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Pour le développement de la consommation de la viande du lapin en Tunisie

La crise sanitaire et celle du tourisme ont affecté l’élevage cunicole en Tunisie et les éleveurs de lapins trouvent de sérieuses difficultés à écouler leur marchandise. De nombreux éleveurs ont fait faillite et ont abandonné cette activité peu rémunératrice. L’absence de tradition de consommation et de préparation de la viande de lapin est un handicap pour le développement de ce secteur. L’organisation auprès du public de campagnes de sensibilisation, d’information et de dégustation pour faire connaître les qualités diététiques et les méthodes de préparation de cette viande de qualité permettrait de développer la demande et d’instaurer chez le consommateur un réflexe d’achat de la viande de lapin.

Par Ridha Bergaoui *

La pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet de nombreux secteurs économiques. L’élevage du lapin (ou cuniculture) a été sévèrement touché d’une part en raison de la crise du tourisme, principal consommateur de viande de lapin, et d’autre part en raison d’importantes augmentations du prix des aliments concentrés constitués essentiellement de produits importés (foin de luzerne, tourteau de soja, orge et son).

Le lapin est peu consommé en Tunisie. Face à une augmentation des coûts de production et une stagnation de la demande, les éleveurs se trouvent dans une véritable impasse. Nombreux ont fait faillite, surtout qu’il s’agit essentiellement de petits éleveurs, et ont abandonné l’élevage.

Une viande très nutritive et d’excellente qualité

Pourtant la viande du lapin est très nutritive et d’excellente qualité et l’élevage du lapin peut contribuer à la diversification de l’offre en viandes et la couverture de notre besoin en cet aliment.

C’est une viande maigre, pauvre en cholestérol, riche en vitamine B12 et en acide gras essentiel oméga 3. Elle est riche en protéines et acides aminés essentiels et contient deux fois moins de sodium mais deux fois plus de fer héminique que le poulet. Sa richesse en fer lui confère cette couleur rose caractéristique.

Le lapin est abattu à l’âge de 60-75 jours d’élevage. Sa viande est moins riche en eau, beaucoup mieux structurée et les muscles mieux développés que chez le poulet abattu beaucoup plus jeune (30-35 jours seulement).

C’est une viande diététique qui correspond aux recommandations des nutritionnistes. Elle permet d’éviter les problèmes cardiovasculaires et convient parfaitement à ceux qui souffrent de problèmes circulatoires et de tension.

Il y a une vingtaine d’années, les carcasses des lapins commercialisées comportaient la tête et une partie de la peau des pattes. L’objectif était de montrer qu’il s’agit bien d’un lapin et non d’un chat. De nos jours, pour des considérations d’hygiène et suite à l’intensification de l’élevage, cette présentation a été abandonnée. Par ailleurs, suite à la réduction de la taille de la famille et l’effectif important des personnes vivant seuls ou les couples sans enfants, le lapin est de plus en plus présenté découpé en petites portions (cuisses, râble, partie avant) ce qui rend cette viande accessible à une plus grande frange de la population. On peut trouver également de la viande de lapin désossée prête pour de nombreuses recettes.

Cuisiner la viande du lapin

La viande de lapin est ferme mais tendre et se cuisine facilement. Elle s’adapte à une diversité de recettes et peut se cuisiner selon les différents modes de cuisson : au four, à la cocotte, grillé, à la vapeur… Avec son goût caractéristique et très marqué, la viande de lapin se marie très bien avec de nombreux légumes. Avant de la cuisiner, il est préférable de faire mariner la viande et la laisser macérer (dans du vinaigre ou du citron) de préférence toute une nuit et ne pas hésiter à bien l’assaisonner d’herbes aromatiques (laurier, romarin, thym…) et d’épices. Bien cuisiner le lapin prend un certain temps. Le lapin se prête mal à une cuisine rapide.

La viande du lapin n’est ni une viande de masse, ni de tous les jours. À l’origine, c’est plutôt une viande festive qui se prépare un dimanche ou un jour de fête et se déguste en famille. Elle est un symbole de la cuisine fine, raffinée et de délicate. Certaines recettes de lapin sont devenues des classiques de la gastronomie internationale comme le civet du lapin ou le lapin aux pruneaux.

La cuisine traditionnelle tunisienne réserve peu de place au lapin. À peine deux ou trois recettes sont connues (spaghettis au lapin, ragoût de lapin, qleya). Moyennant un peu d’imagination et d’initiative, il est possible d’adapter le lapin, entier ou en morceaux, à une multitude de recettes : riz, couscous, pâtes, tajines, lapin farci, rôti, ragoûts divers… Sur internet, on trouve des vidéos d’une multitude de recettes à base de la viande de lapin qui peuvent être adaptées à la cuisine tunisienne.

Consommer la viande de lapin

Quoique la viande de lapin ne souffre d’aucun tabou ni interdit religieux, le Tunisien consomme rarement cette viande (à peine 0,250 kg/habitant/an contre environ 20 kg de viande de poulet et de dindon). Le lapin ne fait pas partie de nos habitudes de consommation.

L’élevage du lapin en Tunisie remonte à très loin. Il a connu une période florissante durant l’occupation française (jusqu’en 1956). Italiens, Maltais et Français sont de gros consommateurs de viande de lapin. Après l’indépendance, les effectifs ont significativement chuté.

Dans les années 1990, des conventions avec le ministère de la Défense ont permis aux éleveurs de vendre le lapin aux casernes. Ceci a stimulé la production, la création d’abattoirs spécialisés et l’instauration d’une petite filière organisée et encadrée par le Groupement interprofessionnel des produits avicoles et cunicoles (Gipac) et les syndicats professionnels. Des tentatives ont été menées pour la commercialisation de la viande du lapin auprès des cantines des hôpitaux, des prisons et des restaurants universitaires.

Malgré les efforts de la profession, le citoyen reste réticent à la consommation du lapin. Certains consommateurs lui reprochent une ressemblance avec la carcasse du chat; d’autres trouvent que le prix est trop élevé. Enfin certains justifient le refus de consommer du lapin par confusion avec le lapin de compagnie, animal doux et sympathique.

Quelques pistes pour développer la consommation

Quoiqu’assez élevé, le prix de la viande (20 à 22 dinars/kg soit presque le double de celui du poulet), n’est pas le facteur principal qui limite la consommation. À des prix plus faibles que celui du poulet, le consommateur tunisien, n’aura pas le réflexe d’acheter le lapin, parce qu’il n’est pas habitué à en consommer et ne sait pas comment le cuisiner.

Par ailleurs, il a été noté, à plusieurs reprises qu’après un passage à la radio ou à la télé d’un nutritionniste, d’un chef cuisinier ou autre spécialiste évoquant les qualités nutritionnelles de la viande du lapin, la demande augmente très nettement malgré le prix élevé. Ceci montre d’une part que le Tunisien est sensible aux arguments de santé et diététiques et d’autre part qu’il n’a pas le réflexe d’aller acheter du lapin. Il suffit de le lui rappeler pour qu’il y pense et aille l’acheter pour le cuisiner et le manger.

Enfin, l’expérience a bien montré que les collectivités (militaires, et cantines des prisons, hôpitaux publics…) ne permettent pas d’asseoir et de créer une tradition de consommation surtout que ces cantines disposent d’un budget limité et sont amenées à acquérir plutôt de la viande bon marché comme celle du poulet. Les hôtels sont par contre des clients fidèles puisque la clientèle européenne est habituée à la consommation du lapin. Cela permet également à l’hôtel de varier et de diversifier ses plats.

Il faut se détacher de l’image du lapin de compagnie, tout mignon, tout gentil et expliquer qu’il y a plusieurs races de lapins destinées à divers objectifs : races à viande, races à poils (Angora), lapins de garenne, lapins de compagnie… Les races à viande ont été sélectionnées pour leurs qualités bouchères et n’ont rien à voir avec les lapins de compagnie. D’ailleurs, la nouvelle présentation du lapin sans tête ni manchons ou le lapin découpé a pour but de cacher l’image du lapin animal vivant et sympathique pour attirer l’attention du consommateur sur le morceau de viande comme aliment et ses qualités organoleptiques et nutritionnelles.

Enfin, pour décider d’acheter un produit, il faut d’une part y penser et d’autre part que ce produit soit disponible et facilement accessible. La viande de lapin est pratiquement inaccessible aux consommateurs (on le rencontre accidentellement dans de rares grandes surface et volaillers) et on n’en parle nulle part (à part entre professionnels). Pour stimuler la consommation il faut que le consommateur puisse le voir fréquemment (surtout dans les grandes surfaces où le tunisien fait de plus en plus ses courses), s’y habituer et avoir le réflexe d’en acheter.

Quelques pistes pour développer cette filière

La consommation est le moteur du développement. La survie de l’élevage du lapin en Tunisie passe par le développement de la consommation individuelle locale. Il s’agit d’instaurer une tradition et une culture de la préparation et de la consommation de la viande de lapin.

Le Gipac a beaucoup fait pour la promotion de l’élevage du lapin. Ces efforts doivent être soutenus par tous les acteurs (professionnels, fédérations, grandes surfaces, associations de consommateurs…) et le ministère de l’Agriculture.

Des campagnes de sensibilisation, d’information, des séances de dégustation, pour faire connaitre les qualités diététiques de la viande et la façon de la cuisiner, sont indispensables. Les médias (journaux, radio, télés…) et les réseaux sociaux ont un très grand rôle à jouer. Des chefs cuisiniers sont appelés à participer à ces campagnes de sensibilisation et réserver une place convenable à cette viande noble et d’excellente qualité.

Quoiqu’assez limité, l’élevage du lapin emploie de nombreuses personnes et joue un rôle socio-économique important. Le lapin est par ailleurs un herbivore qui valorise très bien la verdure et les sous-produits agricoles. Il peut s’adapter à de nombreux systèmes d’élevage.

La FAO encourage l’élevage du lapin qui peut améliorer notablement l’alimentation dans les pays en développement. La prolificité de la lapine (qui peut produire plus de 40 lapereaux par an pesant de 2 à 2,5 kg de poids vif à 70 jours) et la valorisation des aliments grossiers représentent des atouts très importants de cet élevage.

* Professeur universitaire.

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