En Tunisie plus qu’ailleurs, le football est l’opium du peuple  

Ce n’est plus la religion qui est l’opium du peuple, mais bien le football. L’engouement populaire provoqué par la Coupe du monde de football Fifa Qatar 2022 nous le prouve encore une fois en chambardant complètement la vie quotidienne des gens, y compris les femmes et les enfants, qui vibrent désormais au rythme des matches programmés… toutes affaires cessantes.

Par Imed Bahri

Pour parler de la Tunisie, un pays aux prises avec une grave crise et fortement divisé, tout le monde se félicite aujourd’hui de l’unité retrouvée autour des Aigles de Carthage, qui n’ont pourtant pas remporté leur premier match de groupe, hier, mardi 22 novembre 2022, face à une équipe danoise pourtant à leur portée.  

Tout le monde se félicite aussi de l’enthousiasme des supporteurs des Rouge et Blanc qui, en Tunisie, au Qatar et dans les grandes métropoles du monde, font plus de bruit que les supporters de toutes les autres équipes réunis.

La vie en apnée   

Ah ce merveilleux public que nos adversaires nous envient ! Si cela ne tenait qu’à lui, on l’aurait déjà remportée cette sacrée Coupe du monde qui fait tant tourner les têtes et faire oublier les soucis quotidiens : les pénuries des produits de première nécessité, les prix qui atteignent des cimes inédits, le pouvoir d’achat qui pique du nez, les déchets qui s’amoncellent à tout bout de rue, les infrastructures qui tombent en ruine, les services publics qui se dégradent à vue d’œil, le gouvernement totalement dépassé par l’ampleur de la tâche et qui ne sait plus où donner de la tête, et quoi encore ?

Les enseignants font l’école buissonnière; les élèves boudent les cours et se donnent rendez-vous dans les cafés et les salons de thé pour regarder les matches; les fonctionnaires ne sont plus à leurs bureaux mais chez eux devant la télévision. C’est à peine si les trains ne déraillent pas et que les malades ne sont pas totalement abandonnés à leur sort dans les hôpitaux.

Dans un pays qui traverse une grave crise économique et financière, et qui continue de s’endetter à tour de bras pour faire vivre sa population, le faste de cette Coupe du monde peut paraître anachronique, déplacé ou même choquant. Et pour cause, depuis la fumeuse révolution de 2011, tout dans notre pays fonctionne au ralenti et la population vit en apnée. Depuis le début du mondial de football, il y a quelques jours, tout est déjà presque à l’arrêt ou mis entre parenthèse, la parenthèse du football roi.

Bientôt le retour sur terre

Faut-il s’en plaindre ou s’en féliciter ? Que répondre sans mettre le pied dans le plat et faire grincer quelques dents, en courant le risque de se faire insulter par les enragés du foot?

On comprend, dès lors, pourquoi tous les dirigeants adorent ce sport : c’est le plus efficace et le plus inoffensif des opiums. Il mobilise les foules, les fait rêver, les occupe, les détourne de leurs soucis et donne, momentanément, quelque répit aux gouvernants.

Mais le problème c’est que dans l’intervalle, les problèmes persistent et s’aggravent et qu’une fois la fumée des ivresses dissipée, la réalité reprend toujours ses droits avec plus ou moins de violence : celle des frustrations, des déceptions et des rancœurs longtemps tues.

Pour nous, en Tunisie, il ne faut pas être devin pour prévoir un douloureux retour sur terre en décembre prochain avec des élections législatives qui risquent de susciter beaucoup moins d’intérêt que le mondial qatari et qui se termineront en queue de poisson avec une très forte abstention. Et comme d’ici là, les pénuries de toute sortes s’aggraveront, on peut aussi prévoir une reprise de la grogne sociale sur fond de crise politique et économique. C’est là une bonne raison pour ne pas s’emballer trop et garder les pieds sur terre, car l’atterrissage risque d’être douloureux.

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