Qui bloque la machine de décision économique en Tunisie ? Et comment faire pour la débloquer? D’autant que le pays, qui sollicite de nouveaux prêts auprès des bailleurs de fonds internationaux, est tenu de mettre en route des réformes structurelles dans plusieurs domaines mais tarde encore à faire le pas ?
Par Imed Bahri
On ne sait si cela a encore un sens de continuer à commenter les déclarations du président de la république Kaïs Saïed, tant elles semblent souvent déconnectées de la réalité que douze millions de Tunisiens observent et vivent tous les jours. Mais que faire? C’est notre destin de journalistes de continuer à le faire…
Lors de sa réunion hier, vendredi 3 janvier 2023, au palais de Carthage, avec la Première ministre Najla Bouden, Kalthoum Ben Rejeb, la ministre du Commerce et de la promotion des exportations et Najet Jaouadi, directrice générale de la Douane, le chef de l’Etat a évoqué, une nouvelle fois, le problème des pénuries de certains produits de première nécessité, comme les médicaments, le lait, l’huile végétale, le café ou le sucre, non pas pour annoncer les solutions envisagées par l’Etat pour y faire face, mais pour agiter encore une fois des… fantômes.
«Les causes qui ont conduit à la rareté ou au manque de certains produits ne sont pas naturelles», a déclaré le président, en faisant remarquer que «ce phénomène, la Tunisie ne l’a pas connu même lorsqu’elle était passée par de grandes crises économiques au cours des dernières décennies», affirmation inexacte et qui aurait mérité d’être nuancée, car notre pays n’a pas toujours connu l’opulence et il est arrivé aux Tunisiens de connaître des pénuries de toutes sortes. Mais passons !
Guerre contre des… fantômes
Ce qui surprend toujours et choque quelques uns, c’est de constater l’obstination du président à imputer les pénuries observées depuis plusieurs mois dans le pays, non pas à des problèmes structurels affectant pratiquement tous les secteurs économiques, mais à de véritables fantômes qui agissent dans l’obscurité dans le but d’empoisonner la vie des citoyens et d’aggraver la crise dans le pays, étant entendu que le but en est de s’attaquer à son auguste personne.
«Il n’est plus un secret pour personne que celui qui œuvre à la poursuite de ce phénomène cherche par tous les moyens à aggraver la tension sociale pour en tirer un bénéfice politique», a-t-il ainsi déclaré, désignant cette fois-ci du doigt, non pas quelques spéculateurs cherchant à faire de l’argent sur le dos du brave peuple, mais à des parties politiques qu’il n’a jamais désignées par leurs noms, se contentant d’affirmations générales qui ne l’engagent en rien et qui, surtout, ne peuvent constituer des éléments d’accusation dans une plainte sérieuse en justice.
«Le peuple n’ignore plus ces causes et demande de sanctionner tous ceux qui ont commis des crimes à ses dépens et qui cherchent à l’affamer et à le faire souffrir», a encore déclaré le président de la république, en soulignant «la nécessité pour toutes les instances concernées de l’Etat d’assumer leurs responsabilités et de constituer un stock stratégique pour faire échouer les tentatives désespérées pour provoquer de fausses crises».
Qui bloque la machine?
Que dire sinon que tout ce que rabâche le président à propos des causes des pénuries est totalement faux, car celles-ci n’ont rien à voir avec la politique politicienne et les attribuer aux opposants participe d’une mauvaise foi criarde. D’ailleurs, il ne suffit pas de lancer de vagues accusations, il s’agit aussi de les prouver de manière tangible, et acceptable par une justice digne de ce nom. Et les dames que le président a rencontrées hier sont les mieux placées pour savoir que les causes des pénuries sont à rechercher plutôt du côté des difficultés, à la fois conjoncturelles (pandémie, guerre russo-ukrainienne, sécheresse…) et structurelles (difficultés financières des entreprises publiques ayant le monopole de l’importation des produits de première nécessité, filières agroalimentaires tombées en désuétude, mauvaise gouvernance de l’Etat…).
Pourquoi donc ces dames, flanquées de titres pompeux, n’expliquent-elles pas au président de la république, qui semble les accuser de ne pas faire leur travail en traquant les spéculateurs, que sa manière de poser le problème des pénuries est totalement erronée et qu’elles ont, elles, des solutions pour y faire face efficacement?
Sinon, et si elles n’ont pas de solutions à proposer aux problèmes de la nation, que font-elles encore ces dames à leurs postes? Les paye-t-on de gros salaires pour qu’elles se contentent d’opiner de la tête en écoutant le président de la république débiter des inexactitudes, sans tenter d’éclairer son opinion par ce qu’elles sont censées avoir comme éléments d’information concrets puisés auprès des services dont elles ont la charge? Jusqu’à quand cette comédie, qui n’est même pas drôle, va-t-elle continuer, alors que le pays poursuit sa descente dans l’enfer de la crise? Et jusqu’à quand ce pays va-t-il continuer à être gouverné par les moins méritants parmi ses enfants?
Cela fait plusieurs mois que nous analysons dans les médias les vraies causes des pénuries que connaît le pays, en donnant la parole aux experts et aux professionnels des secteurs concernés, lesquels ne cessent de proposer des solutions pour relancer les filières en difficulté, sans que le gouvernement ne réagisse pour prendre la situation à bras-le-corps et mettre en route les remèdes nécessaires.
Qui bloque la machine de décision économique? Et comment faire pour la débloquer? D’autant que le pays, qui sollicite de nouveaux prêts auprès des bailleurs de fonds internationaux, est tenu de mettre en route des réformes structurelles dans plusieurs domaines mais hésite encore à faire le pas ?
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