Les journalistes indépendants et étrangers ont été empêchés d’assister à la première session du nouveau parlement tunisien, qui a été largement dépouillé de ses pouvoirs par le président de plus en plus autocratique.
Par Simon Speakman Cordall *
L’interdiction faite aux journalistes d’entrer dans le bâtiment du Parlement est la première depuis la révolution qui a renversé feu le dictateur Zine El-Abidine Ben Ali en 2011.
Kaïs Saïed, qui a été élu président en 2019, a réécrit la constitution pour réduire radicalement le pouvoir du parlement après sa prise de pouvoir en 2021.
La légitimité de cette institution a pris un autre coup lorsque seulement 11% de l’électorat a accepté de voter pour ses députés lors de deux tours d’élections en décembre et janvier. La coalition d’opposition, qui a boycotté le vote, a déclaré lundi qu’elle ne reconnaîtrait pas l’assemblée.
Ces derniers mois, les forces de sécurité ont lancé une vaste campagne de répression contre les opposants politiques de Saïed, dont beaucoup ont été arrêtés sans inculpation, tandis que la petite population de migrants noirs sans papiers du pays d’Afrique du Nord a fait l’objet d’une campagne de violence après que le président les a accusés de faire partie d’un complot visant à provoquer un changement démographique.
Les médias soumis à la censure
Les médias publics contrôlés par le pouvoir ont été autorisés à couvrir les débats lundi. Fatma Mseddi, une députée nouvellement élue, a déclaré que la décision de restreindre l’accès avait été prise pour éviter le «désordre» et la transmission d’une «image inappropriée».
Les journalistes ont manifesté à l’extérieur et leur syndicat national, le SNJT, a publié une déclaration soulignant les parallèles avec la situation d’avant la révolution.
S’exprimant sur la station de radio indépendante Mosaïque FM, qui est devenue de plus en plus critique à l’égard du président, Amira Mohamed, vice-présidente du SNJT, a déclaré que les médias étaient soumis à la censure et que le SNJT «opterait pour l’escalade» en cas de l’interdiction continue.
Les militants tunisiens affirment que le nouveau parlement, composé principalement de députés indépendants, ne servira pas de contrôle efficace du pouvoir exécutif, que Saïed a concentré entre ses mains.
La frustration à l’égard du précédent parlement, desservi par l’atomisation et la démagogie des partis, s’était depuis longtemps aggravée au moment où Saïed a suspendu puis dissous l’institution en juillet 2021. Il a défendu sa décision non seulement légale mais également nécessaire pour sortir la Tunisie d’années de crise politique.
Dans l’intervalle, Saïed a dépeint les membres de l’ancien parlement et d’autres personnes considérées comme faisant partie de l’élite politique comme étant responsables du déclin de l’économie, des pénuries alimentaires et d’une hausse continue du coût de la vie.
La discrétion des pays occidentaux
L’inquiétude internationale face à la situation s’est intensifiée après que Saïed a prononcé un discours jugé raciste en février qui a déclenché une flambée de violence d’autodéfense dirigée contre les migrants noirs sans papiers. Le discours a été considéré comme une autre tentative de Saïed de détourner l’attention des maux économiques de la Tunisie.
La Banque mondiale a suspendu début mars son accord de partenariat avec la Tunisie, tandis que le Fonds monétaire international (FMI), sur lequel repose une grande partie des espoirs financiers du pays, a exprimé son inquiétude.
Bien que le gouvernement ait tenté de revenir sur les propos du président, les tentatives de traverser la Méditerranée de la Tunisie vers l’Europe ont fortement augmenté ces dernières semaines. Jeudi dernier, 14 personnes se seraient noyées lorsque deux bateaux ont coulé près de la ville tunisienne de Sfax.
Les gouvernements européens, y compris le Royaume-Uni et la France, sont restés discrets sur la répression de Saïed contre les opposants politiques et les migrants sans papiers. Certains en Tunisie ont lié la violence anti-migrants à la stratégie de l’Union européenne d’externaliser ses contrôles aux frontières vers des pays comme la Tunisie et la Libye.**
Traduit de l’anglais.
* Journaliste free lance basé à Tunis.
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Source : The Guardian.
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