Les médecins ont déjà suffisamment souffert de l’image d’hommes d’affaires impitoyables ou de professionnels malhonnêtes, que l’opinion publique leur a injustement prêtée pendant des années. Faut-il qu’ils perdent encore une occasion de rétablir la crédibilité et l’honneur de leur profession en payant le tribut du sang dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, parce que quelques uns parmi eux, ayant dans ce contexte dramatique quitté l’hôpital public, finissent par jouer les Oui-Oui à la télévision, en se prêtant aux fantasmes de réalisateurs obsédés de l’audimat ?
Par Dr Mounir Hanablia *
Il fut un temps où le médecin représentait la marche ultime du savoir, de la compétence et du dévouement. Si l’on en juge par le nombre de plus en plus élevé de collègues martyrs tombés au champ d’honneur de la guerre contre le coronavirus, le courage, l’abnégation, et le sens du sacrifice ne font toujours pas défaut au sein d’une profession soumise de plus en plus à un mercantilisme débridé, mais où l’adage «dis-moi ta souffrance , je te dirai qui tu es», constitue un principe concrétisé dans le traitement quotidien des malades, particulièrement en cette période de pandémie.
Il y a donc la réalité vraie de la profession, c’est celle de ces collègues qui tous les jours nous quittent, victimes du devoir, en laissant derrière eux des regrets immenses. Mais il y a aussi sa réalité fictive, c’est-à-dire la représentation que nos concitoyens se font de nous, et qui relève autant du fantasme que du politique. Il y avait eu à Moscou en 1953 le procès des blouses blanches, une mise en scène à grand spectacle instrumentalisée par Staline pour justifier de la réalité d’un prétendu complot impérialiste.
La réputation ternie de la médecine libérale
Chez nous, on a déjà vu comment un prétorien s’était servi d’une poignée de collègues pour légitimer sa prise du pouvoir, et de quelle manière, par le biais d’émissions télévisées tendancieuses, il avait plus tard terni le prestige et la réputation de l’ensemble de la médecine libérale alors qu’il en préparait l’investissement par les fonctionnaires de l’Etat, sous sa dépendance.
Les relations entre la médecine et les moyens d’information de masse sont donc souvent beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît, particulièrement quand l’Ordre des Médecins se révèle indifférent à l’imposition et au respect de normes de communication à ses affiliés afin de sauvegarder les intérêts moraux de la profession.
Une émission (Angelina-19, Ndlr) quotidiennement diffusée au cours du mois de ramadan à une heure de grande écoute sur une chaîne télévisée (Nessma TV, Ndlr), dont le propriétaire est un ancien candidat à la présidence de la république actuellement emprisonné (Nabil Karoui, Ndlr), en constitue la dernière des illustrations.
Ce qui est intéressant du point de vue du téléspectateur, quand il est médecin, c’est de voir un collègue bien connu se prêter en compagnie du sosie d’une célèbre actrice du cinéma international, à une farce dans le but de piéger chaque jour une personnalité différente, en la plaçant dans une situation absurde de vaccination plus ou moins régulière contre le coronavirus, entraînant des complications médicales, pour susciter chez la personne piégée une réaction sous le coup d’une émotion soudaine, en général l’angoisse ou la colère.
Une émission nuisible, un médecin à contre-emploi et des polémiques…
Cette émission a déjà suscité une polémique. Selon un article publié dans un quotidien, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a jugé cette émission nuisible au programme de vaccination de masse Covax et a demandé le retrait du nom de cette actrice, qui avait participé sous l’égide de l’Onu à de multiples missions humanitaires. Le réalisateur a rétorqué qu’il ne traitait que d’un sujet bien connu, celui des pays en développement soumis au diktat de Big-Pharma, et que le peu d’engouement pour la vaccination ne résultait pas de son émission, mais de la défiance de la population envers la classe politique.
Il ne paraît pas ici opportun de juger des effets d’une telle émission sur le sens civique de la population, le débat ne sera jamais clos. Par contre la présence d’un collègue cardiologue dans ce canular pour y conférer l’indispensable onction de la science peut surprendre, et pas seulement la victime. Si le réalisateur met en scène une situation où la vaccination entreprise dans des conditions illégales, ainsi que l’a justement souligné un député victime du canular, provoque des malaises et des complications chez les personnes vaccinées, la participation d’une figure médicale devenue emblématique grâce, il est important de le dire, à ses apparitions multiples sur les plateaux télévisés, devient, dans le contexte, contestable et même critiquable.
En règle générale, les personnes considérées comme des sommités scientifiques apparaissent dans les médias pour éclairer l’opinion publique sur les sujets relevant de leurs compétences, sinon pour révéler à tout le moins un aspect humain favorable de la personnalité que le public ne leur connaît pas. Et parfois elles font rire à leurs dépens, de bonne grâce d’ailleurs quand elles sont victimes du canular. Qui plus est, quand on est médecin et qu’on joue son propre rôle, même dans un scénario de mauvais goût, c’est toujours sa crédibilité professionnelle qu’on se doit de sauvegarder, et à tout prix. Autrement, les gens ne sauront plus le jour venu quand le besoin s’en fera sentir, s’ils ont affaire à l’acteur qui essaie de tromper, ou bien au professionnel qui dit la vérité.
Evidemment les hommes politiques ne font que jouer des rôles sur la scène médiatique et ce dans tous les pays du monde. Dans le nôtre, nous avons bien des derviches et des terroristes qui jouent les démocrates, des Méphistophélès qui se drapent dans les atours de la sainteté, mais rares sont ceux parmi la population qui ne savent pas à qui ils ont affaire et nul ne croit plus en leurs professions de foi.
Les médecins, eux, ont déjà suffisamment souffert de l’image d’hommes d’affaires impitoyables ou de professionnels malhonnêtes, que l’opinion publique leur a injustement prêtée pendant des années. Faut-il qu’ils perdent encore une occasion de rétablir la crédibilité et l’honneur de leur profession en payant le tribut du sang dans la lutte contre la pandémie, parce que quelques uns parmi eux, ayant dans ce contexte dramatique quitté l’hôpital public pour des raisons qui leur sont propres, finissent par jouer les Oui-Oui à la télévision, en se prêtant aux fantasmes de réalisateurs obsédés de l’audimat ? Pas plus que le vaccin, le ridicule ne tue heureusement pas.
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