Le jour où la démocratie tunisienne est morte

La démocratie tunisienne s’effondre. Biden ne devrait pas simplement en rester là. Les États-Unis pourraient utiliser un levier économique pour faire pression en faveur des réformes démocratiques. Pour l’instant, ils se sont contentés d’une faible critique du lamentable référendum constitutionnel récemment organisé par la nation nord-africaine.

Par Bobby Ghosh *

Le jour où la démocratie tunisienne est morte, il incombait au porte-parole du département d’État d’exprimer les apitoiements pâteux de l’administration Biden. Interrogé sur le référendum constitutionnel du 25 juillet qui a permis au président Kaïs Saïed d’institutionnaliser le pouvoir d’un seul homme dans la nation nord-africaine, Ned Price a fait les observations suivantes: «Eh bien, nous notons le résultat qui a été rapporté par l’Instance supérieure indépendante pour les élections et les observateurs électoraux de la société civile. Le référendum a été marqué par une faible participation. C’est quelque chose que nous remarquons. Un large éventail de la société civile tunisienne, des médias et des partis politiques ont exprimé de profondes inquiétudes concernant le référendum. Nous notons, en particulier, les inquiétudes généralisées parmi de nombreux Tunisiens concernant l’absence d’un processus inclusif et transparent et la portée limitée d’un véritable débat public lors de la rédaction de la nouvelle constitution. Nous notons également des inquiétudes quant au fait que la nouvelle constitution comprend des freins et des contrepoids affaiblis qui pourraient compromettre la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»

L’administration Biden se contente du minimum

On notera l’absence de toute critique directe de celui qui a garrotté la démocratie la plus prometteuse du monde arabe. Au lieu d’interpeller Saïed à propos de son appropriation d’une autorité quasi absolue, l’administration Biden n’a une fois de plus pas été à la hauteur de sa propre réputation de défenseur de la démocratie.

Il y aurait pourtant eu de quoi critiquer. Saied a pris le contrôle de la commission électorale avant le vote, en plus de museler les médias, de mettre la main sur le système judiciaire et d’emprisonner des opposants politiques. Et l’écrasante majorité des Tunisiens a choisi de ne pas voter, sapant la tentative de l’autocrate de légitimer sa prise de pouvoir en refusant de participer à l’exercice électoral.

Même en prenant au pied de la lettre l’affirmation de la commission électorale d’un taux de participation de 30,4%, ce fut une performance catastrophique pour Saïed (l’homme fort de l’Egypte Abdelfattah Sissi avait réussi un taux de participation de 38,6% lors de son référendum constitutionnel de 2014.) Le président tunisien s’est fendu de la moindre des excuses : plus de gens auraient voté s’ils avaient disposé de deux jours au lieu d’un seul.

La position ambiguë des Etats démocratiques

Dans les jours à venir, les opposants de Saïed tireront le meilleur parti de la faible participation pour remettre en question la légalité de la nouvelle constitution – et par extension, le droit du président à gouverner.

Comme tous les autocrates, Saïed cherchera des sources alternatives de légitimité. Attendez-vous à des rassemblements à Tunis soutenus par le gouvernement célébrant la constitution et à des expressions de fidélité de la part des forces armées.

Le président tirera également sa légitimité de la volonté des dirigeants étrangers – et en particulier des dirigeants d’États démocratiques – de faire du business avec lui. Il sera rassuré par la réticence des défenseurs de la démocratie à critiquer, et encore moins à condamner, son simulacre de référendum.

Saïed espère que l’administration Biden fera pour lui ce que l’administration du président Barack Obama avait fait pour Sissi : accepter la nouvelle constitution comme un fait accompli et détourner le regard alors que le président tunisien l’utilise pour resserrer son emprise sur tous les leviers de l’État.

Ce que doit faire Biden

Le président Biden devrait refuser de donner satisfaction à Saïed. Il pourrait commencer à compenser son échec à protéger la démocratie tunisienne en indiquant clairement que son administration a fait plus que «noter» la tentative de Saïed d’institutionnaliser l’autoritarisme.

Biden n’est pas en reste pour utiliser un langage fort dans des situations comme celle-ci. En novembre dernier, il avait condamné Manuel Noriega du Nicaragua pour avoir organisé un simulacre d’élection. Saïed devrait recevoir un traitement similaire.

Rhétorique présidentielle mise à part, la position officielle des États-Unis devrait être que le référendum était trop imparfait pour que ses résultats soient valables. Et toute tentative de Saïed d’exercer les pouvoirs conférés à la présidence dans la nouvelle constitution devrait être sanctionnée par une condamnation sans réserve et, si possible, par des sanctions économiques.

Biden devrait exiger que Saïed restaure l’indépendance du pouvoir judiciaire tunisien ainsi que la liberté de la presse, et travailler avec les partis d’opposition vers un accord de partage du pouvoir et de nouvelles élections.

Si Saïed refuse, les États-Unis devraient suspendre toute aide à la Tunisie et encourager ses partenaires européens à faire de même. L’administration Biden devrait également être prête à exercer le veto américain sur toute aide du Fonds monétaire international à la Tunisie.

Cela frapperait Saïed là où ça fait le plus mal. Il a désespérément besoin de financements étrangers et de l’aide du FMI pour commencer à réformer l’économie en ruine de la Tunisie. Ne pas tenir ses promesses sur ce front supprimera rapidement même le soutien limité dont il bénéficie et mettra fin à toute prétention à la légitimité.

Biden a beaucoup à répondre de son incapacité à respecter ses valeurs professées. En Tunisie, il a l’occasion de faire quelque chose de remarquable. **

Traduit de l’anglais par I. B.

* Chroniqueur de Bloomberg Opinion spécialisé dans les affaires internationales. Anciennement rédacteur en chef à Hindustan Times, rédacteur en chef à Quartz et rédacteur international à Time.

** Le titre est les intertitres sont de la rédaction.

Source : Bloomberg.

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