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La Tunisie face au casse-tête des hausses des prix des produits de base

Jusqu’à quand le gouvernement tunisien va-t-il continuer à financer le gaspillage des produits de première nécessité comme le pain ?

Depuis 1984, la gouvernements successifs en Tunisie ont évité de revoir la politique de compensation et d’augmenter substantiellement les prix des pâtes alimentaires et du pain, de peur de provoquer la grogne sociale. Aujourd’hui, avec la forte hausse des cours mondiaux, à cause de la guerre en Ukraine, le gouvernement Najla Bouden a le dos au mur. Plus que la hausse des prix, ce que les Tunisiens redoutent aujourd’hui, c’est la pénurie même des produits de première nécessité. Et de devoir faire la queue devant les boulangeries aux rayonnages quasi-vides…

Par Samir Messali *

Les «émeutes du pain» de triste mémoire qu’a connues la Tunisie le janvier 1984, déclenchées par la suppression des subventions du prix du pain, ont fortement marqué les responsables tunisiens à tel point que le régime de Ben Ali prenait beaucoup de précautions avant de toucher au prix des pâtes et des produits de base en général. Il alternait en fait entre des augmentations pendant la saison estivale, qu’il appelait par l’euphémisme d’«ajustement des prix», et la diminution du poids du pain qui est passé de 700 g en 1984 à 400 g en 2007.

La dernière augmentation instaurée pendant le mois, habituellement «chaud», de décembre 2010, sonnait le glas pour ce régime. Elle fut d’ailleurs très rapidement et très «courageusement» abandonnée au lendemain de la «révolution» du 14 janvier 2011 par le gouvernement de Béji Caïd Essebsi. C’est dire l’impopularité de toute hausse des prix des produits de première nécessité, dont les pâtes alimentaires et le pain, qui restent la base de l’alimentation des Tunisiens en général et des classes pauvres et moyennes en particulier.

Des gouvernement lâches et incompétents

Les gouvernements successifs d’après la «révolution» promettaient, tous sans exception, la modification du système de subvention, qui, au final, bénéficient davantage aux catagories privilégiées de la population qu’à celles pauvres, et qui n’a de cesse de creuser le déficit des finances publiques, aujourd’hui en piteux état, mais aucun n’a osé songé passer de la parole à l’acte ni n’a songé à ajuster le prix des produits de base par crainte de voir la paix sociale menacée.

Conséquence : on a continué à financer la subvention par des ressources budgétaires rares et coûteuses, en recourant surtout à des prêts extérieurs. Et compte tenu de l’exacerbation du taux d’inflation qu’a connue la Tunisie au cours de la dernière décennie, le prix de ces produits est devenu actuellement dérisoire pour la grande majorité des Tunisiens favorisant ainsi tous les gaspillages, illustrées surtout par les milliers de tonnes de pain jetés annuellement à la poubelle.

L’invasion actuelle de l’Ukraine par la Russie, nos deux principaux fournisseurs de blé, vient compliquer considérablement la situation. D’une part, l’envolée du prix du blé sur le marché mondial en raison de sa rareté, et d’autre part, le grave déficit budgétaire que connaît le pays, et que le Fonds monétaire international (FMI), sollicité pour un nouveau prêt de 4 milliards de dollars, n’est pas disposé à financer que si le gouvernement procède à des réformes structurelles longtemps reportées, dont justement la revue du système des subventions et son remplacement par ce qu’on a appelé par les «subventions ciblées», c’est-à-dire en rétablissant le prix réel du pain, tout en orientant l’aide de l’Etat directement aux couches défavorisées de la population, réforme dont on parle depuis le milieu des années 1990 mais qu’on a été incapables de mettre en œuvre. Et cette incapacité tient autant au manque de volonté volonté politique qu’à l’incompétence d’une bureaucratie paresseuse et impotente.

Des réformes à mettre en œuvre dos au mur

Pour ce qui est de l’huile végétale, le problème se situe au niveau du prix trop bas de celle subventionnée comparé à celui de celle non-subventionnée. En effet, le prix de la première est cinq fois plus cher que celui de la seconde, ce qui offre aux spéculateurs l’opportunité inespérée d’un trafic qui rapporte 400% de marge. Il ne faut surtout pas compter sur les organes publics de contrôle et de répression, peu efficaces voire corrompus, pour combattre cette mafia, qui sévit souvent en plein jour et avec des complicités à divers niveaux.

Ce qui est sûr maintenant c’est que ce climat tendu avec la menace de pénurie de certains produits de base et l’envolée de leur prix, un climat amplifié par une opposition politique contente de focaliser sa communication sur les rayons vides des grandes surfaces et les longues files d’attente devant les boulangeries, et qui pousse d’une part les citoyens à constituer des stocks de réserves, et d’autre part, les commerçants de tous genres à saisir l’opportunité de spéculer sur des produits dont le prix pourrait dépasser toutes les prévisions.

Il est donc plus qu’urgent de réviser immédiatement à la hausse les prix des produits de base afin d’en freiner la demande et d’en réduire le gaspillage. Il est plus qu’urgent aussi de penser sérieusement à la révision du système de subvention devenu déstructurant pour l’économie du pays parce qu’il alimente toutes sortes de trafics.

Pour les citoyens démunis, car il faut penser surtout à eux, il faut surtout augmenter sensiblement le Smig et le Smag et lutter contre les bas salaires. Parce que l’augmentation des prix est souvent accompagnée de l’augmentation des marges et il est injuste que cela ne profite pas aux salariés.

* Expert financier et écrivain.

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