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Comment réduire nos déchets organiques et alléger nos poubelles

La récente crise environnementale provoquée par les problèmes de la gestion des ordures à Sfax incite à envisager des solutions durables.

A côté des nuisances environnementales, l’enlèvement, le transport et l’enfouissement des ordures coûtent très cher à la collectivité. En Tunisie, les ordures ménagères sont très riches en matières organiques. La valorisation de ces déchets à l’amont au niveau des ménages permettra une réduction sensible de la quantité d’ordures. Les poules représentent un moyen efficace de se débarrasser d’une partie de ces ordures et permettent d’obtenir des œufs frais de bonne qualité. Le compostage (microbien ou le lombricompostage) permettra de produire un excellent compost pour fertiliser le jardin, les pots de fleurs… Par ailleurs il est indispensable de développer, chez nos concitoyens et surtout chez les jeunes, la culture et un engagement fort en faveur de notre environnement.

Par Ridha Bergaoui *

Le problème de la décharge d’El Gonna à Agareb, l’accumulation des ordures dans les rues de Sfax durant plus de quarante jours et les nuisances qui l’ont accompagnée, la réouverture de la décharge par la forces de l’ordre et les affrontements avec les habitants qui ont suivi ont mis à nu le grave problème des ordures ménagères et notre façon désuète de le résoudre.

Continuer à enfouir pêle-mêle les ordures, avec des décharges complètement saturées, n’est plus possible. Les coûts sont très élevés et les dommages à l’environnement sont considérables (lixiviats, gaz toxiques…). Les habitants et la société civile sont réticents et ne veulent plus de décharges dans leurs régions pour les diverses nuisances qu’elles occasionnent.

Tout le monde s’accorde pour reconnaître la nécessité et l’importance économique et sociale de valoriser nos déchets par le tri et le recyclage des différents composants.

Des ordures riches en matières organiques

En Tunisie, nos ordures ménagères sont constituées de près de 70% de déchets organiques (surtout des déchets de cuisine et des restes de repas et de nourriture), 10 % de plastique, 10% de papier et 10% autres (tissu des vêtements usages, cuir, métaux…).

L’Agence nationale de gestion des déchets (Anged) estime, en 2019, à 3 700 000 tonnes la quantité de déchets organiques composables et mobilisables dont 30% dans le grand Tunis. La moyenne serait à peu près de 0,8 kg/habitant/jour. Elle varie de 1 kg en ville à 0,15 kg seulement en milieu rural.

Le plastique recyclable (bouteilles et films), le papier, les métaux, le pain sont en partie récupérés, par les chiffonniers ou «barbachas» qui opèrent en ville comme dans les décharges, et sont orientés vers le recyclage. Les matières organiques malheureusement ne sont pas valorisées et font l’objet de fermentations à l’origine de mauvaises odeurs, de pullulation d’insectes et d’animaux qui rodent autour de ces déchets pour s’alimenter et qui représentent un réel danger pour le citoyen.

Pourtant ces déchets peuvent être valorisés et recyclés. Nous citons ici trois possibilités intéressantes et modernes de valorisation des déchets organiques au niveau individuel, des ménages et profitables aussi bien pour les personnes que les collectivités.

1/ Les poules, une redoutable machine à broyer du vert

La poule est en principe un oiseau granivore. Toutefois elle mange de tout et affectionne beaucoup la verdure, les déchets de cuisine et les restes de fruits et de nourriture (y compris les restes des viandes, poisson…). Une poule peut consommer 300 grammes de déchets/jour soit de 100 à 150 kg/an.

Pour ceux qui disposent d’un petit espace ou un jardin, il est possible d’aménager un petit enclos et élever quelques poules, en rapport avec la quantité de déchets disponibles, et les nourrir de ces déchets. Cette méthode présente l’avantage de se débarrasser des déchets fermentescibles et encombrants et de produire des œufs de consommation de qualité. Il faut préciser que les déchets ne constituent pas un aliment équilibré pour permettre une bonne production d’œufs. Il serait nécessaire de compléter par une petite quantité d’aliment concentré ou de déchets de blé ou autre.

On peut espérer une production de 150 à 160 œufs/an/poule. Soit à peu près la consommation moyenne des œufs /habitant/an. En élevant quatre poules dans son jardin, une famille de 4 personnes n’aurait plus besoin d’acheter des œufs, aurait des œufs frais toute l’année et se serait débarrassée de près de 500 kg de déchets.

Cette solution a été toujours pratiquée par nos parents avant l’arrivée de l’aviculture industrielle et l’urbanisation à outrance qui s’est traduite par la construction de grands immeubles d’habitation pour loger les nouveaux citadins.

Elle est de nos jours tendance dans de nombreux pays comme la France où certaines communes et associations encouragent leurs concitoyens à élever des poules. Celles-ci sont cédées selon plusieurs modes : gratuitement, à un prix symbolique, louées, prêtées, adoptées… Cette tendance s’inscrit dans une démarche environnementale et d’alimentation durable et de proximité. L’intérêt principal étant de réduire la quantité de ces déchets organiques et les frais de transport et de traitement.

L’utilisation des poules est une approche intéressante mais reste limitée en raison des nuisances sonores (caquètement des poules) et la disponibilité pour s’occuper et soigner ces animaux.

2/ Le compostage par fermentation

Le compostage consiste à transformer les déchets organiques en un fertilisant grâce à une fermentation aérobie par le biais des micro-organismes (bactéries, micro-champignons…) présents partout. Ces micro-organismes vont s’attaquer aux déchets pour les transformer en un fertilisant riche et facilement assimilé par les plantes.

Cette activité génère de la chaleur, du CO² et de l’humidité. Le compostage par fermentation est un processus exothermique qui produit de la chaleur (jusqu’à 70°C) et fait chauffer le milieu du tas des déchets. Ce qui permet d’éliminer les germes pathogènes s’il y en a. Par ailleurs, quoi que le CO² soit un gaz à effet de serre, l’enfouissement des déchets génère du méthane 25 fois plus puissant.

Au cours du compostage, le tas perd les 2/3 de son volume initial (pertes en CO² et humidité et tassement) et il faut compter trois kilogrammes de déchets pour produire un kilo de compost.

Le compostage domestique peut constituer une solution pour se valoriser 70% de nos déchets ménagers.
  • Le compostage domestique

Le compostage peut se faire à grande échelle pour transformer des déchets agricoles ou industriels. De nos jours il est possible de le pratiquer à petite échelle. Le compostage peut se faire en tas ou dans des bacs appelés composteurs.

Que vous disposez d’un jardin, d’une terrasse ou d’un simple balcon, vous pouvez avoir un composteur et pratiquer le compostage de vos déchets. On trouve même de petits composteurs qu’on peut placer dans la cuisine pour directement placer les déchets et les restes des repas.

Il est possible de construire soi-même un composteur et Internet est plein de sites qui vous donnent des tutoriels et des indications précises pour construire tout type de composteur et de différentes tailles. Avec quelques planches, des clous et un peu de patience on peut construire un petit composteur à très peu de frais.

Des composteurs, en bois ou en plastique, prêts à l’emploi existent également. Certains composteurs sont étudiés pour assurer le développement maximum des micro-organismes (température, humidité). Il est même possible d’apporter des activateurs de compostage qui sont soit des micro-organismes soit certaines substances destinées à booster les micro-organismes présents dans le tas de déchets. Ces activateurs, généralement sous forme de poudre, sont mélangés au tas pour amorcer rapidement les fermentations.

  • Réussir son compost est très facile

Il suffit de surveiller l’humidité, surtout en été, de remuer de temps en temps pour aérer le tas en fermentation. Il est préférable de disposer des déchets apportés en petites morceaux (broyage si possible) afin de faciliter l’attaque par les micro-organismes.

Le compostage est un processus assez long. Il faut compter en moyenne 6 mois pour transformer des déchets en un compost intéressant. Toutefois, avec certains types de bacs et l’utilisation des activateurs, il est possible de raccourcir le temps de traitement à deux mois. Il est préférable de disposer de deux bacs de compostage avec un premier recevant les produits frais et le second pour la maturation du compost.

Le compostage peut se pratiquer à l’échelle d’un immeuble ou d’un quartier résidentiel ou d’une collectivité. Le composteur est placé dans un endroit facilement accessible et alimenté quotidiennement par les usagers. À côté de la transformation des déchets nuisibles en un excellent fertilisant pour les plantes et les espaces verts, le compostage collectif permet de créer et renforcer les liens sociaux entre les habitants du quartier.

3/ Le vermicompostage ou lombricompostage

C’est une variante du compostage. Dans ce cas le compostage se fait non pas par les micro-organismes mais par des vers de terre ou lombrics. Ces vers de terre se nourrissent des déchets et rejettent du compost. Le lombricompostage est un processus à froid qui ne nécessite pas du retournement, les lombrics se chargent d’aérer le tas.

Pour démarrer le vermicompost, il est nécessaire de disposer de vers de terre. Heureusement que ces vers existent partout. On peut les ramasser dans le jardin, dans un tas de fumier ou dans du compost, aux bords des routes… Si nécessaire, on peut les acheter ou se les procurer d’un amateur de lombricompostage. Sur Internet on trouve de nombreux groupes qui partagent leur passion pour le vermicompostage. La population de lombrics double en 3 mois et se régule en fonction de la quantité d’aliment disponible.

Le compostage avec les vers de terre est très facile, il suffit de placer les déchets (de préférence en petits morceaux) et de mettre ses lombrics qui savent très bien ce qu’ils ont à faire. Il faut surveiller l’humidité et ajouter des morceaux de carton pour absorber l’excès d’eau si nécessaire.

Il faut compter à peu prés 6 mois pour une un compostage complet du tas des déchets. Il est possible de récupérer de l’engrais liquide par le fond du composteur très concentré et riche en nutriments pour les plantes.

À côté d’un compost de qualité, cette méthode permet d’obtenir des vers de terre qu’on pourrait donner aux oiseaux et poules ou qu’on pourrait utiliser pour la pêche.

Conclusion

À côté des nuisances environnementales certaines, l’enlèvement, le transport et l’enfouissement des ordures coûtent très cher à la collectivité. La valorisation de ces déchets à l’amont au niveau des ménages permet une réduction sensible de la quantité d’ordures et des frais de traitement.

Les poules représentent un moyen efficace de se débarrasser d’une partie des ordures ménagères et permettent d’obtenir des œufs frais de bonne qualité. Le compostage (microbien ou le lombricompostage) permet de produire un excellent compost pour fertiliser votre jardin, vos pots de fleurs…

Le choix entre l’enfouissement des ordures et la valorisation domestique, au moins d’une partie de ces ordures, est sans appel aussi bien sur le plan économique qu’environnemental.

Ces techniques sont connues et utilisées dans certains cas par des associations, certaines municipalités… L’Anged dispose d’un petit projet «Programme national de promotion du compostage individuel des déchets de cuisine et des jardins ménager» avec un budget de 750 000 dinars. Ce projet est réalisé avec la participation de municipalités, associations, écoles primaires et ménages.

Toutefois, ces actions restent très limitées et ont eu peu d’effets. Il serait intéressant de les généraliser et de sensibiliser les habitants à ces pratiques écoresponsables.

Le respect de l’environnement semble pour le moment le dernier souci de nos concitoyens. Les ordures jonchent partout et les poubelles débordent de déchets nauséabonds et dégoûtants. Il est indispensable développer la culture environnementale surtout chez les jeunes et de les sensibiliser pour un engagement fort en faveur de notre environnement.

L’avenir de toute l’humanité repose sur le respect de la nature. Les changements climatiques et les grands bouleversements que connaît la planète résultent de la détérioration de notre environnement et une exploitation sauvage de ses ressources naturelles.

* Professeur universitaire.

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