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Des musulmans états-uniens accusent : le FBI met des mosquées sous écoute

L’imam Yassir Fazaga et la taupe du FBI, Graid Monteilh.

Une affaire judiciaire oppose des Arabes américains de confession musulmane au Federal Bureau of Investigation (FBI), le principal service fédéral de police judiciaire et un service de renseignement intérieur américain, qu’ils accusent d’avoir ciblé les musulmans américains en infiltrant les mosquées du sud de la Californie. Lutte contre le terrorisme ou atteinte aux libertés individuelles, sacro-saint principe garanti par la Constitution des Etats-Unis ?

Par Mohsen Redissi *

La vengeance est un plat qui se mange froid, servi très relevé il est resté à travers la gorge du directeur du bureau régional du FBI en Californie. Avaler une couleuvre était plus facile.

Une décision doit être rendue d’ici fin juin 2022. Ce n’est pas une hibernation, mais une profonde réflexion. Les juges de la Cour suprême sont réticents. Le cas est délicat car il engage un appareil tentaculaire de l’Etat américain chargé de la recherche, pas toujours de la vérité, et de la surveillance de tout citoyen sur le territoire de l’Union.

Le gouvernement est accusé d’avoir violé les droits civiques d’une communauté souvent mise à l’index au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Les hommes en soutane de noir vêtus de la Cour doivent décider si le refus du FBI de fournir les documents qui l’incriminent dans cette affaire relève de la sécurité nationale ou un motif tout trouvé pour être sûr d’arrêter toute poursuite.

Bob Woodward dans son livre «C.I.A. : guerres secrètes, 1981-1987» démystifie le secret qui entoure les opérations clandestines menées un peu partout dans le monde par l’armée et les différentes agences nationales de renseignement.

Deux raisons poussent les gouvernements d’une façon générale d’user et d’abuser du secret d’Etat : un mauvais choix politique ou la peur de heurter la sensibilité des gens.

Le FBI a établi toute sa défense sur le secret d’Etat. Ce subterfuge est souvent employé pour couvrir des opérations occultes, ou retenir des informations dans le cadre d’un litige. La 9e Cour d’appel de San Francisco s’est prononcée contre le FBI en 2020. Le ministère de la Justice sous l’administration Trump a fait appel; il a exhorté la Haute cour à annuler la décision et de rejeter le procès.

Dans la séance préliminaire du 8 novembre, le juge associé Neil Gorsuch a déclaré que dans l’affaire Federal Bureau of Investigation v. Fazaga, n°20-828 (1), le gouvernement n’a que deux choix : divulguer des preuves secrètes pour se défendre quitte à perdre la face ou retenir les documents et risquer de débourser une grosse somme d’argent dans un hypothétique intérêt national?

Les Arabes américains eux se sont rabattus sur leurs chapelets en invoquant Allah pour qu’il leur vienne en aide.

Orange County Islamic Foundation, à Mission Viejo.

Aux sources du mal

Trois citoyens musulmans américains, Yassir Fazaga, imam de la Orange County Islamic Foundation à Mission Viejo, Ali Uddin Malik et Yasser Abdel Rahim ont accusé dans le procès de 2011 le bureau régional du FBI d’avoir ciblé les musulmans américains en infiltrant les mosquées du sud de la Californie.

Le bureau a commis une double violation de la Constitution américaine : celle du premier amendement qui garantit la liberté du culte et celle du quatrième amendement sur les perquisitions et les saisies abusives, c’est-à-dire sans mandat. L’accusation couvre une période de 14 mois entre 2006-2007, lorsque le FBI a payé un agent infiltré pour recueillir des informations sur les musulmans dans le cadre des enquêtes antiterroristes post-septembre 11.

En 2012 un juge fédéral a rejeté les accusations de discrimination religieuse. Le FBI et ses agents sont lavés de tout soupçon. La Cour d’appel du 9e circuit a statué en faveur des plaignants en 2019 (2) pour vice de forme après huit ans de combat. La Loi sur la surveillance du renseignement étranger de 1978, la FISA, permet aux juges d’examiner le bien-fondé de la surveillance avant de se prononcer. Le ministère de la Justice rétorque: le jugement du 9e circuit avait ignoré le précédent de la Cour suprême selon lequel «les tribunaux ne doivent pas mettre en danger la sécurité nationale en autorisant l’utilisation de secrets d’État dans le cadre d’un litige».

Les accusations contre le FBI et les revendications religieuses devraient être réexaminées.

Hollywood islamisée

L’industrie cinématographique hollywoodienne a porté à l’écran à diverses reprises de hauts personnages réels ou fictifs. Des scénarii rocambolesques. Des espions largués dans les zones ennemies ou des taupes laissées à elles mêmes dans les milieux opaques du crime organisé. Dans sa croisade contre les milieux musulmans de sa région, le directeur du bureau régional du FBI en Californie a la ferme intention de frapper un grand coup pour stopper net leur influence.

Dans sa logique d’une guerre sainte, ils sont des éléments perturbateurs à surveiller continuellement. Pour infiltrer ce milieu réservé et ne pas éveiller les soupçons, un Franco-algérien est dépêché avec un nom arabe d’emprunt. Graig Monteilh est le sésame du FBI dans l’univers d’Ali Baba. La taupe est chargée de rassembler toute information possible : numéros de portables, adresses e-mail, conversations, plaques d’immatriculation, mouvements suspects… toute pièce à charge. L’espion est un entraîneur dans un gymnase local au passé trouble. Un pénitent qui a la ferme intention de se reconvertir à l’islam; personne n’osera mettre en question la ferveur de l’un des leurs et son désir de revenir à sa foi. Dieu prodigue ses biens à ceux qui le travaillent (3).

Il s’est pris pour Shéhéazade au masculin. Son parcours initiatique a coincé dès le début. Il a voulu les endormir en martelant ses nouveaux hôtes avec des questions sur le djihad et en leur racontant les mille et une façons de mener des actions terroristes contre des bâtiments civils; il leur a promis le paradis contre un déluge de feu et de sang. Inquiétés par son esprit maléfique et de peur de le voir passer à l’œuvre à leur insu, les fidèles ont délégué leur Imam pour le dénoncer. Une dénonciation restée sans suite car le FBI ne peut enquêter et arrêter son propre agent envoyé dans les rangs de la communauté musulmane de la Californie pas pour sonder son islam mais pour la pousser à commettre l’irréparable.

Discrimination religieuse

Les attaques terroristes du 9/11, les plus meurtrières, continuent encore de faire des victimes. Pour de nombreux musulmans américains son héritage réside dans une bataille continuelle pour leurs droits civiques.

Cela se passe en 2006, un terroriste présumé dangereux placé sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI a été vu sortir de la mosquée d’Irvine, Orange Country. Le fond de l’air est devenu très tendu. Les relations entre les fidèles et le FBI ont pris une tournure grave. Leur refus de trahir leur communauté en devenant des informateurs au service du FBI est sévèrement sanctionné. Leurs noms ont été inscrits sur la liste de gens interdits de vol en signe de représailles. Animé par un esprit de vengeance, le directeur du bureau local du FBI a décidé pour les provoquer de bâtir une mairie en lieu et place de l’une des mosquées du Comté. Dieu est un baril de poudre (4).

Le FBI par ces procédures viole un précepte fédéral, la Loi sur la réhabilitation de la liberté religieuse, Religious Freedom Restoration Act (RFRA). Qu’à ce la ne tienne. Elle interdit au gouvernement d’imposer une quelconque entrave ou restriction sur l’exercice de la religion sauf pour motif impérieux.

La RFRA permet également aux victimes d’harcèlement religieux de demander des dommages et intérêts conséquents «des réparations appropriées contre le gouvernement». L’essence même de cette phrase est au cœur du litige FBI vs Fazaga actuellement devant les juges de la Cour suprême.

En désaccord avec ses supérieurs, l’informateur Graig Monteilh sort de l’anonymat et de la clandestinité. Pour se venger, il expose devant les caméras de la télévision et aux médias les opérations occultes menées pour le compte du FBI comme le placement d’un appareil d’enregistrement dans le bureau de l’imam thérapeute Fazaga. D’après lui, le FBI soupçonne l’imam de radicalisme et d’être de connivence avec les protestataires. Dans ses prêches et dans ses séances de thérapie, il apprenait aux fidèles et à ses patients comment organiser des manifestations et leur enseignait l’art de s’exprimer.

L’imam et les deux autres fidèles visés par ces agissements ont déposé une plainte contre le FBI pour les avoir espionnés en violation de leurs droits constitutionnels. «Nous pensons que nous avons été ciblés à cause de nos croyances religieuses», rétorque Fazaga dans ses interventions. Selon lui le FBI doit détruire toutes les informations recueillies en particulier les enregistrements des séances de conseil. Selon l’imam Fazaga le parloir et les séances de thérapie sont tous deux scellés par le secret de la confession.

Pour le gouvernement américain aucun tribunal n’est habilité à instruire un procès sur des questions de secrets d’Etat. Les plaignants musulmans soutiennent le contraire. La Loi FISA annule ce «privilège». Un juge est autorisé à examiner les documents, de tenir des audiences à huis clos pour évaluer le degré de sensibilité des preuves et de les rendre publics s’ils ne touchent pas au secret d’Etat.

La Cour suprême s’est saisie en avril de cette année d’une affaire similaire. Deux anciens sous-traitants de la CIA sont accusés d’avoir torturé en Pologne un présumé haut responsable d’Al-Qaïda(5). L’Etat Major était au courant. Le gouvernement américain cherche à étouffer leurs méfaits pour ne pas ternir davantage l’image des services de renseignement et leurs méthodes musclées pour soustraire des aveux.

Pour le cas présent, la Cour entendra-t-elle l’appel du Muezzin du haut du minaret en faisant la sourde oreille aux revendications du FBI qui cherche à laver son camouflet? Tirera-t-elle le tapis de prières sous ses pieds? Penchera-t-elle du côté de la théorie du secret d’Etat en bafouant les droits constitutionnels d’une minorité ethnique et religieuse. «Muslim Lives Matter» aussi.

Wait and see, le mois de juin prochain sera salvateur pour l’un des protagonistes.

Notes:

1- Federal Bureau of Investigation v. Fazaga, n° 20-828
https://www.supremecourt.gov/docket/docketfiles/html/public/20-828.html (en anglais).

2- United States Court of Appeals for the Ninth Circuit: Fazaga v. Walls: no. 12-56867 D.C. no. 8:11-cv-00301- CJC-VBK.
http://cdn.ca9.uscourts.gov/datastore/opinions/2019/02/28/12-56867.pdf (en anglais, 103 p.)

3-La Fontaine, Les Fables – Le rat qui s’était retiré du monde. 1668.
https://www.20aubac.fr/corriges/31598-fontaine-les-fables-rat-qui-setait-retire-monde

4- Shalom Cohen, Samy Cohen. «Dieu est un baril poudre : Israël et ses intégristes». 2003

5- United States v. Zubaydah.
https://www.scotusblog.com/case-files/cases/united-states-v-abu-zubaydah/ (en anglais).

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