Dans son discours d’ouverture du séminaire organisé par son parti, le samedi 6 juin 2021 à Tunis, consacré à la crise économique en Tunisie et aux moyens d’en sortir, le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, également président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a appelé à l’unification de la voix de la Tunisie à l’étranger. Il a raison, mais ne doit-il pas commencer par donner lui-même l’exemple ? La comédie politique a trop duré et dépassé toutes les limites de l’acceptable.
Par Raouf Chatty *
Ce message du chef islamiste, visiblement destiné aux responsables des plus hautes institutions de l’Etat, dont le président de la république Kaïs Saïed et le chef du gouvernement Hichem Mechichi, en dit long malheureusement sur la façon dont est gérée la politique étrangère dans notre pays. Ghannouchi reconnaît, entre les lignes, qu’une grande confusion règne dans la diplomatie tunisienne qui a coûté très cher à l’image de la Tunisie à l’étranger.
Depuis l’indépendance de notre pays en 1956, la diplomatie tunisienne n’a jamais connu le cafouillage qui la caractérise actuellement. Ce cafouillage avait en fait commencé de s’installer dans le paysage politique avec l’accession de Ghannouchi au perchoir.
Des incursions intempestives dans le champ diplomatique
Par ses actes touchant de manière directe, franche et répétée à la politique étrangère, qui est un domaine réservé par la Constitution au président de la république, le chef islamiste a consacré cette pratique dans les faits. Ses immixtions répétées dans ce domaine ont largement contribué à envenimer les rapports entre les présidences de la république et du parlement.
Au parlement, plusieurs députés ont maintes fois saisi l’occasion en plénière pour critiquer cette attitude. Lui, de son côté, ne cesse de souffler le chaud et le froid. Il y a quelques jours, il a, dans une déclaration, souligné que la Tunisie vit dans un régime politique parlementaire, insinuant que c’est bien le parlement qui dessine la politique internationale de la Tunisie et qu’il était donc légitime que le chef de l’instance législative acte en matière de politique étrangère.
Nous savons tous que, depuis son élection au perchoir, Ghannouchi a choisi de disputer au président de la république le dossier diplomatique et de lui faire ainsi de l’ombre. Il tenait à donner une large publicité médiatique à son action dans le domaine des relations internationales, comme lors de ses voyages à l’étranger et de ses entretiens avec les plénipotentiaires accrédités en Tunisie.
Les chancelleries étrangères joue-t-elle le jeu de Ghannouchi ?
Il faut rappeler dans ce cadre ses contacts téléphoniques avec l’ancien chef du gouvernement libyen Fayez Sarraj en pleine crise libyenne, sa visite à Ankara pour rencontrer le président turc Recep Tayyip Erdogan, visite non annoncée officiellement et qui a suscité de vives critiques au parlement et dans des médias, ou sa récente visite au Qatar… intervenue quelques mois après celle effectuée par le président de la république.
Toutes ces actions qui touchent au cœur de la politique étrangère de la Tunisie se font évidemment en l’absence de toute coordination avec le président de la république, qui n’en est même pas informé ni tenu au courant de leur tenants et aboutissants, et qui plus est, au vu et au su des chancelleries étrangères qui, visiblement, ont tendance à épouser le processus et à chercher par leurs contacts avec le président du parlement à insinuer que la politique étrangère est façonnée et gérée par ce dernier.
La crise institutionnelle au sommet de l’Etat provoquée par ce comportement pour le moins léger et inacceptable de Ghannouchi a contribué à envenimer la situation déjà moyennement tendue au sommet de l’Etat. C’est ainsi qu’on a vu le chef du gouvernement se rendre en voyage officiel au Qatar en pleine crise politique et économique en Tunisie, quelques semaines après la visite du chef de l’Etat dans ce même pays. Et lui aussi sans concertation avec le Palais de Carthage.
Ces scènes surréalistes participent de l’alignement de notre politique étrangère sur des axes étrangers, qu’il s’agisse des pays Golfe ou autres, et desservent la Tunisie. Nos dirigeants semblent oublier la fameuse règle de politique étrangère selon laquelle les États n’ont pas d’amis ni d’ennemis éternels, mais des intérêts à nationaux à défendre. Osons espérer que le président du parlement commencera par mettre ses actes en conformité avec ses paroles et participer à la normalisation du fonctionnement à la tête de l’Etat. Les prochains jours nous diront s’il est sincère ou s’il continue à flouer les Tunisiens par des déclarations en nette contradiction avec ses actes…
* Ancien ambassadeur.
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