Tunisie : Où s’arrête la démocratie et commence la dictature ?

Il a fallu que le président de la république Kaïs Saïed «ordonne le retrait immédiat de son portrait», qui était placardé, depuis quelques jours, sur le minaret d’une mosquée à Sidi Ali Ben Aoun, à Sidi Bouzid, pour que les autorités nationales, régionales et locales s’exécutent enfin pour assumer leur mission première consistant à faire appliquer la loi.

Par Ridha Kefi  

Au-delà de la publicité que le chef de l’Etat a eue à cette occasion, grâce à la polémique suscitée sur les réseaux sur cet acte indigne d’une jeune démocratie, et où les commentateurs, indignés et choqués, ont vu un retour en force du culte de la personnalité  qu’il croyait définitivement enterré avec la chute de la dictature de Ben Ali…

Au-delà de la publicité que M. Saïed a eue aussi en «ordonnant» (sic !), il est vrai avec quelque retard, le «retrait immédiat de son portrait» (re- sic !), cette affaire a de quoi interpeller et susciter des interrogations et des inquiétudes légitimes.

Et si le président n’avait pas réagi, qui aurait osé retirer ledit portrait présidentiel du haut du minaret d’une mosquée ?

Le zèle tardif des subalternes

Pourquoi, ni le ministre de l’Intérieur, ni son collègue des Affaires religieuses, ni le gouverneur de Sidi Bouzid, ni encore le délégué de Sidi Ali Ben Aoun n’ont cru devoir réagir, à leur niveau, pour faire respecter la loi de la république qui interdit clairement l’utilisation des lieux de culte pour la propagande politique, fusse-t-elle au profit de la plus haute autorité de l’Etat ?

Pourquoi ces hauts responsables ont-ils attendu que le président de la république leur «ordonne» du haut de son auguste magistère de faire leur boulot pour qu’ils s’exécutent enfin avec le zèle tardif des subalternes dans les dictatures ?

Oui, n’ayons pas peur des mots : autant l’acte d’un autre âge des auteurs de ce dépassement que le comportement des hauts responsables publics sont indignes d’une république, qui plus est, se prétend démocratique.

C’est également à ce genre de situation dont le ridicule le dispute à la gravité que l’on reconnaît une dictature qui tente de prendre racine dans le quotidien des gens.

Communiqué du gouvernorat de Sidi Bouzid daté du 6 août 2022.

Par ailleurs, le portrait présidentiel qui a suscité cette semaine une levée de bouclier n’est pas le premier du genre à avoir choqué les citoyens. Il y a en déjà eu d’autres, affichés sur les murs aveugles de grands bâtiments, pendant la campagne référendaire sur la nouvelle constitution, en juillet dernier, mais cela n’a pas suscité la colère des internautes, qui ont visiblement cru qu’il s’agissait d’actes isolés de quelques opportunistes locaux du genre que six décennies de dictature nous ont habitués .

Des pouvoirs désormais illimités

C’est, sans doute, la répétition du même acte et, surtout, le recours cette fois-ci au minaret d’une mosquée pour y afficher le portrait du nouveau «Combattant Suprême» et du nouveau «Artisan du Changement» qui semblent avoir suscité l’inquiétude de voir la dictature s’installer de nouveau dans le pays avec son cortège habituel – culte de la personnalité, népotisme, opportunisme et corruption –, douze ans après la «révolution du jasmin».

Ce qui a suscité les inquiétudes de nombreux citoyens et les a fait sur-réagir cette fois au portrait du président affiché au fronton d’une mosquée, c’est le fait que ce genre de signes précurseurs d’une dictature qui tente de s’installer ait coïncidé avec l’adoption d’une nouvelle constitution qui octroie tous les pouvoirs au président de la république, muselle tous les contre-pouvoirs (législatif, judiciaire et médiatique) et met le chef de l’Etat à l’abri de toute poursuite ou de demande de reddition de comptes.

«Trop, c’est trop !» ont semblé dire les internautes en s’élevant avec véhémence contre un fait divers qui serait passé totalement inaperçu si la conscience citoyenne s’était laissé endormir et anesthésier par les promesses d’un président populiste qui, depuis  la proclamation des mesures exceptionnelles le 25 juillet 2021, n’a cessé de pousser son avantage, au point qu’il ne sait plus où mettre le curseur limitant ses pouvoirs désormais illimités.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.