Alors que les commentaires du président Kaïs Saïed sur les migrants ont conduit la Banque mondiale à suspendre temporairement les discussions avec la Tunisie sur d’éventuels nouveaux programmes, le pays s’enfonce dans la crise économique, tandis que les réformes nécessaires pour garantir l’accord de prêt du FMI ont été retardées, souligne le Financial Times dans un article publié hier.
Par Imed Bahri
«Saïed a offert un soutien tiède à l’accord, affirmant en décembre que le prêteur n’avait pas les solutions aux problèmes de la Tunisie malgré les pénuries d’importations clés telles que le pétrole et le sucre», a souligné le journal américain, en rapportant que les obligations tunisiennes en dollars ont continué de baisser cette semaine. Celles-ci, arrivant à échéance en 2025, «se négociant à 64 cents pour un dollar jeudi après avoir commencé le mois à 68 cents pour un dollar», précise FT, en citant Alia Moubayed, directrice générale de la stratégie obligataire à la banque d’investissement Jefferies, disant : «Les obligations ont été vendues par crainte de nouveaux retards dans le calendrier du FMI en raison des récentes déclarations des partenaires de développement sur lesquels la Tunisie s’appuie pour son financement». Alia Moubayed a ajouté : «De plus, les investisseurs institutionnels sont surpris par le décalage entre les progrès réalisés par le gouvernement technocratique sur les réformes clés nécessaires pour le programme du FMI; et la rhétorique du président qui détient la décision politique ultime».
La perplexité des donateurs
Dans un article d’angle publié le 9 mars 2023, traduit par le blog Economics fot Tunisia, l’agence Reuters affirme que «rien n’indique que le président Kaïs Saïed soit disposé à accepter les mesures nécessaires pour parvenir à un accord et aider le pays à éviter une crise financière», alors que «les donateurs estiment que les finances de l’État s’écartent de plus en plus des chiffres sur lesquels l’accord a été calculé». Et que «les agences de notation de crédit ont déclaré que la Tunisie pourrait être en défaut de paiement».
Plus important encore, relève l’agence, Saïed n’a pas publiquement annoncé ses intentions et engagements vis-à-vis du FMI et ne s’est pas engagé à en signer un programme s’il est approuvé, laissant les donateurs s’inquiéter d’une éventuelle annulation des réformes après l’arrivée de l’argent ou de se voir blâmes pour toute difficulté socio-économique qui en résulterait.
«Si la Tunisie met trop de temps à finaliser l’accord, le FMI peut décider que les chiffres sur lesquels il s’est basé ne sont plus réalistes et que les négociations devraient recommencer à zéro!», estime Reuters, en rappelant que le gouvernement a déjà du mal à payer les importations de produits de première nécessité subventionnés comme le sucre, le café, l’huile de cuisson, les produits laitiers et les médicaments, lesquels connaissent des pénuries au cours des derniers mois.
Tout en indiquant que l’inflation a dépassé 10%, l’agence ajouté : «Heureusement que le pays dispose d’une importante diaspora à l’étranger et qui alimente le pays en devises fortes. Faute de quoi, les choses se seraient aggravées notamment pour le taux de change du dinar et les remboursements des dettes arrivées à échéance.»
Reuters se montre encore plus pessimiste quand à l’évolution de la situation économique et financière de la Tunisie en affirmant que, sans aide extérieure, les pénuries pourraient s’aggraver et s’étendre à d’autres produits tels que le carburant, tandis que le gouvernement pourrait également avoir du mal à payer les salaires du secteur public.
Saïed rejette les diktats
«Peu de donateurs étrangers semblent disposés à prêter de l’argent à la Tunisie sans l’assurance d’un accord du FMI, et le marché financier intérieur pourrait bientôt être incapable de faire plus en termes de prêts pour le trésor public», insiste Reuters, en indiquant que les sources alternatives de financement, comme la planche à billets, saperaient le dinar tunisien, aggravant ainsi les difficultés du gouvernement en matière d’importations et accélérant l’inflation.
Ce qui explique l’hésitation des donateurs à s’engager dans de nouveaux accords de prêt avec la Tunisie, c’est le peu d’intérêt du président Saïed pour la politique économique, «si ce n’est pour imputer les problèmes de la Tunisie à la corruption et rejeter les appels des donateurs pour obtenir une large acceptation sociale des réformes douloureuses par le biais d’accords avec un syndicat qui s’y oppose fermement.»
«Les remarques de Saïed sur l’aide suggèrent que si le FMI et les donateurs espèrent son approbation publique d’un accord qui nécessiterait des réductions impopulaires des dépenses, ils pourraient ne pas donner suite à ces mesures», conclut Reuters, en citant, à l’appui de son analyse, la déclaration du président tunisien lors d’une réunion avec la cheffe de gouvernement Najla Bouden le mois dernier : «La solution n’est pas de se soumettre aux diktats… qui sont une nouvelle forme de colonialisme». Si des pays étrangers veulent aider la Tunisie, ils devraient «restituer notre argent pillé et abandonner les dettes accumulées», a-t-il ajouté.
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