Au lieu de s’en prendre aux soi-disant spéculateurs qu’il n’arrive pas à identifier et de fondre sur la BNA avec des dossiers soi-disant compromettants, comme il le fait au risque de perdre la face, le président Kaïs Saïed aurait été plus inspiré de provoquer une réunion avec les responsables de la filière du sucre pour essayer de trouver une solution durable au problème de la pénurie de ce produit de première nécessité pour l’alimentation et l’industrie alimentaire en Tunisie. (Illustration : le président Saïed fond sur la BNA… pour, croit-il, régler le problème de la pénurie de sucre !)
Par Mounir Chebil *
Pendant les années 1979, 1981, 1982, j’ai travaillé comme aide économe dans un hôtel à Sousse géré par l’Etat qui s’appelait Résidence Club El Kantaoui . Cet hôtel ouvrait en avril et fermait fin novembre. Il était à 10 km de la ville de Sousse, c’est-à-dire du centre d’approvisionnement. Il était pendant des semaines en surbooking. Pourtant, il n’avait jamais manqué de rien. La règle était qu’il ne faut jamais attendre que le stock soit totalement résorbé pour commander telle ou telle marchandise. Il fallait se prendre bien en avance de la rupture du stock et prévoir même les retards pour accidents de la route éventuels. Car, il y avait beaucoup de produits qui venaient de Tunis. Je me rappelle qu’à toutes heures, les services de l’hôtel pouvaient s’approvisionner en tout produit.
En septembre 2022, et bien que la Tunisie soit armée de la meilleure constitution du monde, qui plus est, écrite par le plus grand constitutionnaliste du monde, le président de la république Kaïs Saïed pour ne pas le nommer, tout seul comme un grand et sans l’aide d’aucune personne connue, on entend qu’il n’y a plus de sucre à l’Office du commerce de la Tunisie (OCT) qui détient le monopole de l’importation de ce produit.
«Arrêtez-moi les spéculateurs et les trafiquants !», crie Saïed
Par ailleurs, on entend que la production de sucre en Tunisie est à l’arrêt. Pourtant, selon un responsable de l’OCT, la pénurie en sucre était prévisible depuis le mois de juin.
Or, le ministre du Commerce, le premier responsable de l’OCT, est encore à sa place en train de se sucrer et le ministre de l’Economie et de la Planification (vous avez bien entendu «planification» !) est à sa place en train de se sucrer lui aussi.
Au-dessus de tout ce beau monde, M. Saïed, les nerfs à fleur de peau comme d’habitude et les yeux menaçant de sortir de leurs orbites, crie, à qui veut l’entendre : «Arrêtez-moi les spéculateurs et les trafiquants !». Il ne veut pas avouer que les caisses de l’Etat sont vides et que ses secrétaires qu’il appelle ministres sont incompétents. Ils ont dit qu’ils ont commandé des quantités de sucre de l’Inde et de l’Algérie.
Donc, si nous avons bien compris, l’Inde avec ses 1 300 000 000 bouches à nourrir, parvient à produire et à exporter le blé, le riz, le thé, le sucre et autres produits… L’Algérie, qui ne brille pas par son importante production agricole, nous exporte du sucre… qu’il avait lui-même importé. Alors que les usines de sucre de notre chère Tunisie, jadis appelée le grenier de Rome, sont fermées.
Ah que le diable emporte cette constitution qui nous a valu une telle humiliation !
Petit aide-économe d’hôtel que j’étais, j’aurais fait la commande depuis le mois de janvier. Car, des usines de transformation ainsi que le devenir de milliers d’ouvriers, donc de familles, en dépendent. Ces ouvriers sont actuellement au chômage technique, et la Steg ne les a pas épargnés.
Habib Bourguiba avait bien vu le problème et trouvé la solution
Jeune, je me rappelle que le «zaïm» Habib Bouguiba s’est déjà penché sur la question et a encouragé la culture de la betterave à sucre. Il a même fait construire une usine pour le raffinement du sucre à Béja, conçue, à l’époque, comme un pôle de développement régional. C’était dans les années 1960. Soixante ans plus tard, on ne sait pas où en est la production de la betterave à sucre et pourquoi les usines de raffinement du sucre sont fermées. On dit que des camions acheminant du sucre sont en route vers Tunis et que le sucre va bientôt être disponible dans les étals des magasins pour quelques semaines. L’OCT faillit nous présenter cela comme un exploit, or, on le sait, le vrai problème est ailleurs : la Tunisie n’aurait pas dû manquer de sucre.
Au lieu de ne s’en prendre qu’aux spéculateurs et de fondre sur la BNA avec des dossiers soi-disant compromettants, comme le fait le président Saïed, une réunion avec les responsables de la filière du sucre aurait été plus judicieuse. Les ministres de l’Agriculture, de l’Economie, du Commerce et des Finances auraient dû être entendus et des instructions fermes donnés pour pallier cette pénurie de sucre dans le court, le moyen et le long terme avec une obligation de résultat.
Le développement de la culture de la betterave à sucre et la réouverture des usines de sucre sont des urgences. Pour ce produit, les subventions devraient être octroyées en amont pour aider les producteurs et stimuler la production et non en aval… pour financer l’importation et les producteurs étrangers.
Seule l’abondance met fin à la spéculation. La crise s’est certes métastasée, mais on peut commencer par de petites solutions. Aux mots croisés, on commence toujours par les petites difficultés.
Face à cette impéritie générale de l’administration tunisienne, on peut comprendre les réticences du FMI et des autres bailleurs de fonds en constatant l’absence de réelle volonté de mettre en œuvre les réformes structurelles qui s’imposent de la part des autorités tunisiennes.
Pour ne rien arranger, Kaïs Saïed n’a pas la tête aux problèmes quotidiens des Tunisiens. Il prépare en catimini son code électoral pour les élections législatives prévues pour décembre 2022 et les acrobaties juridiques pour écarter ses concurrents de la course.
Pour les jeunes qu’il aime bien (et châtie bien aussi), il reste la mer et l’appel des côtes de l’Italie.
Pour les miséreux, qui n’ont pas le moyen de quitter le pays, il y a le sel de Sahline et la nouvelle constitution, bien salée elle aussi.
* Ancien cadre d’entreprise.
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