Les diktats des TO étrangers poussent les hôteliers tunisiens à davantage de bradage des prix aux dépens de la qualité des services dispensés aux touristes. Cette politique a entraîné récemment la faillite de plus de 350 unités hôtelières, en raison du surendettement. Malheureusement, nous payons aujourd’hui la facture de ce tourisme bon marché, artificiellement dopé par les subventions étatiques des produits agroalimentaires, qui doivent aujourd’hui être levées dans le cadre des accords avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un nouveau prêt. L’horizon risque de s’obscurcir. Il faut réagir à temps et sortir des entiers battus.
Par Habib Glenza *
Résident en Pologne depuis de nombreuses années, lors de mon dernier passage en Tunisie en 2018, j’ai dénoncé, sur les pages de Kapitalis, la très mauvaise qualité du linge hôtelier due aux méthodes de blanchissage, non conformes aux normes internationales, notamment en matière de traitement antiseptique et antiviral.
J’ai également soulevé le problème du diktat des TO étrangers, qui poussent les acteurs du tourisme tunisien à davantage de bradage de prix.
De 2018 à 2022, rien n’a changé? Tout cela a provoqué la faillite de plus de 350 unités hôtelières supplémentaires, et à une situation financière dramatique pour d’autres!
Nos responsables (Fédération tunisienne de l’hôtellerie, FTH, Office national du tourisme tunisien, ONTT, ministère du Tourisme, MT) n’ont pas encore compris que ce qui compte le plus pour un hôtel, c’est la qualité de son service et non pas seulement le prix attractif du séjour.
Un client étranger qui paye la bagatelle de 450 euros pour un séjour d’une semaine en all inclusive, soit l’équivalent d’un séjour de 2 à 3 nuitées avec petit-déjeuner dans un hôtel de moyenne gamme en Europe, va exiger et réclamer la qualité de service, qu’il n’a pas payé.
Par conséquent le bradage des prix profite seulement aux TO étrangers, qui peut faire du chiffre, et met l’hôtelier tunisien dans l’impossibilité d’accorder un meilleur service, un entretien adéquat de l’infrastructure vieillissante ainsi que le renouvellement des équipements de la cuisine, de la buanderie et autres.
Conclusion le tourisme «bon marché» n’est pas rentable.
Quel avenir pour un tourisme dévalorisé ?
Au début des années 60, l’Etat tunisien a dépensé une fortune pour bâtir un secteur touristique doté d’une infrastructure hôtelière remarquable avec des hôtels, des routes et des autoroutes, des aéroports. En plus, ce secteur a profité du parapluie des présidents Bourguiba et Ben Ali pour ne pas honorer ses engagements envers les banques, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et le ministère des Finances. De ce fait, deux banques de développement ont fait faillite : la BDET et la BNDT.
Le tourisme, qui a ainsi été bâti au détriment d’autres secteurs dont l’agriculture, compte une capacité d’hébergement de plus de 250.000 lits, capable d’accueillir 20 millions de touristes par an pour une recette de plus de 30 millions de dinars tunisiens (DT, mais il n’a accueilli, dans le meilleurs des cas, que 9 millions de touristes en 2019, pour une recette de 7 millions de dinars ! Encore faut-il rappeler que les recettes de l’année 2010 étaient de loin meilleures, si l’on tient compte de la différence de valeur de l’euro en 2010 (1,5 DT) contre (3,5 DT) en 2019.
Comparées aux recettes des pays concurrents directs dans la région (Maroc, Turquie, Egypte), celles de la Tunisie sont en-deçà des attentes des hôteliers et du secteur touristique en général.
Les raisons de ces mauvaises performances sont multiples, mais les trois raisons majeures restent le bradage des prix, la mauvaise qualité des services rendus et l’insuffisance de la formation sur les plans qualitatif et quantitatif.
Un constat m’avait frappé quand je présidais la Chambre nationale des buandiers nettoyeurs à sec, c’est l’importance qu’accorde l’Institut des hautes études touristiques de Sidi Dhrif (IHETSD) à la restauration plutôt qu’à la buanderie. En effet, à Sidi Dhrif, on formait des gestionnaires en restauration, tandis que la formation en buanderie se limitait à la formation de lingères !
Décidément, nous sommes gouvernés par des incompétents qui ne savent pas que la buanderie d’un hôtel 5 étoiles de 500 lits dispose de l’équivalent de 800 MDT de linge à entretenir sans compter la valeur de l’ensemble de l’équipement de buanderie qui coûte lui aussi plus 1.000 MDT. Certaines buanderies hôtelières modernes coûtent plus de 5.000 MDT.
Aujourd’hui, plus que jamais la gestion d’une buanderie nécessite une formation à haut niveau dans plusieurs domaines techniques et scientifiques tels que la chimie, la mécanique, l’électromécanique ou l’électronique. Je ne pense pas que les lingères formées à Sidi Dhrif pourraient gérer une buanderie? Réveillez-vous messieurs les responsables de la formation et soyez responsables afin d’éviter l’effondrement du secteur touristique. En ce moment, la formation que vous dispensez est lacunaire et médiocre.
Que faire pour mieux rentabiliser le secteur?
La crise qui secoue l’hôtellerie et le tourisme en général en Tunisie remonte à 2011, donc bien avant la pandémie de coronavirus. Pour sauver le secteur de la faillite totale, il est impératif de passer de la passivité à l’agressivité. Mes remarques sont adressées à la présidente de la FTH, Dora Milad, qui doit œuvrer avec ses collègues à tirer ce secteur de sa léthargie:
– ne pas trop compter seulement sur le soutien de l’Etat tunisien qui a beaucoup fait pour ce secteur pourvoyeur de devises et de main d’œuvre. Malheureusement ce secteur n’a pas profité du soutien de l’Etat, qui n’a plus, aujourd’hui, les moyens financiers en ces temps de crise. La FTH ainsi que la Fédération tunisiennes des agences de voyage et du tourisme (FTAV) doivent plutôt compter sur leurs adhérents et sur tous les experts qui résident à l’étranger et qui suivent de très près l’évolution du secteur touristique;
– lutter contre le bradage des prix et le diktat des TO étrangers;
– améliorer la formation pour élever la qualité des services dispensés;
– accélérer la mise en œuvre de l’accord de l’Open Sky signé avec l’Union européenne (UE), d’autant plus que ni Tunisair ni Air Liberté ne sont capables d’assurer à eux seuls le transport de tous les touristes qui viennent passer des vacances en Tunisie. A titre d’exemple, Turkish Airlines a réussi à collaborer avec un grand TO russe pour le transport 1,5 millions de touristes russes (1500 voyages) qu’aucune autre compagnie européenne ne pouvait faire, en raison des sanctions imposées à la Fédération de Russie! Par son manque de réactivité, due à son manque de moyens, la Tunisie a ainsi raté une occasion en or.
Mme Milad, vous êtes devant une situation très difficile, mais pas totalement compromise. Je suis pleinement convaincu que vous réussirez avec vos collègues à tirer le secteur touristique tunisien du marasme dans lequel il se morfond depuis une dizaine d’années. Mais il faut cesser de ronronner dans un monde où tout change rapidement et oser quitter les sentiers battus.
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