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Le numérique et le «hard discount» menacent la grande distribution en Tunisie

Depuis les années 2000, la grande distribution a bouleversé le commerce du détail, et surtout des produits alimentaires, en Tunisie. Les grandes et moyennes surfaces se sont rapidement développées et ont connu un grand succès auprès du consommateur. La crise économique, l’inflation et la pandémie ont malheureusement sérieusement affecté ce secteur et réduit son chiffre d’affaires. Les dernières restrictions pour l’accès à ces magasins (passeport sanitaire et timbre fiscal de 100 millime sur ticket de caisse) risquent d’aggraver encore la situation. Par ailleurs, dans de nombreux pays, le commerce de détail connaît des bouleversements et des innovations importants. Le «hard discount», le numérique et le e-commerce deviennent les nouvelles armes pour réduire les prix et mieux servir la clientèle.

Par Ridha Bergaoui *

Le commerce du détail en Tunisie est dominé par le petit commerce traditionnel de quartier tenu par des commerçants indépendants. Depuis leur introduction en Tunisie, dans les années 2000, la grande distribution à dominance alimentaire connaît un succès certain et a entraîné une remodélisation du paysage du commerce de détail et les habitudes de consommation du citoyen.

On entend par grande distribution, le commerce moderne de masse en self-service. Elle comprend des unités classées selon la superficie du magasin : supérette (120-400 m²), supermarché (400-2500 m²), hypermarché (>2500 m²). Le terme «moyenne et grande surface (GMS)» groupe les hypermarchés et les supermarchés. Un «mall» est un grand centre commercial où on trouve des biens de consommation, des services et de l’animation.

Le passeport vaccinal obligatoire exigé, depuis le 22 décembre dernier, pour l’accès aux GMS a entraîné une réduction du chiffre d’affaires, estimée entre 20 et 30% selon le président de la Chambre syndicale des grandes surfaces. Le timbre fiscal, prévu par la loi des finances 2022 et entré en vigueur depuis le 1er février, sur chaque ticket de caisse des GMS, va certainement éroder encore plus l’enthousiasme de la clientèle.

Avantages des GMS pour le consommateur

Les GMS présentent de nombreux avantages pour le consommateur :

  • offre diversifiée et possibilités de choix;
  • libre-service et paiement rapide à la caisse (sauf heures de pointe);
  • rapport qualité/prix intéressant (économie d’échelle grâce aux Centrales d’achat);
  • alignement sur les standards modernes internationaux (offre, produits, stratégies marketing…) et garantie de sécurité, d’hygiène et de qualité;
  • le client trouve tout ce dont il a besoin sur place (produits alimentaires, produits de soin et d’entretien, électro-ménager…) surtout qu’il est de plus en plus pressé;
  • possibilité de paiement par carte bancaire et tickets restaurants;
  • disponibilité généralement d’un parking pour garer sa voiture.

Abus et pratiques douteuses de certaines GSM

L’objectif des GSM, comme toute entreprise commerciale privée, demeure le profit. Pour y arriver, les GSM utilisent tous les moyens pour augmenter leurs chiffres d’affaires, augmenter le nombre de clients et maximiser leurs achats. Tout est fait pour attirer le client à commencer par la décoration, l’ambiance du magasin (climatisation, lumière, musique…), la présentation et l’aménagement des rayons, l’exposition des produits…

Les GSM poussent à la surconsommation. Un ensemble de techniques de marketing, basé sur la connaissance toujours plus scientifique du comportement du consommateur, a été développé pour pousser le client à acheter plus, plus que ses besoins et même des achats inutiles et compulsifs. Ces techniques peuvent mener les ménages à l’endettement et au gaspillage. Les plus organisés dressent une liste de leurs achats avant d’aller au magasin. Toutefois on estime que plus de 50% des achats des consommateurs dans les GSM n’ont pas été inscrits sur la liste initiale.

Des techniques qui s’apparentent plutôt à la tromperie et à la fraude sont parfois utilisées (ne pas indiquer le prix au rayon, afficher qu’il s’agit d’une promo alors que c’est le prix normal, promotion rayon et prix entier à la caisse, photos du catalogue qui ne sont pas à la même échelle pour tromper le client, fausses remises…). Les promotions sont des techniques de marketing auxquelles les GSM font appel soit pour liquider des stocks soit à l’approche de la date limite de consommation des produits.

Les sachets à usage unique, interdits en Tunisie depuis mars 2020, ont disparu des caisses et le client est obligé d’acheter ou apporter ses propres contenants pour transporter ses achats. Ils sont toutefois disponibles à gogo dans les rayons des fruits, légumes, viandes, poissonnerie et fromages. Ces sachets devaient être remplacés par des sacs en papier ou en plastique biodégradable.

La carte de fidélité est un leurre. Elle permet d’avoir une remise, par points sur les achats. Cette remise est en réalité insignifiante (environ 0,5%, soit 500 millimes pour des achats de 100 dinars). Pour l’avoir vous êtes obligés de répondre à un long questionnaire et donner des détails personnels (date de naissance, adresse mail, numéro CIN, lieu de résidence, téléphone, état civil, nombre de personnes par famille…). Ces données sont utilisées par les GMS à des fins de marketing ciblé. Toutefois leur usage à d’autres fins est possible.

La relation personnel/client est presque inexistante et parfois même tendue. L’absence de personnel près des rayons pour les informer, les orienter et les conseiller est déplorable. Le non retour de la petite monnaie allant parfois jusqu’à 50 millimes par ticket de caisse alors qu’on ne vous pardonne pas pour 10 milimes ou moins.

Les catalogues papiers distribués à tour de bras et placés dans votre boîte aux lettres ou glissés sous la porte se retrouvent à polluer l’environnement. Ces catalogues sont très peu lus par les habitants et sont directement jetés.

Il faut rappeler qu’à part les marges réalisées au magasin, les GSM font des bénéfices d’une part sur les frais financiers, puisqu’elles vendent au comptant alors qu’elles achètent à crédit de 60 à 90 jours, et d’autre part des ristournes (ou marges arrière) versées par les fournisseurs sur le volume des ventes réalisé.

Crise économique, inflation et pandémie

A leur création, les GSM se sont positionnées à la périphérie des grandes villes où le terrain est bon marché. Elles visaient une clientèle aisée jouissant d’un fort pouvoir d’achat et disposant de moyens de déplacement. Elles ont par la suite investi le centre-ville et joué la carte de la proximité pour toucher un maximum de clients.

La répartition au niveau du pays reste déséquilibrée et les zones rurales pauvres et les petites villes ne sont pas couvertes. Les GSM ont renforcé le clivage et la ségrégation sociale déjà visible. D’une part une Tunisie des personnes aisées qui se soignent dans les cliniques privées, scolarisent leurs enfants chez le privé et font leurs courses aux supers marchés, les «malls» et les boutiques de marques franchisées. D’autre part la Tunisie des pauvres qui vivotent grâce aux services publics et les achats au jour le jour, très souvent à crédit, chez le petit épicier du coin.

La crise économique, avec le recul de la croissance économique nationale, l’augmentation du taux de chômage et la diminution du pouvoir d’achat du consommateur ont entraîné l’augmentation de la pauvreté et l’érosion de la classe moyenne. Celle-ci représente la plus grande partie de la clientèle des GSM.

Les dernières exigences imposées pour faire ses achats dans les GSM (passeport vaccinal) et le timbre fiscal de 100 millimes vont encore élaguer la clientèle et faire chuter leur chiffre d’affaires.

Perspectives et innovations

Dans le monde, le commerce de détail connaît de grandes mutations et des innovations décisives qui visent à mieux servir le client et à réduire les prix. Ci-dessous quelques exemples.

Afin de de renforcer le lien social et le contact avec les clients, certaines grandes surfaces françaises ont installé des caisses particulières appelées «bla bla caisses». Ces caisses lentes permettent aux clients de discuter avec une caissière du magasin. Ces caisses connaissent beaucoup de succès surtout auprès des personnes âgées et isolées.

Par ailleurs, deux innovations menacent sérieusement la grande distribution classique : le «hard discount» (HD) et le numérique. En effet avec la crise économique et la détérioration de son pouvoir d’achat, le consommateur est à la recherche de produits moins chers et de promotions.

L’objectif des HD est de réduire au maximum les coûts et les prix au consommateur. Les HD emploient un personnel réduit (généralement une caissière seulement), une présentation sobre des produits parfois laissés sur les palettes et dans l’emballage de l’usine, une gamme très limitée de produits essentiels, pas de publicité couteuse et un aménagement minimum du magasin. La rentabilité se faisant principalement sur le volume avec de petites marges mais un grand volume. Ces magasins HD se développent de plus en plus.

Dans de nombreux pays, la révolution numérique a bouleversé le commerce. Le e-commerce connaît un boom surtout ces dernières années avec la pandémie covid, le confinement et les mesures sanitaires imposées. De plus en plus les achats se font en ligne avec possibilité de livraison à domicile ou des formules du type «Click and Collect» où le client fait ses achats en ligne, va les récupérer au magasin avec le paiement qui se fait soit en ligne soit au moment de la livraison.

De nombreux magasins ne comportent plus de caissières, le paiement des achats par le client se fait automatiquement à la sortie du magasin par un simple clic sur son smartphone.

Enfin, le concept des magasins physiques classiques (avec des rayonnages pleins de marchandises et des clients qui se promènent pour faire leurs achats et passer à la caisse) est de plus en plus abandonné. De très grands dépôts remplis de marchandises voient le jour, vendent uniquement sur catalogue en ligne et livrent directement, ou par sociétés de livraison, aux clients à domicile.

Conclusion

L’arrivée de la grande distribution en Tunisie a permis de moderniser le secteur du commerce de détail. Elle a permis aux consommateurs de profiter d’un large choix de produits et d’un rapport qualité prix avantageux. Ce secteur devait se développer rapidement dans les années à venir et plusieurs projets sont déjà en cours. Toutefois de nombreuses lacunes existent.

Il est nécessaire d’accorder plus d’attention et de considération au consommateur. Plus de transparence, et particulièrement un affichage clair des prix au niveau des étalages, est souhaité. Une attention particulière doit être portée à l’écologie et essentiellement au problème des emballages en plastique. L’usage des sacs en plastique à usage unique (utilisés dans les rayons fruit-légumes-boucherie-poissonnerie) doivent être abandonné conformément à la réglementation en vigueur. Il faut également arrêter de harceler le consommateur et la distribution des catalogues sans aucun intérêt.

Le secteur de la distribution connaît ces derniers temps, partout ailleurs, une évolution importante. L’apparition des «hard discount», le numérique et le commerce en ligne sont des innovations dont il faut désormais tenir compte.

L’Etat se doit de contrôler le comportement des grands groupes de distribution. Il doit intervenir pour empêcher les monopoles et la spéculation. Il doit prendre si nécessaire des sanctions pour préserver l’environnement et défendre le consommateur du comportement parfois abusif de la grande distribution.

Enfin, le secteur du commerce de détail englobe non seulement la grande distribution mais également le petit commerce traditionnel de proximité, les marchés municipaux, les souks hebdomadaires, les commerçants ambulants et informels installés aux bords des routes et dans les artères commerçantes. La modernisation du tissu commercial de détail doit être inclusive et intégrer tous les intervenants. Elle passe également par la modernisation du commerce de gros.

* Universitaire.

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