à preuve du contraire, la seule personne qui se soit immiscée dans le cours de la justice, ces temps derniers, fut bien la ministre de la Justice par intérim (Hasna Ben Slimane, Ndlr), au point de se faire taper sur les doigts par l’Association des Juges, le Conseil de l’ordre des avocats, et des associations de la société civile.

En conclusion, que peut-on conclure de toute cette mascarade visant à salir le président de la république? Un député qui avait il n’y a pas si longtemps, impunément et publiquement, justifié un acte terroriste dans un pays étranger, a enregistré et diffusé à son insu les propos d’un autre député, mythomane qui jouait les matamores. Les médias ont fait chorus. Joseph Goebbels, le ministre de la propagande nazi, disait: «Mentez, mentez! Il en restera toujours quelque chose.»

Triste pays, tristes mœurs, triste démocratie!

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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