Tunisie : Kaïs Saïed servi par une opposition divisée

Si le bilan global de Kaïs Saïed, depuis qu’il s’est emparé de la totalité du pouvoir avec la proclamation des mesures exceptionnelles le 25 juillet 2021, est trop maigre sur les plans économique et social, le président de la république peut se targuer d’une incontestable réussite : avoir mis contre lui l’essentiel des forces politiques en Tunisie, qui sont mobilisées pour faire échec à son projet de référendum sur la nouvelle constitution en préparation, dont la date est fixée pour le 25 juillet 2022.

Par Imed Bahri

C’est dans ce cadre qu’un mouvement de protestation a été organisé hier, dimanche 19 juin, à Tunis, à l’initiative du Front de salut national (FSN), rassemblant le mouvement Ennahdha, le parti Qalb Tounes et la coalition Al-Karama, pour appeler au boycott dudit référendum, qualifiant l’ensemble du processus menant à cette échéance d’«illégale».

Les manifestants ont brandi des banderoles appelant au départ du président de la république et crié des slogans hostiles aux mesures exceptionnelles qu’ils ont qualifiées de «putsch» contre l’Etat et la constitution de 2014.

La dérive autoritaire de Kaïs Saïed

Les opposants au président Kaïs Saïed ont également dénoncé la comparution de civils devant la justice militaire ainsi que toutes les tentatives de ce qu’ils appellent «le pouvoir en place» d’assujettir la justice aux diktats du pouvoir exécutif incarné par le président de la république.

Les manifestants ont critiqué, à cet égard, la révocation de 57 juges poursuivis dans des affaires de corruption et d’atteinte à la sécurité de l’Etat sans leur permettre de faire appel de cette condamnation extrajudiciaire.

Ridha Belhadj (parti Al-Amal), membre du comité constitutif du FSN, a déclaré que le rejet du référendum s’étend et comprend désormais divers partis qui, malgré leurs divergences, s’accordent à dire que le processus initié par le président de la république s’est écarté de la constitution,

Tout en soulignant que le référendum du 25 juillet ne répond ni aux normes nationales ni internationales, Ridha Belhadj affirmé que la mobilisation politique se poursuivra pour faire échouer le projet de Kaïs Saïed, qui met en péril les acquis nationaux acquis depuis 2011, à savoir les libertés politiques et la transmission pacifique du pouvoir ainsi que l’organisation d’élections libres et transparentes supervisées par une autorité indépendante.

Mohamed Goumani, membre du mouvement Ennahdha, l’une des composantes du FSN, a déclaré que ce mouvement de protestation apporte son soutien aux magistrats suite à la révocation «inconstitutionnelle» de 57 d’entre eux «pour avoir refusé de s’impliquer dans des règlements de comptes politiques».

Dans une déclaration à l’agence Tap, Chaima Aissa, membre du comité constitutif du FSN, a expliqué que ce mouvement s’inscrit dans un ensemble d’actions visant à «contrer le putsch» et à assurer le retour au fonctionnement des institutions légitimes. Elle a estimé qu’il aurait été possible de résoudre les problèmes d’avant le 25 juillet par la loi et la constitution plutôt que par le monopole du pouvoir et «le putsch», qui a conduit à une profonde crise économique et isolé le pays de son environnement international, a-t-elle regretté.

Il convient cependant de rappeler que la responsabilité de la situation économique difficile du pays ne peut être imputée au chef de l’Etat, puisqu’elle est la conséquence de dix ans de mauvaise gouvernance et de corruption politique aux plus hautes sphères du pouvoir, lequel était aux mains de ceux qui protestent aujourd’hui contre la «dérive autoritaire» de Kaïs Saïed.

Par ailleurs, et si les griefs exprimés à l’encontre de ce dernier, à cause de son refus de dialoguer avec ses opposants, sont en grande partie recevables, le drame de ceux qui les expriment c’est qu’ils ont perdu toute crédibilité aux yeux des Tunisiens et leur parole ne vaut pas un sou.

Pour ne rien arranger, ces derniers sont divisés : plusieurs fronts anti-Saïed avançant séparément et se regardant comme des chiens de faïence : Ennahdha et ses larbins de toujours, Attayar et les forces de centre-gauche et le Parti destourien libre et sa tonitruante présidente Abir Moussi qui croient incarner à eux seuls la légitimité de l’opposition à Saïed.

Un dictateur intègre plutôt qu’un démocrate corrompu

En attendant, et regardant dédaigneusement tout ce beau monde du haut de son promontoire de Carthage, le président de la république poursuit imperturbablement la mise en œuvre de son projet politique : référendum sur la nouvelle constitution, le 25 juillet, et des législatives anticipées, le 17 décembre, pour asseoir définitivement un nouveau régime présidentiel fort.

Dans cette démarche unilatérale et fermée à tout dialogue digne de ce nom, le locataire du palais de Carthage avance yeux et oreilles fermés, et pour cause, il sait qu’une majorité de Tunisiens, lassés par une décennie de désordres politiques et de mal-gouvernance qui a mis leur pays au bord de la faillite, le soutiennent et son fermement opposés à tout retour en arrière. Le pouvoir fort et autoritaire, dont les opposants de Kaïs Saïed, cherchent à leur faire peur, beaucoup d’entre eux l’appellent de tous leurs vœux. «Un dictateur intègre et patriote plutôt qu’un démocrate corrompu et vendu à l’étranger», disent-ils.

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