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Bizerte : un moteur de croissance de la région nord étouffé

A l’image du Lac Ichkeul, censé être un parc naturel national préservé, aujourd’hui laissé complètement à l’abandon, Bizerte est oubliée.

Bizerte a tous les atouts pour être un vrai moteur de croissance de la région nord de la Tunisie. A 60 kilomètres de la capitale, Tunis, 120 km de côte, la capitale du nord abrite de grandes entreprises de l’industrie lourde et des terrains fertiles. C’est l’une des plus vieilles villes antiques de la Méditerranée et une réserve naturelle qui était autrefois le plus grand sanctuaire d’oiseaux dans le monde. Pourquoi n’arrive-t-elle pas à décoller économiquement et à fournir suffisamment d’emplois à ses jeunes chômeurs ?

Par Meriem Bouchoucha *

Il y a plusieurs raisons à ce dysfonctionnement et nous alons les passer en revue dans cet article.

Patrimoine historique et écologique inexploité

Bizerte abrite Utique, construite avant Rome et Carthage, la mosquée d’où cheikh Idriss Cherif s’est prononcé contre la naturalisation marquant un des tournants les plus importants de la lutte pour l’indépendance si ce n’est pas le tournant le plus important, et le port qui a été l’objet de la dernière guerre de libération et a mis le premier jalon de l’union nationale.

Voyez- vous le moindre petit effort de mémoire de la part du ministère du Tourisme, du maire qui se targue d’être le premier maire élu de la ville et le gouverneur qui représente la voix du «peuple qui veut»?

Pour les oiseaux d’eau, l’eau devient rare et polluée.

Bizerte c’est aussi le lac Ichkeul dont les pâturages sont loués par des agriculteurs à des personnes contre lesquels le parquet refuse d’agir bien qu’une plainte ait été déposée à leur encontre, Ichkeul dont le lac a été détruit simultanément par les déchets de la fonderie de la société de sidérurgie El-Fouladh et les barrages qui l’encerclent. Le taux de salaison ne peut plus être caché du fait de l’apparition des flamands roses. Bien entendu, les différentes administrations se rejettent la responsabilité de la catastrophe écologique qui a amené la réserve à être déclassée à plusieurs reprises par l’Unesco et Ramsar, la Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau.

Bizerte ce sont également les forêts détruites au vu et au su de tout le monde et je me contenterai d’en citer trois qui ont fait la Une des informations régionales ou nationales.

La forêt du Rimel, après le scandale qui éclaté à la mairie de Menzel Jemil par un conseiller municipal qui a fait savoir qu’un grand domaine a été cédé à un particulier pour un projet touristique. Aussitôt éclaté aussitôt étouffé, tout ce qu’on sait c’est que ni la mairie de Menzel Jemil, ni le gouvernorat, ni le directeur de la CRDA ni la direction des forêts ni le tribunal immobilier n’ont été tenus pour responsables. Une petite participation sympathique de la mairesse et du gouverneur de l’époque à la marche pour la préservation de la forêt est cependant à noter, qui équivaut à un aveu d’impuissance des responsables régionaux.

La forêt de Nadhour.

La forêt de Nadhour, une zone verte dont les nouveaux habitants ont accès à l’électricité, mieux encore un ancien gouverneur a dit que plusieurs hauts cadres de l’Etat, notamment des juges censés être les gardiens de la loi, ont bâti dans des zones vertes. Le gouverneur est parti à Nabeul et plus personne n’a parlé de ces hauts cadres qui arrivent à se fournir en électricité dans une zone toujours classée verte.

Les forêts de Sejnane qui ont été brûlées ou ont pris feu, et ce sont les incendies les plus connus car on a reçu à l’occasion la visite de Abdellatif Mekki, alors ministre de la Santé, qui a été pris en photo, sceau à la main, participant aux efforts pour éteindre le feu.

Depuis, chaque été les forêts de Bizerte (et toutes les autres forêts de la Tunisie) connaissent des incendies sans qu’on n’ait jamais de réponses claires ni sur les causes ni sur les conséquences. Entre-temps les rumeurs vont bon train sans que cela pose problème aux décideurs : ces incendies visent à dégager des terrains dans les zones classées vertes pour… la construction.

Les potières de Sajnane auraient mérité une meilleure attention.

Un potentiel économique hors du commun

Bizerte est la fois un gouvernorat industriel et agricole avec une très grande diversité de la production. Un gouvernorat qui a comme voisins Manouba, Béja et Jendouba, des régions à vocation essentiellement agricole.

Est-ce que la création d’un pôle agricole autour de ce potentiel de production encadrée par un l’Institut supérieur de pêche et d’aquaculture de Bizerte, l’Ecole supérieure d’ingénieurs de Mejez El-Bab, et plusieurs écoles de formation professionnelle et un port marchand presque à l’abandon, a effleuré ne serait-ce qu’une fois la cervelle de nos chers décideurs?

Non. Pourtant le plus dur a été fait, puisque les établissements sus-mentionnés ont bel et bien été fondés et un grand travail de désenclavement a été fait dans les années 1990-2000.

C’est quand même interpellant surtout que nous sommes importateurs de produits agricoles.

Pour ce qui est de l’industrie lourde, hormis les difficultés connues de tous, elle devient une source de nuisance dangereuse. Le nombre de personnes atteintes du cancer dans la région a été multiplié par 10 au cours des dernières années. Idem pour les personnes atteintes de maladies respiratoires. Est-ce que les moyens mobilisés par le ministère de la Santé ont été multipliés par 10? Non, bien sûr.

Par ailleurs, Bizerte a tous les atouts pour être un pôle de tourisme écologique et durable, tourné vers l’intérieur et donc moins exposé à la volatilité du secteur.

Mais rien n’a été fait pour mettre en marche ce moteur, bien au contraire, on a l’impression que tout est fait pour maintenir la région dans le marasme où elle se morfond depuis des décennies.

L’école Rweha à l’image d’un système d’éducation délabré.

Disparités et pauvreté extrême :

L’une des facettes parfaitement méconnues de Bizerte est que trois de ses 14 délégations sont parmi les plus pauvres du pays : Sejnane (39,9% de la population), suivie de Joumine (36,6%) et de Ghezala (34%) (INS, 2020).

Parmi les problèmes de ces délégations, le plus important c’est l’eau, oui l’eau. En effet, en dépit d’une très bonne pluviométrie, et d’un barrage dans chaque délégation, celles-ci ont des problèmes d’accès à l’eau dont l’une des raisons est le problème des associations qui ont été créées pour assurer la bonne gouvernance de l’eau potable fournie par la Sonede à travers des installations collectives, dans la mesure où ces associations ont fait faillite pénalisant les habitants de ces régions.

A titre d’exemple, l’école de Rweha n’a plus d’eau depuis des années, complètement en ruine et les travaux ont été annulés maintes fois. Les promesses faites et répétées au corps enseignant, aux élèves et à leurs parents ont abouti à la mise en place de deux salles en préfabriqué et une citerne d’eau, mais le jardin de l’école à été défoncé pour devenir un parking.

A signaler que le problème de l’école Rweha a été signalé plusieurs fois à la délégation régionale de Bizerte et c’est quasiment le black-out autour de cet établissement scolaire.

Le gouverneur et les responsables du CRDA de Bizerte se sont réunis, il y a trois ans, avec les habitants de Rweha à l’école pour parler des problèmes de région. Mais comme les promesses n’engagent que ceux qui y croient…

Ces trois délégations sont des délégations agricoles. Où en est le ministère de l’Agriculture ?

Ces trois délégations ont des paysage à couper le souffle. Le ministère du Tourisme, qui ne cesse de communiquer sur sa volonté de développer le tourisme alternatif, a-t-il implanté une cellule pouvant faire des propositions concrètes et des solutions soutenables dans ce domaine?

Les artisanes de Sejnane, qui nous ont offert une inscription de leur art au Patrimoine mondial de l’Unesco, ont-elles profité d’un programme sérieux pour mettre en avant leur poterie, par le ministère du Tourisme ou de la Femme ou delui des Affaires culturelles ?

Concernant l’abandon scolaire et le travail des enfants, les différents intervenants ont-ils des chiffres ? Il n’en n’est rien. Des mesurettes qui suivent généralement des scandales, des promesses sans lendemain et de pseudos solutions de circonstances.

* Economiste.

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