Tunisie : le premier véritable examen pour Nabil Ammar

La finalisation du prochain mouvement diplomatique, qui a pris un sérieux retard, sera le premier véritable examen pour le nouveau ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, qui doit faire preuve de beaucoup de rigueur et de doigté, et éviter de céder aux pressions d’où qu’elles viennent.

Par Raouf Chatty *  

Censé être finalisé, comme veut la coutume, au mois de juin de chaque année, le mouvement diplomatique n’a pas été effectué depuis 2020, générant un grand manque à gagner pour le pays dans  tous les domaines, une vaste grogne parmi les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, grogne qui a impacté le bon fonctionnement de ses différents services.

Recevant en audience le nouveau ministre, Nabil Ammar, le 9 février, deux jours après sa prise de fonctions, le président Kaïs Saïed lui a demandé, entre autres, de préparer au plus vite ce mouvement. Ce sera le plus vaste mouvement de chefs de postes depuis l’accession  du président à la magistrature suprême, voici trois ans et quelques mois.

Personne ne connaît les raisons pour lesquelles le chef de l’Etat s’était abstenu de pourvoir à temps aux vacances à la tête de nos nombreuses représentations diplomatiques et consulaires demeurées sans ambassadeur et sans consul depuis environ deux ans, ce qui a privé plusieurs de nos postes de faire valoir convenablement les priorités  de l’Etat à l’étranger et d’appuyer la politique l’Etat  notamment dans le domaine économique. Le président lui même a été desservi par cette attitude, laissant libre cours à ses détracteurs, et notamment les islamistes, pour mobiliser certains lobbies dans les grands pays occidentaux contre ses politiques. 

Cette grande lenteur dans la prise de décision, au demeurant incompréhensible notamment vis-à-vis de grandes capitales, comme Pékin, Ankara ou Rome, a négativement impacté notre pays en termes de présence diplomatique et de coopération internationale, au moment où il en a le plus fortement besoin.

Ne pas succomber aux pressions des syndicats

Les efforts déployés par nos diplomates en poste durant ces trois dernières années  sont certes louables, mais ils n’ont pas été à la hauteur des priorités du gouvernement, ni n’ont répondu aux attentes de Tunis et des communautés tunisiennes vivant dans les pays concernés.  

Souffrant d’un manque de personnel et de ressources financières, nos missions diplomatiques et consulaires vaquaient à leurs tâches quotidiennes et n’étaient pas outillées, à l’exception de quelques unes dans les grandes capitales, pour remplir convenablement leurs missions. 

Cette situation a également impacté les communautés tunisiennes établies dans ces pays qui avaient sûrement besoin de la présence de diplomates chevronnés, communicatifs, relationnels, efficaces, disposant de relations solides et capables de leur venir en aide et de défendre leurs intérêts. 

Face à la grogne du personnel, aux revendications pressantes du syndicat, et à l’accumulation de hauts fonctionnaires dans le département, dont beaucoup sont  dépourvus de dossiers, ou sont chargés d’emplois fictifs, la mission du ministre a été rendu difficile et compliquée. Il pesait sur lui une grande responsabilité pour faire les choix appropriés et départager les nombreux prétendants.

En recevant en audience le nouveau ministre, le président de la république lui a fixé  les critères devant entrer en ligne de compte lors de la préparation du prochain mouvement des chefs de postes et du personnel qui sera affecté à l’étranger. Ces critères sont la compétence, le patriotisme, la défense des intérêts de l’Etat, des Tunisiens, y compris ceux à l’étranger, et la redevabilité.

Le président était clair en insistant sur la défense des intérêts de l’Etat, sa souveraineté et sur l’impératif pour ces chefs de poste de répondre aux allégations  qui visent la Tunisie d’où qu’elles viennent. Le président a parlé des intérêts de l’Etat et non pas de ceux des partis. Les diplomates doivent avoir à l’esprit qu’ils ne seront guidés dans l’accomplissement de leurs missions que par la défense des intérêts de l’Etat et du peuple souverain. 

En agissant ainsi, le président a délié son ministre des contraintes de quelques  parties intérieures quelles qu’elles soient, partis politiques, associations, syndicats… lui donnant ainsi la latitude de faire librement ses choix, et d’en répondre. 

Choisir les plus compétents et les plus méritants

Le ministre a-t-il pour autant les coudées franches? Dans un département en ébullition où sévit une vive compétition entre les hauts cadres souvent pour les emplois fonctionnels et les postes à l’étranger, il doit faire preuve de sens d’écoute, et surtout d’imagination d’autant plus qu’il ne connaît pas très bien tous ces hauts cadres. 

Il lui incombe donc de trouver les moyens les plus appropriés pour se renseigner  sur son personnel, étudier minutieusement leurs profils, au besoin consacrer du temps pour discuter avec eux, vérifier leurs aptitudes diplomatiques, mesurer leurs  capacités d’analyse, juger de leur charisme et de leurs ressources intellectuelles et linguistiques, la maîtrise des langues et des questions politiques, géopolitiques, économiques et financières étant fondamentale.

Bref, il lui incombe de choisir les personnes adéquates dont le profil répond le mieux aux critères fixés par le chef de l’Etat tout comme aux exigences du poste.

Le ministre ne doit pas se soucier outre mesure du nombre d’années que les prétendants ont passé au département depuis leur dernière affectation, ou de leur  âge, ou de leurs grades dans la hiérarchie diplomatique pour prétendre à tel ou tel poste.

L’expérience n’est pas forcément liée au nombre d’années passées dans l’administration centrale ou en poste à l’étranger. Elle n’est pas nécessairement liée non plus à l’âge ou au grade, d’autant plus qu’au cours des dernières années, le passage d’un grade à in autre est devenu une opération mécanique favorisée par l’environnement revendicateur dans le pays et le laxisme ayant frappé l’administration. Nous savons par ailleurs que la compétence n’est pas nécessairement liée à l’âge ni aux diplômes non plus. 

C’est à un sérieux examen que le nouveau ministre est soumis : il doit proposer à la tête des postes diplomatiques les plus méritants parmi leurs pairs et qui remplissent toutes les conditions pour être dignes de représenter l’Etat à l’étranger à un moment où la fonction de diplomate est devenue plus que jamais compliquée et difficile dans un monde dominé par la toute puissance de l’information et de la compétition sans  pitié entre tous les pays et où il n’y a de places que pour ceux qui sont à la hauteur des enjeux et qui savent intelligemment profiter des circonstances pour faire entendre la voix de leur pays et défendre ses intérêts. 

Bonne chance, monsieur le ministre !  

* Ancien ambassadeur.  

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