Dans un scénario où le rythme actuel de détérioration de la situation économique et financière se poursuit, il est probable que la Tunisie fasse défaut sur sa dette au cours de l’année prochaine. Et le pire n’est pas à écarter, eu égard l’inconscience, l’incompétence et l’irresponsabilité dont fait preuve aujourd’hui la tête de l’exécutif, complètement sourd aux exigences économiques.
Par Amine Ben Gamra *
A l’annonce du limogeage du gouvernement et du gel des travaux de l’Assemblée, dans la nuit du 25 juillet 2021, dans le cadre des «mesures exceptionnelles» annoncées par le président de la république Kaïs Saïed, les Tunisien(ne)s ont réagi avec un mélange de mépris et d’incrédulité, mépris pour les dirigeants politiques au pouvoir ainsi balayés et incrédulité vis-à-vis du bonheur promis au peuple qui veut.
Ce soir-là, il y avait autant de monde dans les rues des villes et villages dans toute la Tunisie que le jour où Ben Ali a fui le pays, onze ans plus tôt, le 14 janvier 2011, pour exprimer leur soutien à un président de la république dont la position morale forte contre une classe politique corrompue est appréciée par toutes les classes, générations et régions.
Que de temps perdu !
Un an après, nous traversons toujours en Tunisie une période d’incertitude avec une économie bousculée par une pandémie sans précédent et des tensions géopolitiques nées notamment par la crise de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine. Une crise venant s’ajouter à une autre, ravageant des vies humaines, ralentissant la croissance et poussant l’inflation à la hausse. Cette inflation galopante et la hausse des taux d’intérêt qui en découle, associées à la crise énergétique, alimentaire et sanitaire font peser de graves menaces sur l’économie nationale, alors qu’on perd un temps précieux à mettre en œuvre une réforme constitutionnelle contestable et contestée par des pans entiers de la société.
Pire encore, sans réformes structurelles pour essayer d’inverser la tendance, la trajectoire de l’endettement de la Tunisie risque de devenir insoutenable. La dette publique est passée de 74,2% du PIB en 2019 à 89,7% en 2020, et devrait atteindre 90,2% en 2021 et plus en 2022, puisque rien n’est fait pour stopper cette tendance et qu’au contraire, tout est fait pour la renforcer, avec les négociations en cours pour un nouveau prêt du FMI, alors que le dollar flambe, que le dinar pique du nez et que l’encours de la dette atteint des sommets inédits.
L’horizon économique s’assombrit
Pour ne rien arranger, la Tunisie fait face à de très grandes difficultés pour emprunter et financer ses besoins, d’autant qu’elle dégage une impression d’instabilité politique qui, n’encourage guère les investisseurs à courir de nouveaux risques, surtout que le pays a vu sa notation souveraine dégradée une dizaine de fois en dix ans pour atteindre aujourd’hui les profondeurs.
La dégradation de la situation sociale s’est poursuivie avec un taux de chômage atteignant 18,4% de la population active, le plus haut observé depuis 2011. Avec un déficit budgétaire de près de 10%. Avec, en plus, l’une des masses salariales du secteur public les plus élevées au monde, la Tunisie apparaît comme le pays le plus à risque de faire défaut sur sa dette.
Dans ces conditions, un accord avec le FMI devient impératif, mais difficile à obtenir en raison de l’incertitude politique régnant dans le pays où le président de la république Kaïs Saïed, au lieu de se pencher sur la situation d’une économie gravement malade, n’a qu’un seul souci : continuer à renforcer ses pouvoirs, sachant qu’il contrôle déjà le législatif (en gouvernant par décrets), l’exécutif et le judiciaire, et qu’il a mis la main sur les médias publics où la voix de l’opposition est quasiment absente.
Dans un scénario où le rythme actuel de détérioration du déficit budgétaire se poursuit, il est probable que la Tunisie fasse défaut sur sa dette au cours de l’année prochaine. Et le pire n’est pas à écarter, eu égard l’inconscience, l’incompétence et l’irresponsabilité dont fait preuve aujourd’hui la tête de l’exécutif, complètement sourd aux exigences économiques.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptables de Tunisie.
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