Les élections c’est bien, les querelles politiques entre le pouvoir et l’opposition occupent bien l’opinion, qui fait face à une crise multiforme affectant pratiquement tous les aspects de la vie des citoyens, mais il y a des pénuries qui sont plus difficile à vivre et à accepter, et celle de l’eau est sans doute la plus grave, car c’est toute notre vie qui en dépend. Est-ce que le président Saïed y pense parfois quand il ouvre le robinet au palais de Carthage ? (Illustration: barrage Lakhmes à Siliana, inauguré en 1966).
Par Imed Bahri
Alors qu’en Tunisie, les agriculteurs, notamment les céréaliers dont les récoltes dépendent du niveau de la pluviométrie, se plaignent de la rareté des pluies depuis le début de la saison et la baisse des réserves en eau dans les barrages, les experts multiplient les avertissements sans que les autorités ne prennent des mesures pour faire face à cette situation.
Dans un entretien à l’agence officielle Tap, Abdallah Rabhi, ancien secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques, a appelé à décréter officiellement l’état de sécheresse dans le pays, en soulignant l’importance d’agir avant la fin du mois de février courant, sous peine de ne plus disposer de suffisamment de marge de manœuvre, d’autant que le taux de remplissage des barrages a atteint 30,4%, à fin janvier 2023, selon l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), le niveau de stock le plus bas jamais enregistré depuis dix ans et que les agriculteurs ne peuvent, par conséquent, recourir à l’irrigation pour sauver leurs prochaines récoltes déjà largement compromises, puisqu’il ne reste plus que les mois de février et mars pour espérer les sauver.
Le blues des agriculteurs
«La saison des pluies 2022/ 2023 reste jusque-là exceptionnelle dans la mesure où elle est marquée par de faibles précipitations. De surcroît, elle intervient après trois années consécutives de sécheresse», a indiqué Rabhi, en précisant que, du 1er septembre 2022 au 31 janvier 2023, les quantités de pluie enregistrées à l’échelle nationale n’ont atteint que 33% de la moyenne saisonnière sur la période. «Le manque de précipitations s’est répercuté d’une manière significative, sur les réserves en eaux souterraines (nappes phréatiques) et de surface (barrages)», a-t-il aussi averti.
Conséquence, précise encore l’expert, à la fin de janvier, «le stock global des barrages n’a atteint que 708 millions de mètre cubes (m3), contre 1147 millions m3, durant la même période de l’année écoulée, soit une baisse de 38,2%. Il s’agit là du plus faible niveau de stock jamais enregistré depuis les dix dernières années, ce qui dénote de la gravité de la situation.» D’autant que le déficit pluviométrique a aussi impacté les réserves des nappes phréatiques dont la recharge demeure insuffisante. «Dans certaines régions du centre comme Zaghouan et Kasserine, où le taux des précipitations n’a pas dépassé 20% de la moyenne saisonnière, plusieurs points d’eau ont enregistré une baisse de leur niveau statique», souligne encore Rabhi, qui n’ignore pas que cette nappe est fortement exploitée par les agriculteurs multipliant les forages illégaux de puits pour subvenir à leurs besoins d’irrigation.
Mesures pour faire face à la crise
Pour faire face à cette situation, le gouvernement tunisien n’a pas d’autre choix que de décréter officiellement l’état de sécheresse et de mettre en place des mesures à la hauteur des défis auxquels le pays est confronté. Parmi ces mesures, l’expert évoque la restriction de l’usage de l’eau, comme l’interdiction d’arroser le jardin entre certaines heures, mesure déjà prise par la France confrontée la même situation. Les citoyens sont aussi tenus de «changer leur comportement en matière de gestion d’eau et d’adopter de meilleures pratiques afin de préserver cette denrée de plus en plus rare», insiste Rabhi.
Il faut également mettre fin aux fuites d’eau dans les systèmes d’approvisionnement à tous les niveaux et dans tous les secteurs, en privilégiant l’entretien continu des différents canaux et tuyaux de distribution. Et recycler les eaux usées, en optant pour un traitement tertiaire visant à éliminer les polluants non biodégradables, sachant qu’en 2050, le volume des eaux non traitées en Tunisie, devrait atteindre plus de 600 millions de mètres cubes.
L’expert appelle, par ailleurs, à octroyer des subventions conséquentes aux citoyens afin qu’ils puissent installer des citernes domestiques de stockage d’eaux pluviales.
Le pouvoir aux abonnés absents
Cela dit, toutes ces mesures sont inscrites dans l’étude stratégique «Eaux 2050». Il suffit seulement d’une volonté politique pour les appliquer et passer à un nouveau modèle de gouvernance qui rompt définitivement avec l’ancien, lequel a atteint ses limites.
Or, force est de constater que le gouvernement fait exactement le contraire de ce qu’il est tenu de faire en évitant de communiquer ouvertement sur la réalité de la situation hydrique actuelle dans un pays parmi les plus exposés au monde au stress hydrique, sachant que la part moyenne d’eau par habitant en Tunisie est estimée à 430 m3/an et devrait baisser à moins de 350 m3, d’ici 2030, a rappelé l’expert. Qui avertit : «Actuellement, nous disposons d’environ 5 milliards de mètres cubes de ressources en eaux souterraines et de surface. Si nous allons poursuivre avec le modèle de gestion hydrique actuel, nous finirons par perdre deux milliards de mètres cubes entre 2040 et 2050.»
Les élections c’est bien, les querelles politiques entre le pouvoir et l’opposition occupent bien l’opinion qui fait face à une crise multiforme affectant pratiquement tous les aspects de la vie des citoyens, mais il y a des pénuries qui sont plus difficile à vivre et à accepter, et celle de l’eau est sans doute la plus grave, car c’est toute notre vie qui en dépend.
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