Tunisie : l’inflation s’aggrave et les erreurs statistiques avec!

Le communiqué publié cette semaine par l’Institut national de la statistique (INS) indique l’accélération de l’inflation, et depuis plusieurs mois de suite. Mais le communiqué comporte une grave erreur. Et cela en dit long sur la dérive des indicateurs statistiques et la dégradation de qualité des quanta ainsi produits. Explications…

Par Moktar Lamari *

Commençons par les faits et prenez votre calculatrice pour reproduire des vrais chiffres et estimations.

Le communiqué nous apprend que le taux d’inflation est passé en glissement de 9,2% à 9,8%, entre octobre et novembre 2022. On n’y mentionne pas les valeurs quantitatives de l’indice des prix à la consommation (IPC), pour que l’on puisse comparer ces quanta.

Le communiqué ajoute que la croissance du taux d’inflation est de 0,6% (9,8 – 9,2), soit moins de 1% de taux de croissance du taux d’inflation.

Confusion, erreur ou nuance occultée?

Dans tous les cas, le lecteur ne peut pas vérifier sans se tromper. Il ne peut que douter de la crédibilité de ce 0,6%… et s’inquiéter. Le communiqué dit explicitement: «Au mois de novembre 2022, les prix à la consommation augmentent de 0,6%. L’inflation augmente à 9,8%.»

Comme il y est écrit, et avec les chiffres annoncés dans le graphique, le taux de 0,6% est nébuleux, pour ne pas dire trompeur et fallacieux! Il induit en erreur plusieurs médias qui qualifient l’augmentation de l’inflation de très faible et très marginale. L’erreur a d’énormes implications sur les décisions à prendre par le gouvernement.

Nombreux sont les économistes interrogés par les médias qui n’ont pas fait la nuance requise, ils ont répété le chiffre qualifiant la variation de négligeable, de légère ou même d’insignifiante. Circulez, il n’y a rien à voir!

Beaucoup des experts de l’INS sont tombés dans un piège de calcul qu’aurait pu éviter un étudiant de 1ère année de faculté en économie ou en finances.

L’erreur malheureuse…

Pour calculer un taux de croissance du taux d’inflation entre deux période t1 (novembre) et t0 (octobre), on fait la différence des 2 taux de croissance: soit 9,8-9,2=0,6. Et on divise cette différence par la donnée de t0. Une formule dominante dans la production de ces estimations.

L’INS serait arrêté par inadvertance dans le premier bout de la formule, et il n’a pas relativisé par la division requise.

Le vrai chiffre serait le suivant: 0,6/9,2=0,0652, soit 6,52% et pas 0,6%. L’erreur est immense, grandiose dans une propension de 1 à 10.  Elle dit tout sur les compétences en numératie de ceux qui compilent ces estimations, des ingénieurs statisticiens et autres professionnels qui rédigent ces communiqués et analyses stratégiques pour la prise de décision gouvernementale, syndicale et bancaire.

Déjà, l’INS n’avait pas bonne presse au niveau des institutions internationales. Le classement de la Banque mondiale n’accorde pas beaucoup de crédit aux indicateurs statistiques publiés par le gouvernement et ses administrations.

On pensait que l’INS pouvait s’améliorer et améliorer en même temps son branding, ainsi que sa communication pour un meilleur classement international de la Tunisie en matière de production statistiques (classement international). Plus général encore, tout indique qu’au sein de l’establishment dominant et institutions publiques, on a tendance à confondre les variations en points de base et les variations mesurées en taux de croissance des taux de variation. On ne peut pas en vouloir aux ministres, aux politiciens ou aux journalistes qui confondent souvent et publiquement les variations en points de base, les taux de variation des pourcentages, les variations marginales!

C’est une erreur de trop, c’est dommageable à la crédibilité de la Tunisie. Il n’en faut pas plus pour que certains perdent le peu de confiance qu’ils accordent à ces administrations et instituions infestées par des recrutements souvent politisés et sans validation préalable des acquis des candidats.

Les citoyens tunisiens et les experts économistes peuvent aller plus loin pour questionner la qualité et la crédibilité des chiffres et micro données ayant permis de faire les estimations du taux d’inflation. Les étudiants doctorants aussi, peuvent bouder les données statistiques made in INS, et ils préfèreraient utiliser des données internationales venant d’autres pays.

Ces critiques s’ajoutent aux reproches qu’on formule aux méthodes retenues pour de calcul du taux d’inflation par l’INS.

Celui-ci ne se fait pas encore par région (comme au Maroc) et ne tient pas compte des prix du marché parallèle (40 à 50% de l’économie nationale). On sait par ailleurs que le recours à l’IPC exagère en moyenne le taux d’inflation d’au moins 1%.

Implications gravissimes!

Gouvernement, journalistes et médias recyclent le chiffre de 0,6%, sans réfléchir et sans avoir le minimum de sens critique requis pour exercer le métier de journaliste chargé des données et statistiques économiques, financières et monétaires. La nuance est pourtant importante et lourde de conséquences.

Cela peut faire tiquer les observateurs et les organismes internationaux présents à Tunis ou au FMI à Washington.

Dans le sillage de ces estimations confondantes, et douteuses pour beaucoup, on peut s’attendre à une autre augmentation du taux d’intérêt directeur! Une augmentation très probable d’ici fin décembre (après les élections législatives). L’INS alimente ainsi et indirectement la BCT pour rehausser encore plus ses taux d’intérêt, dévastateurs pour l’investissement et pour la création de l’emploi.

La BCT n’attend que cela pour servir son propre agenda, celui consistant à pousser au plus haut le taux d’intérêt directeur pour servir le cartel des banques et surtout pour amadouer le conseil d’administration du FMI qui se réunit dans deux semaines (19 décembre) pour statuer sur l’octroi final d’un prêt de 1,9 milliard de $ à la Tunisie.

Fiabiliser les statistiques et indicateurs économiques

L’INS doit rectifier son communiqué (nuancer le chiffre et l’interprétation), et si possible donner tous les chiffres utilisés pour obtenir 0,6%. Autrement, c’est le discrédit des taux d’inflation obtenus et retenus par la BCT pour augmenter les taux d’intérêt.

Le déficit de précision ou les données manquantes (missing data) sont des erreurs humaines certes! Mais quand dans un texte et son graphique d’illustration, on porte à croire à une variation de 6,5% dans le taux d’inflation, et on donne un taux de 0,6%, cela peut discréditer encore plus l’INS.

On doit œuvrer pour restituer la crédibilité des statistiques et indicateurs économiques, monétaires et financiers… On ne doit pas les instrumentaliser politiquement volontairement ou involontairement! On comprend que ce n’est pas le moment de publier des chiffres inquiétants, les élections législatives arrivent à grands pas. Mais tout de même ! Merci pour la compréhension, pardon pour la franchise et vivement les corrections à apporter pour les communiqués et calculs d’indicateurs à publier dans le futur immédiat, moyen ou lointain. Le pays a besoin de statistiques fiables, non politisées et construites dans la transparence.

* Economiste universitaire, Canada.

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