Les potins du cardiologue: la prise en charge dans l’infarctus du myocarde

En Tunisie, il faut être fortuné, ou chanceux, ou les deux, pour échapper à la fatalité d’un infarctus du myocarde. Explications…

Par Dr Mounir Hanablia *

L’infarctus du myocarde, qui est une nécrose du muscle cardiaque consécutive à l’occlusion de l’une de ses artères nourricières, les coronaires, est l’une des principales causes de mortalité dans le monde. Son pronostic a été révolutionné grâce aux différents moyens pharmacologiques et techniques désormais disponibles assurant la désobstruction (reperméabilisation) de l’artère occluse, mais le délai de mise en route du traitement par rapport à l’apparition des symptômes est crucial, il ne doit pas dépasser une heure si on veut conserver des chances raisonnables d’une récupération «ad integrum» du muscle cardiaque. Autrement, plus la reperméabilisation sera tardive, plus les possibilités de lésions irréversibles du myocarde et de complications ultérieures seront importantes.

Agir dans l’urgence  

Par ailleurs, la prise en charge est coûteuse, et nécessite en outre une hospitalisation au minimum de trois à quatre jours dans une unité de soins intensifs pour coronariens.

En Tunisie, rares sont les malades qui peuvent se permettre de souscrire aux exigences financières des établissements privés qui dès le départ conditionnent leur accès aux soins, la grande majorité  préfère se faire traiter dans les hôpitaux publics, pour peu que les places y soient disponibles, ce qui n’est souvent pas le cas.

En principe la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) prend en charge depuis les années 90 les frais d’angioplastie coronaire et de chirurgie cardiaque dans le cadre d’une convention avec les établissements privés, permettant à ses affiliés d’y accéder gratuitement.

Néanmoins, avec l’inflation et la dévaluation de la monnaie nationale, et comme le matériel médical est importé, les réajustements de la convention n’ont pas suffi à couvrir les hausses continues des frais, et les marges bénéficiaires des cliniques s’en sont trouvées fortement réduites.

La solution a été d’imposer aux patients le paiement de la différence des coûts, en contradiction formelle avec les articles de la convention, mais la CNAM a fermé les yeux, et depuis lors le système fonctionne ainsi.

Mais le problème n’a jamais été résolu pour les infarctus du myocarde parce que le traitement des patients nécessite un séjour dans les établissements que la convention ne couvre pas. Qui plus est, pour ce qui est de l’angioplastie coronaire, en principe la CNAM n’accepte de couvrir les frais que dans les cas disposant d’un accord préalable, c’est-à-dire ceux qui ont été explorés par coronarographie, généralement non remboursable, puis qui ont constitué auprès de son administration une demande de prise en charge.

La quadrature du cercle

Pour ce qui est des infarctus du myocarde, comme il s’agit d’urgence, l’accord préalable n’est naturellement pas de mise, pour des raisons évidentes, alors que la vie du patient est en jeu. La CNAM a donc défini les cas qui peuvent bénéficier, ultérieurement à l’acte thérapeutique, d’une prise en charge sans accord préalable, et il s’agit généralement de ce qu’on appelle les nécroses transmurales, qui obéissent à des critères électrocardiographiques bien connus.

Là où le bât blesse, ce sont donc les nécroses myocardiques qui ne sont pas transmurales, et qu’on nomme rudimentaires, mais qui n’en sont pas moins aussi graves, la CNAM ne  prenant alors pas en charge le geste salvateur d’angioplastie.

Pour résumer l’ensemble de la situation, dans les infarctus du myocarde, la CNAM prend en charge dans les établissements privés les angioplasties sans les coronarographies dans les nécroses transmurales, et ne les prend pas en charge dans les nécroses rudimentaires. Dans les deux cas, elle ne prend pas en charge les frais du séjour de plusieurs jours nécessaires pour le rétablissement du patient.

Le cardiologue dans le secteur libéral peut donc être contacté, faute de places disponibles dans l’hôpital public, pour une coronarographie en urgence dans le cas d’un infarctus du myocarde, qui une fois réalisée révèle comme attendu une artère bouchée n’obéissant pas aux critères de remboursement de la CNAM mais que médicalement, éthiquement et légalement, il n’a d’autre choix que de désobstruer en urgence. Mais si le patient ne fournit pas les garanties financières nécessaires, la clinique exigera l’arrêt de la procédure, et le départ du malade, en général vers un hôpital public, dans le cas où il s’en trouverait un pour le recevoir, ce qui n’est souvent pas le cas. S’il a la mauvaise idée de décéder, qui serait alors responsable?

Cela dure ainsi depuis l’époque de Ben Ali et le RCD, malgré tous ses défauts, avait au moins l’utilité de résoudre souvent des problèmes semblables, à la demande des familles. Ce n’est plus le cas.

Évidemment, on ne peut pas jeter la pierre à la CNAM, il fut en effet un temps où elle prenait en charge les patients sans accord préalable avec pour seule garantie la bonne foi du cardiologue. La suite a démontré qu’elle avait eu tort de le faire et comme le dit le dicton, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Mais quoiqu’il en soit, aujourd’hui, en Tunisie, il faut être fortuné, ou chanceux, ou les deux, pour échapper à la fatalité d’un infarctus du myocarde.

* Médecin de libre pratique.

Précédents articles de la série :

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.