Tunisie : Noureddine Taboubi s’est-il assagi ?

Il n’y a pas si longtemps, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) fulminait contre le président de la république Kaïs Saïed et contre son projet de constitution proposé au référendum du 25 juillet, au point de devenir, aux yeux de beaucoup de dirigeants politiques, le leader «naturel» de l’opposition dans le pays. Depuis quelques jours, le dirigeant de la centrale syndicale prend des positions moins tranchantes et montre un visage plus avenant. Que s’est-il passé entre-temps qui nous vaut cette métamorphose ?

Par Imed Bahri

«Le syndicat ne cherche pas à se positionner sur la scène politique. Sa véritable mission est de dire la vérité et de défendre les acquis du pays», a tenu à préciser M. Taboubi, qui s’exprimait à l’ouverture du congrès de la fédération générale des cadres et surveillants généraux tenu à Hammamet, le 14 juillet 2022, ajoutant que l’UGTT se distingue par sa maturité politique et préfère investir dans les compétences, humaines et syndicales. «Son objectif est de renforcer son unité et sa capacité à négocier et à défendre les dossiers en cours», a-t-il ajouté.

Nouvelle stratégie ou recul tactique ?

Le secrétaire général a en outre affirmé que l’UGTT opte pour le dialogue et la négociation sur les questions sociales malgré la publication de la circulaire n° 20 du 9 décembre 2021, imposant à l’administration publique des conditions de négociation avec la partie syndicale, soulignant que la situation des travailleurs nécessite une intervention pour défendre leurs droits sociaux et économiques.

Pourquoi M. Taboubi ressent-il soudain le besoin de justifier ses activités syndicales, si ce n’est pour démentir les accusations auxquelles il fait face depuis un certain temps selon lesquelles il serait en train de déborder son champ de compétence et cherche à occuper une place centrale sur un champ politique éclaté que les partis, en perte de crédibilité, ont du mal à occuper ?   

Assistons-nous à un changement de stratégie de la part des responsables syndicaux qui s’exprime par les déclarations moins emportées et moins colériques de M. Taboubi ?

Ou s’agit-il d’un simple recul tactique momentané pour voir comment évoluera la situation politique dans le pays après la publication des résultats du référendum, dont l’issue semble s’orienter vers l’imposition de la nouvelle constitution et la mise en place d’un pouvoir personnel autoritaire ?

L’UGTT, qui est allée très loin dans l’«opposition politique» à M. Saïed, a-t-elle pris conscience de la nécessité de mettre un peu d’eau dans son vin et de ne pas rompre totalement le fil de la communication, jusque-là heurtée, avec la plus haute autorité de l’Etat ?

Les intérêts bien compris

Les dirigeants de la centrale syndicale savent, par ailleurs, qu’une bonne partie de leur base soutient le projet de réforme de M. Saïed, et notamment sa supposée guerre contre la corruption, et que leurs récentes positions hostiles à ce qu’ils considèrent, à juste titre, comme une dérive autoritaire du chef de l’Etat pourraient, à terme, les couper de cette partie de leur base et cela ne manquerait pas de diviser les rangs syndicaux. Qu’est-ce qui les empêcherait, en effet, d’assister, au sein de l’UGTT, à un remake de ce qui s’est déjà passé à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) éclatée en deux clans opposés, les pro et les anti Saïed ? Cette menace pour la stabilité de la centrale et son unité est d’autant plus réelle que la polémique sur la nouvelle constitution traverse la société tunisienne dans son ensemble, dont l’UGTT n’est qu’un microcosme ou un échantillon.   

Les dirigeants syndicaux semblent, par ailleurs, avoir retenu les leçons de l’histoire, car, à chaque fois que leur organisation s’est frontalement opposée à l’Etat, elle l’a payé chèrement, s’est retrouvée divisée et a dû subir une longue traversée du désert. Et comme certains d’entre eux traînent des casseroles et, de ce fait, risquent de se voir bientôt traînés devant les tribunaux pour répondre à des accusations de corruption, la prudence la plus élémentaire leur dicte donc de renouer le dialogue avec le palais de Carthage, et pour que cela devienne possible, mettre fin à l’escalade politique constatée ces dernières semaines dans leurs déclarations et positions.    

Noureddine Taboubi reçu par le président Tebboune.

Last but not least, l’«assagissement» constaté chez M. Taboubi et ses camarades de l’UGTT fait suite à la visite que le SG de la centrale a effectuée, le 14 juillet, à Alger, à l’invitation des autorités de ce pays qui, comme toute le monde le sait, accorde un grand intérêt à la stabilité politique chez son voisin de l’est, d’autant que ses relations sont très heurtées avec son voisin de l’ouest, et que la situation à ses frontières sud, notamment en Libye, reste très tendue. Est-ce là l’analyse que M. Taboubi s’est entendu développer par ses hôtes algériens ?  On peut sérieusement le penser et qui expliquerait son changement d’attitude…  

La bonne nouvelle dans tout cela : les partis d’opposition vont devoir cesser de se prosterner aux pieds de M. Taboubi et de l’utiliser dans leur conflit avec le président Saïed. Ils doivent désormais compter sur leurs propres moyens pour exister.

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