La Tunisie souffre, faut-il qu’elle étouffe aussi ?

Nous sommes en train de voir que le décret-loi scélérat 2022/54 n’a pas pour vocation de combattre les mensonges et les intox mais d’intimider et de museler les personnes qui critiquent le pouvoir en place. D’ailleurs ce décret-loi est tombé comme un couperet, ni discussion au préalable ni rien du tout, on l’a découvert au mois de septembre dans le journal officiel.

Par Chedly Mamoghli *

Kaïs Saïed et son pouvoir croient-ils que cet instrument juridique liberticide va pérenniser le régime?

S’ils pensent que ce décret-loi est une assurance-vie pour le régime, c’est complètement faux et ils se trompent. Nous sommes en 2022 et n’ont-ils pas vu que par le passé -et pas si lointain d’ailleurs- tous les régimes aussi liberticides et autoritaires soient-ils finissent par tomber? Ne savent-ils pas que nul n’est éternel et que tout est éphémère? Les personnes, les régimes, les législations, etc. Tout a une fin. «Dawem el-hal mina el-mouhal» (Rien ne dure) dit l’adage arabe. Ou bien une fois arrivé au sommet de la pyramide, on oublie tout cela?

Souffrir, se taire et étouffer

La Tunisie souffre avec une crise économique qui s’éternise, une inflation insupportable, des pénuries auxquelles nous ne sommes pas habituées, un chômage de masse, des horizons bouchés pour la jeunesse, une immigration clandestine devenue incontrôlable, le décrochage scolaire, des réformes économiques vitales qui tardent à voir le jour, des élèves sans enseignants, une constitution réactionnaire, liberticide et consacrant un régime autoritaire, une loi électorale aux conditions extrêmement difficiles qui écrase les partis politiques qui sont le fondement de toute démocratie, des projets utopistes comme la Nouvelle construction et les Sociétés communautaires, etc. Bref, le pays souffre et nous souffrons en tant que Tunisiens. Et comme si la souffrance ne suffisait pas, il faut se taire et étouffer.

Que le pouvoir se concentre sur les problèmes du pays au lieu de se concentrer sur les critiques formulées par tel journaliste, tel analyste ou tel citoyen. Ridha Kéfi, Nizar Bahloul (directeurs respectifs de Kapitalis et Business News, Ndlr) et éventuellement d’autres personnes qui sont poursuivis en vertu de ce décret-loi, leur rôle n’est-il pas de critiquer? Le rôle de la presse n’est-il pas de critiquer ou bien son rôle c’est de jouer les groupies?

Un pouvoir frileux et faible

Un tel décret-loi et des poursuites contre des citoyens en vertu de ce décret-loi donnent l’image d’un pouvoir frileux et faible qui faute de pouvoir s’imposer par les accomplissements essaye de s’imposer en intimidant celles et ceux qui prennent part au débat public et en imposant une omerta publique en lieu et place du débat public.

M. Saïed, qui a été mon professeur de droit constitutionnel et de régimes politiques et que je continue de respecter en dépit de tous les désaccords politiques et de son rendement, doit savoir que ce décret-loi scélérat ne peut être en aucun cas une assurance-vie pour son régime. Le seul gage de pérennité pour un dirigeant est son rendement et son bilan et rien d’autre. Le seul gage de pérennité est d’améliorer la situation du pays et les conditions de vie des citoyens et rien d’autre.

M. Saïed, il faut laisser les gens respirer, s’exprimer et critiquer. Les gens souffrent déjà, le climat est suffisamment anxiogène et on nous rajoute un décret-loi scélérat pour rajouter l’étouffement à la souffrance!

* Juriste.

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