Tunisie : en route vers des législatives nulles et non avenues

Quel crédit donner aux résultats des législatives anticipées du 17 décembre 2022 alors que, deux mois avant leur tenue, le président de la république Kaïs Saïed multiplie les déclarations qui mettent en doute la transparence des opérations électorales, à commencer par l’opération de dépôt des candidatures ?

Par Ridha Kefi

La transition démocratique tunisienne bat gravement de l’aile, et pour cause : non seulement la plupart des partis qui comptent dans le pays ont décidé de boycotter les prochaines législatives, eu égard les conditions contestables dans lesquelles elles vont se dérouler, mais plus grave encore, c’est le président Saïed en personne qui est en train de leur donner le coup de grâce.

En effet, et bien qu’il tienne beaucoup à ces élections dont il est le seul dans le pays à saisir l’urgence, pour asseoir définitivement le système politique hyper-présidentiel qu’il tente d’instaurer avec une nouvelle constitution et une nouvelle loi électorale taillées sur mesure, M. Saïed est en train de jeter de lourds soupçons sur les résultats de ces élections… deux mois avant le vote, apportant ainsi, à l’insu de son plein gré (mais en est-il seulement conscient ?), de l’eau au moulin de ses détracteurs.

La manipulation des parrainages

En recevant hier, lundi 10 octobre 2022, au Palais de Carthage, Taoufik Charfeddine, ministre de l’Intérieur, M. Saïed a évoqué avec lui, entre autres sujets relatifs à la situation générale dans le pays, la question du refus de certains conseils municipaux d’effectuer la légalisation des signatures pour les parrainages de certains candidats aux législatives, comme cela s’est passé dans une banlieue au nord de Tunis, où la même opération administrative est effectuée pour faciliter la tâche d’un candidat proche des autorités locales, explique un communiqué de la présidence de la république publié à l’issue de l’audience. Et comme pour enfoncer le clou, le communiqué ajoute que le chef de l’Etat a indiqué que «ce dépassement ne s’est pas limité à une commune, mais qu’il a été enregistré dans plusieurs autres, qui sont supposées impartiales».

En plus de ces pratiques scandaleuses, de nombreuses personnes cherchent par des moyens détournés à distribuer de l’argent pour chaque parrainage obtenu, précise encore le président de la république, en rappelant les dispositions du décret portant amendement de la loi électorale relatives à la poursuite pénale de ces personnes.

Rappelons à ce propos que le président Saïed avait évoqué le même sujet avec la cheffe du gouvernement Najla Bouden, qu’il reçut trois jours auparavant, vendredi 7 octobre, au palais de Carthage. «La réunion a traité de la question de la manipulation des parrainages pour l’élection des membres de l’Assemblée des représentants du peuple», avait indiqué le communiqué de la présidence, ajoutant que le chef de l’Etat «a souligné la nécessité d’appliquer la loi à tous sur un pied d’égalité et de mettre fin à ce phénomène de la corruption par l’argent et d’amender le décret relatif aux élections, surtout après qu’il a été constaté qu’un certain nombre de membres des conseils municipaux ne remplissaient pas le rôle qui leur était assigné». Et le communiqué d’ajouter, citant M. Saïed : «La zakat est devenue un marché où les parrainages sont achetés et vendus.»

Vers une assemblée illégitime

Bien entendu, le président cherche, par ces déclarations, à justifier de nouveaux amendements de la loi électorale publié le 15 septembre dernier et dont l’encre n’a pas encore séché, et ce afin d’«enrayer ce phénomène honteux, d’autant plus que ceux qui ont été arrêtés et traduits en justice, avaient pour objectif, comme en témoignent les enquêtes, d’introduire la confusion parmi les citoyens et de semer le chaos par peur de la volonté populaire qui se dégagera des urnes le 17 décembre» (sic !).

Sauf qu’une telle opération, si elle venait à avoir lieu, serait très contestable, car les opérations électorales ont déjà démarré et on ne peut changer les règles en cours du jeu.

Ensuite, et quels que soient les amendements qui seraient apportés, rien ne permet de croire qu’ils mettraient fin aux «phénomènes honteux» signalés par le président lui-même et permettraient de donner du crédit à un scrutin si mal parti et qu’entourent de tels suspicions, doutes et mises en questions.

Suspicions, doutes et mises en question qui ne manqueront pas d’exploser à la figure des membres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui ont tous été désignés par le président Saïed, qui ont montré jusque-là une indulgente compréhension à l’égard de tous les écarts commis par ce dernier et dont les cafouillages se multiplient et jettent une ombre lourde sur toutes leurs actions et décisions. Autant dire donc, dès aujourd’hui, qu’au vu des conditions troubles dans lesquelles les législatives du 17 décembre sont en train de se dérouler et des cafouillages qui les entourent, à commencer par ceux du chef de l’Etat, l’Assemblée qui sortira des urnes sera illégitime, donc mort-née.

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