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Tunisie : Les forêts, un patrimoine en danger

Les forêts en Tunisie représentent un patrimoine précieux et une richesse considérable actuellement gravement menacées. Les incendies, l’abattage clandestin des arbres forestiers, la dégradation et déforestation, l’urbanisme rampant représentent autant de dangers qui mettent en péril l’existence de nos forêts. Les moyens humains et matériels dérisoires qui leur sont réservés ainsi que la mauvaise gouvernance sont des menaces indirectes favorisant la détérioration de la situation des espaces forestiers, des populations de plus en plus appauvries qui y habitent, des écosystèmes fragilisés et de la biodiversité.

Par Ridha Bergaoui *

Chaque année, le 21 mars, nous célébrons la Journée internationale des forêts. Cette fête, instituée par l’Assemblée générale des Nations Unis est une occasion pour faire connaître l’importance des forêts et des arbres en général et leur dans le climat et la lutte contre le réchauffement climatique.

La Tunisie compte environ 1,3 million d’hectares de forêts dont 70% se situent dans le nord-ouest et le centre-ouest du pays. Ces forêts sont peuplées essentiellement de chêne liège, chêne zen et pin d’Alep.

Le rôle primordial des forêts

Les forêts jouent des rôles multiples et divers. Les plus importants  sont la fourniture du bois et ses dérivés entrant dans la construction, la fabrication des meubles…; la fourniture de produits forestiers non ligneux et produits secondaires; la lutte contre l’érosion, la fixation des sols, la protection des bassins versants et des barrages et la rétention de l’eau de pluie.

Par ailleurs, la forêt abrite une flore et une faune diversifiées et des écosystèmes très riches, source de biodiversité. Les arbres et plantes fixent le CO² et produisent de l’oxygène et rendent la vie sur terre possible. Ils représentent des puits de carbone très importants, le carbone étant un gaz à effet de serre essentiel qui contribue au réchauffement et aux changements climatiques.

Last but not least, les forêts représentent des espaces de détente et de loisir et ont un effet bénéfique sur le moral et le bien-être des gens.

Les produits de la forêt

Les produits des forêts sont nombreux. Il y les produits forestiers ligneux (PFL) qui concernent toute la chaîne de valeur du bois et les produits forestiers non ligneux (PFNL) qui groupent les produits autres que le bois.

Dans les PFNL on trouve les produits des arbres forestiers (comme le liège, les gousses du caroubier, les graines de pistache, pin pignon et pin d’Alep ou zgougou), les plantes aromatiques et médicinales (PAM), les champignons, les capres, les escargots…

Il y a également le gibier (gros gibier comme le sanglier ou du petit gibier comme le lapin et le lièvre ainsi que les oiseaux). Le miel est également une ressource intéressante provenant soit des colonies d’abeilles sauvages soit des ruches d’élevage.

A côté des randonnées, les escalades et des promenades, la forêt peut être exploitée pour le développement du tourisme naturel et écologique de plus en plus tendance. Les parcs, les réserves naturelles et des écomusées offrent de nombreuses opportunités de loisir pour les amoureux de la nature et de l’écologie.

Importance socio-économique des forêts

Les forêts tunisiennes hébergent une population allant de 750 000 à 1 million d’habitants. Cette population vit dans des conditions très difficiles. Le chômage, l’analphabétisme et la pauvreté sont les caractéristiques principales de ces milieux défavorisés. Les produits de la forêt représentent généralement les maigres et seules ressources de ces populations.

Depuis l’indépendance, l’Etat a essayé d’aider ces populations marginalisées. Des programmes nationaux, des organismes internationaux, des ONG et des groupements de développement essayent de créer des sources de revenu pour ces populations à partir des ressources locales et des particularités régionales.

Dans ces milieux, la femme, dès le très jeune âge, représente le pilier principal de la famille et son principal soutien. Elle s’occupe à la fois des tâches ménagères et des enfants et doit trouver également les ressources pour la survie de la famille en s’occupant des animaux, du travail artisanal, de la récolte et de la vente des produits forestiers… La poterie traditionnelle, la distillation et les huiles essentielles des plantes aromatiques, la vente du pain tabouna et des œufs représentent un complément de revenu.

La femme est également chargée des pénibles corvées comme la cueillette et le transport du bois de chauffe et de cuisine ou l’eau de boisson… Certaines travaillent chez les agriculteurs qui viennent les chercher et les transporter dans des conditions lamentables. D’autres partent travailler dans la capitale comme aides ménagères parfois dans des conditions de servitude et d’exploitation dénoncées à plusieurs reprises par l’Instance nationale de lutte contre la traite (INLTP) et les médias.

Quant aux hommes, soit ils sont chômeurs et tuent leur temps dans les cafés ou à jouer soit migrent vers la capitale et les grandes villes comme main d’œuvre surtout dans la construction.

Beaucoup reste à faire pour améliorer les conditions de ces populations, le plus souvent oubliées, pour leur assurer le minimum d’une vie décente et leur droit à l’éducation, la santé, l’eau… Tenir compte des aspects socio-économiques particuliers de ces populations est nécessaire pour leur participation et intégration dans la préservation et la gestion de la forêt.

Le président Saïed à Amdoun en août 2020 pour constater les dégâts d’un incendie de forêt.

Menaces contre les forêts

1/ Les feux de forêt

Quoique d’autres pays, pratiquement sur tous les continents, sont également touchés ces dernières années par ce fléau très grave en raison du changement climatique, la recrudescence des incendies des forêts en Tunisie reste anormalement élevée.

Depuis la révolution et en raison de l’instabilité politique et de la fragilité et la faiblesse de l’Etat, les incendies de forêt ne cessent de s’intensifier. Ils sont en partie favorisés par un réchauffement global, la sécheresse et des journées de sirocco.

A l’approche de l’été les forêts brûlent, des milliers d’hectares sont, chaque année, incendiés. Ces incendies représentent une grave atteinte à la forêt et les dégâts nécessiteront un grand effort et des frais considérables pour le reboisement et une longue période de régénération. Tous les gouvernorats sont touchés.

Ces incendies prennent parfois des tournures dramatiques surtout que les services forestiers appelés à intervenir, avant l’arrivée de la protection civile, manquent affreusement de moyens humains et matériels (véhicules appropriés et matériel d’extinction et de lutte contre le feu).

Ces incendies peuvent causer des victimes, ravagent des forêts mais également des habitats, parfois du cheptel et détruisent des écosystèmes très fragiles et difficiles à remettre en place. Ils touchent des milliers d’hectares et représentent des pertes inestimables. Ils représentent une source de pollution et une production importante de carbone, gaz à effet de serre.

Ces incendies sont soit spontanés, involontaires ou criminels et prémédités. Les habitants, des forêts, par des pratiques inappropriées, malsaines et mal intentionnées, sont souvent eux mêmes à l’origine de ces incendies.

2/ L’abattage clandestin des arbres

Chaque année des milliers d’arbres forestiers sont abattus anarchiquement et clandestinement par des bandes organisées de malfrats, de bandits et de contrebandiers pour en faire du charbon ou pour les revendre sous forme de bois ou pour dégager des terrains pour la construction.

Ces bandits profitent des périodes de crises et de défaillances des autorités administratives et sécuritaires pour commettre leurs forfaits. Ils bénéficient souvent de la complicité des agents de l’Etat et des gardes forestiers.

Ces abattages concernent parfois des arbres rares et centenaires. C’est le cas, en 2020, lors des périodes de confinement suite à la pandémie covid-19, où 400 arbres de chêne zen pluricentenaires ont été abattus à la tronçonneuse et déplacés par des engins lourds.

Le chômage, le manque de ressources et la pauvreté sont invoqués fréquemment pour justifier ces abus.

L’abattage des arbres et le ramassage du bois pour la cuisine constituent des menaces pour la forêt.

3/ La dégradation de l’espace forestier

Le ramassage du bois pour la cuisine et le chauffage par la population des forêts, le surpâturage surtout par la chèvre (considérée par les forestiers comme l’ennemi principal) qui n’hésite pas à grimper sur les arbres pour brouter quelques feuilles et même les écorces sont des agents directs de la détérioration de l’espace forestier.

La déforestation pour des cultures vivrières, les aires de pâturage ou pour le logement et la construction rurale sont également d’autres raisons de dégradation des forêts.

4/ Urbanisation et constructions anarchiques

L’urbanisme rampant, la rareté et le prix fort des terrains à bâtir encouragent la spéculation et la transformation des aires forestières en parcelles destinées à la construction anarchique et illégale.

De nombreuses forêts ont vu la construction de chalets et de résidences secondaires appartenant à des hommes d’affaires, des politiques et de hauts cadres de l’Etat. De nombreux projets officiels et parfaitement réglementaires ont vu également le jour soit pour des aménagements routiers soit pour la construction de zones industrielles ou des réalisations de projets touristiques.

5/ Mauvaise gouvernance

Le domaine forestier, appartenant aussi bien à l’Etat qu’aux privés, est géré par le ministère de l’Agriculture (Direction générale des forêts). Les habitants ont un droit d’usage domestique et non commercial.

Malheureusement, les moyens tant humains que matériels réservés aux forêts sont insuffisants. Les faibles crédits alloués ne peuvent suffire pour réaliser les plans d’aménagement, de reboisement et de développement des zones forestières.

Les services forestiers régionaux trouvent énormément de difficultés à assurer le contrôle et la gestion des domaines forestiers mis à leur disposition. Certaines parcelles forestières ne sont pas enregistrées et sont accaparés par des intrus.

Les ressources financières provenant de la vente des produits forestiers (bois, liège, PAM et autres PFNL) sont très en deçà des potentialités réelles et plusieurs superficies ne sont pas valorisées ce qui représente un important manque à gagner pour l’Etat.

Les femmes récoltent et vendent des produits forestiers.

Conclusion

La forêt occupe une place importante en Tunisie aussi bien pour les superficie qu’elle occupe que sur les plans socio-économiques. Malheureusement la forêt subit des pressions anthropiques importantes aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur.

Les incendies, l’abattage clandestin des arbres forestiers, la dégradation et déforestation, l’urbanisme rampant représentent autant de dangers qui mettent en péril l’existence de nos forêts.

Les moyens humains et matériels dérisoires réservés aux forêts sont des menaces indirectes favorables à la détérioration de la situation des espaces forestiers et des populations qui y habitent. La mauvaise gestion de ces espaces conduit à un manque à gagner important pour l’Etat et un risque important de déséquilibres des écosystèmes et la disparition de la flore et de la faune fragiles.

Le système actuel de gouvernance et de contrôle bureaucratique et statique se révèle inefficace pour faire face aux menaces et défis auxquels les forêts sont exposées. Il est nécessaire d’opter pour une gestion plus souple et plus réactive. Les habitants des forêts doivent être inclus pour préserver et développer ce patrimoine source de vie. L’utilisation du numérique et des technologies comme les drones, les caméras de surveillance… peuvent faciliter la gestion des espaces forestiers.

Les forêts représentent un patrimoine précieux et une richesse considérable actuellement gravement menacées. Il est temps de s’en occuper, de le protéger et le développer. Il y va de l’intérêt de tous : la population forestière qui a besoin d’aide et de soutien, l’économie régionale et nationale et tout le pays jadis connu pour sa verdure et l’étendue de ses forêts.

* Universitaire.

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