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Etats-Unis : La Cour suprême à la rescousse de la CIA et du FBI

Zayn al-Abidin Muhammad / Husayn Yassir Fazaga.

La Cour suprême des Etats-Unis vient de prononcer deux jugements décisifs dans deux affaires de violation de droits civiques; des arrêtés qui resteront dans les annales de ce tribunal de dernier recours. La Cour tranche en faveur du FBI dans son affaire d’espionnage: il est accusé d’avoir mis une mosquée sous écoute. Dans un autre jugement, elle bloque l’accusation de deux tortionnaires polonais sous-traitants de la CIA accusés de torture contre un prisonnier.

Par Mohsen Redissi *

Rappel des méfaits : le différend remonte à 2006-2007, quand le FBI a lancé une opération antiterroriste de 14 mois contre les milieux islamiques. La mosquée d’Irvine, Californie, a été infiltrée par un agent du FBI qui prétend avoir des origines arabes désireux de se convertir à l’islam. Il a placé un mouchard dans le bureau d’un des plaignants, un psychologue soupçonné d’être un activiste.

Quand Monteilh, l’agent du FBI, a commencé à parler de djihad et d’attentats, Yassir Fazaga, imam de la Fondation islamique du comté d’Orange, l’a signalé au FBI. La plainte est restée sans suite. C’est un des leurs. Monteilh se brouille avec son employeur, se sépare de lui et rend public les détails de l’opération. L’American Civil Liberties Union(Aclu) porte l’affaire devant la justice. Le bureau régional du FBI a violé le premier amendement garantissant la liberté du culte et le quatrième amendement sur les perquisitions et les saisies abusives ou sans mandat.

Au nom de la loi

Le tribunal de district a rejeté les accusations; il a privilégié le secret d’État plutôt que suivre les procédures prévues par la Loi sur la surveillance du renseignement étranger, connue sous l’acronyme Fisa. La divulgation d’information risquerait de nuire à la sécurité nationale. L’Aclu rejette le jugement. La cour d’appel de San Francisco a statué en faveur des plaignants en 2019. La Fisa permet aux juges d’examiner le bien-fondé de la surveillance avant de se prononcer. Le FBI porte l’affaire devant la Cour suprême.

Le vendredi 4 mars 2022 alors que les esprits sont tournés vers La Mecque, les juges de la Cour suprême dans une décision unanime, 9-0, ont tranché en faveur du FBI annulant ainsi la décision de la Cour d’appel de Los Angeles de 2019. Samuel A. Alito Jr., juge qui a rédigé l’avis, s’oppose fermement à l’argument qui privilégie la justification de la surveillance au détriment du secret d’Etat. Selon lui, il s’agit d’une lecture incorrecte de cette législation; elle n’a jamais remplacé ni condamné la doctrine du secret d’État. La divulgation d’information sensible dans ce procès risquerait de menacer la sécurité nationale. Le litige reste entier, la Cour suprême n’a pas rejeté les plaintes de la communauté musulmane. L’Etat américain peut être encore tenu coupable de violation de droits civiques.

United States v. Husayn, aka Zubaydah, et al.

La veille, la Cour suprême a bloqué l’assignation à comparaitre de deux anciens tortionnaires polonais au service de la CIA, accusés d’avoir fait subir de graves sévices à un prisonnier suspecté de terrorisme.

Zayn al-Abidin Muhammad Husayn, connu sous Abou Zoubaydah, terroriste présumé proche d’Oussama Ben Laden et d’Al-Qaïda, a été capturé au Pakistan en 2002. Il croupit encore à Guantanamo Bay, Cuba. Deux bourreaux polonais l’ont interrogé des jours durant et lui ont fait subir les pires des supplices: la planche à eau, waterboard, plus de 83 d’après le rapport du Comité sénatorial du renseignement, des centaines d’heures d’enterrement vivant et la réhydratation et l’alimentation par voie rectale. Le centre pénitentiaire, sous contrôle de la CIA tenu secret, se trouve en Pologne hors d’atteinte de la juridiction américaine.

Le tribunal de district a statué en faveur de la CIA ; la 9e Cour d’appel du circuit, San Francisco, a rejeté le verdict et a donné raison au plaignant. Les détails de la torture de Zubaydah ne sont plus un secret d’État et ne portent pas atteinte à la sécurité nationale américaine; les détails de la torture sont cités dans le rapport du Congrès et relayés par les médias. Tout danger est écarté.

Le juge Stephen Breyer, sans se torturer l’esprit, justifie sa décision de soutenir la doctrine du secret d’État contre Zubaydah de peur de nuire aux relations occultes, secrètes et clandestines entre la CIA et un service de renseignement étranger. Bloquer la divulgation du contenu des interrogatoires servirait les intérêts de la sécurité nationale.

Neil Gorsuch et Sonia Sotomayor, juges à la Cour suprême, ont exprimé leur désaccord. Ils considèrent que le gouvernement veut saboter l’enquête et éviter toute poursuite pour des méfaits passés. Pour l’avocat de la défense, il est nécessaire de savoir ce qui s’est passé à M. Zubaydah. Toute la vérité doit être faite sur ce qu’on lui a fait endurer et subir pendant les vingt années de détention. Le secret ne doit pas rester prisonnier derrière les barreaux de sa cellule.

La Cour suprême en privilégiant le secret d’État, alibi souvent utilisé pour couvrir la violation des droits des individus, inciterait le gouvernement américain d’en user et d’en abuser en continuant d’invoquer ce subterfuge pour dissimuler sa responsabilité devant les tribunaux et couvrir ses abus au public. Ses deux verdicts gravissimes font limiter l’accès aux documents, rendre beaucoup plus difficile à l’avenir la découverte de la vérité. L’obtention de preuves et de témoignages nécessaires seront les premières préoccupations des avocats pour mieux défendre leurs clients. Les tribunaux de district et la Cour suprême doivent savoir équilibrer la responsabilité de l’Etat entre les intérêts de sécurité nationale et les appels incessants à une plus grande transparence.

* Haut fonctionnaire à la retraite.

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