Tunisie-Union européenne : ce n’est pas la joie

L’entretien accordé par Marcus Cornaro, l’ambassadeur de l’Union Européenne (UE) en Tunisie, à l’agence Tap contient, au-delà du ton diplomatique de rigueur, des éléments qui montrent que les relations entre Tunis et Bruxelles ne sont pas au beau fixe et qu’elles pourraient être meilleures et plus bénéfiques pour notre pays, si les autorités tunisiennes respectent leurs engagements solennellement affirmés lors de la signature des accords, et ne les oublient pas avant même que ne sèche l’encre avec laquelle ils ont été écrits.

Par Imed Bahri

Tout en confirmant l’engagement politique, financier et technique de l’UE aux côtés de la Tunisie et son attachement à la réussite de la transition politique et socio-économique dans notre pays, M. Cornaro a souligné, à plusieurs reprises, que les appuis de l’UE à la Tunisie «pourraient être encore plus utiles et avoir plus d’impact si toutes les idées de réformes que le gouvernement est en train d’avancer étaient réellement mises en place.»

Des réformes dans les tiroirs

Concernant les négociations de la Tunisie avec le Fonds monétaire international (FMI), où l’UE est fortement représentée, pour un nouveau prêt de 4 milliards de dollars, M. Cornaro a admis que «ces négociations ne sont pas faciles, vu que plusieurs réformes étaient déjà dans les tiroirs durant les années passées et qu’elles n’ont pas pu être mises en œuvre dans un contexte politique défavorable», tout en formant l’espoir que cette fois-ci la volonté politique sera présente pour mettre en application toutes les idées de réformes. 

En termes plus clairs, M. Cornaro reproche aux autorités tunisiennes de ne pas respecter leurs engagements et de ne pas mettre en œuvre les réformes dont elles se prévalent lors des négociations pour justifier les demandes de financements. Et il estime, par ailleurs, que «ces réformes nécessitent surtout le maintien d’une entente nationale et sociale au sens large face à une transition démocratique et économique difficile.»

Plus loin, il revient sur cette même exigence en soulignant qu’«un accord avec le FMI sur les différentes propositions ne sera pas suffisant. Il va falloir également, réussir à instaurer une entente nationale avec les acteurs les plus importants de la scène nationale, afin qu’il y ait une certaine appropriation des différentes résolutions, ce qui favorisera la mise en œuvre des réformes.

Ce qui, en termes moins diplomatiques, veut dire que les autorités tunisiennes, et notamment le président de la république, qui accapare aujourd’hui tous les pouvoirs, tout en optant pour la voie difficile du cavalier seul, seraient mieux inspirés de changer de stratégie et de méthode en œuvrant pour le maintien d’une entente nationale et sociale minimale, c’est-à-dire l’association des partis politiques et des organisations nationales dans la mise en route des réformes, et non leur exclusion, comme le fait aujourd’hui le président Kaïs Saïed, au prétexte de vouloir assainir le pays et lutter contre la corruption, programme dont il se prévaut depuis l’annonce des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet 2021, et dont les résultats sont jusque-là maigres, trop maigres, pour ne pas dire quasi-nuls.

Marcus Cornaro.

Les sept réformes urgentes pour impulser l’investissement

Interrogé sur les principaux défis rencontrés par les investisseurs européens en Tunisie, M. Cornaro a indiqué que «l’investissement européen en Tunisie stagnait déjà avant la crise sanitaire, en raison de l’incertitude liée à la phase transitoire» et des carences constatées dans le climat général des affaires dans notre pays. Il a, dans ce contexte, donné quelques pistes intéressantes de réformes urgentes qui pourraient avoir un impact positif sur la hausse des investissements privés européens en Tunisie, investissements dont notre pays a vivement besoin pour relancer une croissance en berne, créer des richesses et impulser l’emploi, sachant que nous comptons aujourd’hui plus de 700 000 chômeurs (soit un taux de plus de 17% de la population active) dont 250 000 diplômés (soit un taux de plus de 40% du stock de chômeurs).

Ces réformes urgentes attendues par les investisseurs européens en Tunisie, et dont les Etats membres de l’UE et les chambres de commerce mixtes ont déjà établi une liste, sont au nombre de sept que le responsable européen a groupées autour de sept volets : 1- la mise en place des instruments d’accompagnement efficaces de suivi des investisseurs présents et prospects; 2- la réforme du cadre réglementaire de l’investissement, en consacrant la liberté d’entreprendre et en levant, autant que possible, les restrictions qui ne correspondent pas à un objectif de politique publique; 3- la fluidification des services bancaires et la réforme de la réglementation de change; 4- la digitalisation des procédures administratives, en assurant l’interopérabilité et en évitant les doublons; 5- la mise en place d’un cadre fiscal et de protection sociale prévisible, équitable, à travers un système équilibré entre incitations et contrôles; 6- le développement d’une culture de dialogue au sein des entreprises, afin d’éviter les blocages et d’améliorer les conditions de travail; 7- la facilitation des échanges commerciaux, notamment en numérisant les procédures douanières, en assurant la surveillance des marchés de façon proportionnelle et efficace, en améliorant la logistique et en évitant les augmentations de droits de douane qui pèsent sur les échanges commerciaux et les chaînes de valeur. 

Marcus Cornaro et Najla Bouden.

Incertitude politique et bureaucratie paralysante

«En améliorant tous ces points, je pense que la Tunisie aura beaucoup à gagner en termes d’investissement productif national et étranger», a conclu M. Cornaro, qui n’a pas eu besoin de préciser que l’investissement national stagne autant sinon plus que l’investissement étranger, et les causes de cette stagnation générale sont les mêmes et peuvent être résumées en deux points : l’incertitude politique et la bureaucratie paralysante.

Cependant, le responsable européen a tenu à souligner les perspectives positives d’une relance attendue de l’investissement privé européen en Tunisie, d’autant que la pandémie de Covid-19 a provoqué des perturbations dans les chaînes de valeur lointaines et démontré la forte dépendance de l’Europe vis-à-vis de certains sites de production, notamment la Chine qu’il n’a pas nommée.

Profiter du nouveau repositionnement mondial

«La crise ukrainienne a aussi, aggravé ces fragilités des chaînes de valeur et d’approvisionnement et mis en avant la dépendance de l’UE, et d’autres, sur le plan énergétique et alimentaire. L’Europe cherche actuellement, activement, de nouvelles sources d’énergie et j’espère que la Tunisie pourra saisir cette occasion et mettre en avant son offre et son potentiel en termes d’énergies renouvelables dans le cadre d’un partenariat tuniso-européen», a déclaré à ce propos M. Cornaro, en citant deux autres secteurs productifs prometteurs : l’agriculture et l’agroalimentaire, et en formant l’espoir que «la Tunisie réussira à réunir les conditions favorables à une bonne relance de l’investissement, notamment européen, dans le pays et à profiter du nouveau repositionnement mondial.»

Cependant, a ajouté le responsable européen, la Tunisie ne pourra se repositionner sur le nouvel échiquier mondial que «si elle parvient à remédier à toutes les lacunes déjà évoquées. Il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas le seul pays à pouvoir en profiter et que la concurrence est rude à cet égard», a-t-il prévenu, laissant entendre que le temps presse et que le rythme lent, trop lent, de la mise en œuvre des réformes structurelles ne plaide pas en faveur de la Tunisie. Traduire : il faut agir vite et efficacement et ne pas se contenter de tirer des plans sur la comète, un exercice dans lequel les autorités tunisiennes sont passées maîtres, et surtout depuis 2011.

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